par le père Etienne Maroteaux, curé de Sainte-Marguerite et Sainte-Pauline
- lundi 23 mai :
Chers frères et sœurs,
Ceci sera ma dernière méditation avec vous en ce temps de confinement. Les bonnes choses ont une fin. 97 jours passés en compagnie du Seigneur dans les Ecritures, et en votre compagnie, du mercredi des cendres au lundi de Pentecôte. Voilà qui est revigorant. Je vous remercie de m’y avoir encouragé par vos témoignages bienveillants pour ce que l’Esprit-Saint essaie de m’inspirer !
Que va-t-il se passer dans les mois à venir ? Retrouverons-nous la vie d’avant ? Personne ne peut dire qu’il ne se pose pas la question, à moins de pratiquer la politique de l’autruche.
Nous avons été usés par ce satané virus, parfois marqués par la maladie, parfois touchés par le deuil d’un proche, souvent éprouvés psychologiquement par le stress, les incertitudes, les contraintes, l’isolement… Nul ne sortira indemne de ce qui nous est arrivé par surprise il y a plus d’un an.
C’est pour le pire et pour le meilleur que nous avons vécu ce temps de désert : le pire, le départ d’un proche, l’isolement total… le meilleur, de nouvelles solidarités, de nouvelles attentions, de nouveaux modes de relation, l’approfondissement de notre foi (je peux témoigner que le virus a permis des découvertes du Christ) …
Nul ne sait si nous retrouverons complètement la vie d’avant (avant la pandémie, avant les distances sanitaires, avant les masques…). D’ailleurs la vie d’avant ne s’est pas révélée parfaite ; nous avons encore plus touché du doigt les travers de la mondialisation : si le monde a été malade, il en portera les séquelles qu’il faudra pourvoir soigner, en sortant de la « mondialisation de l’indifférence » que dénonce notre pape. Mais ce qu’il nous faut inventer c’est la vie d’après, en tenant compte de ce qui nous est arrivé. Il s’agit de continuer à vivre pleinement chaque instant dans la grâce, quelques soient les limites du présent « à venir ».
Marie en ce mois de mai, nous montre l’exemple de cette remise en confiance entre les mains du Seigneur. Si Marie est au pied de la croix, c’est parce qu’elle accompagne son fils dans sa longue et terrible agonie, dans l’espérance de l’amour de Dieu. Marie nous ouvre un regard d’espérance sur les situations les plus sombres de nos vies.
Depuis trois ans, nous fêtons en ce lundi de Pentecôte « Marie, mère de l’Eglise ». Le Christ sur la croix n’est pas refermé sur ses souffrances, il est toujours attentif aux siens ; il a encore un regard tourné vers l’avenir : Jésus sur la croix a fait don de sa mère à l’Eglise : « Voici ta mère » (Jn 19,27).
Marie est désormais une mère pour nous tous, vigilante auprès de chacun de nous, nous invitant à la confiance en l’avenir : elle-même dans la foi pressentait que la croix ne pouvait pas être la fin. Marie accompagne désormais de sa présence maternelle le peuple des croyants dans les aléas de nos histoires humaines.
Que Marie nous ouvre pour les jours à venir à un regard de confiance et d’espérance !
- dimanche 22 mai :
Chers frères et sœurs,
Parfois nous avons le sentiment que le souffle manque dans nos vies, ou bien que nous nous essoufflons… Quel est le souffle qui nous fait vivre ? Quel est le souffle qui nous conduit ?
Sans l’Esprit-Saint, l’Ecriture ne serait qu’un beau texte du passé, le Christ serait seulement un personnage de l’histoire, l’Eglise serait une administration et notre vie serait en noir et blanc…
Mais l’Esprit est bien là comme ce souffle qui anime les Ecritures ; il est ce souffle qui fait de l’Eglise la présence de Jésus ressuscité, ; il est ce souffle qui fait de notre vie le reflet de l’amour de Dieu.
Cette présence de l’Esprit en nos vies est difficile à voir, parce que l’Esprit est toujours très discret.
Pourtant, c’est bien l’Esprit qui anime notre foi (parfois même la ranime), la fait s’épanouir en amour.
Paul, dans l’épître aux Galates, nous rappelle que la liberté, qui est le fruit de la vie dans l’Esprit, est un combat : un combat entre des tendances qui nous enchaînent et nous laissent nécessairement insatisfait, et celles qui nous grandissent et nous libèrent ; tout en effet ne conduit pas à la vie. Paul nomme ces comportements qui nous appesantissent et qui nous donnent un souffle court : ce qui isole l’homme de Dieu : (« idolâtrie, sorcellerie »), ou des autres hommes : (« haines, querelles, jalousie, colère, divisions, sectarisme, rivalité »), ce qui aboutir au repli sur soi (« beuveries, gloutonneries, et autres choses du même genre »). L’expérience de cette « pesanteur » de nos vies est une épreuve qui limite notre désir d’infini. C’est pourquoi l’Esprit vient au secours de sa faiblesse.
L’Esprit au contraire est gage de liberté : il ouvre les cœurs et construit la communion.
Il est parfois des choses en nos vies qui apparaissent impossibles. Seule la foi en la force de l’Esprit-Saint peut permettre de croire à la réalisation de l’impossible. L’Esprit-saint nous rend la force de faire ce que nous ne nous sentons pas capables par nos propres forces. L’Esprit est dépassement de nous-mêmes, il peut vaincre nos timidités et nos peurs.
Si nous nous laissons mener par l’Esprit, il nous donnera de faire ce qui nous semble impossible à vues humaines : avancer vers un pardon, arriver à dépasser les divisions, trouver le courage d’affronter la maladie ou la force de ne pas se laisser submerger par la situation sanitaire, démêler une situation humaine compliquée…
L’Esprit vient au secours de notre faiblesse. Il nous imprègne jusqu’au plus intime de notre être, dans notre fragilité même, pour nous transformer, pour nous faire porter du fruit.
Ce que nous rappelle la première Pentecôte du récit des Actes, c’est que l’Esprit-Saint culmine dans la communion fraternelle qui parle à tous et rend visible l’amour de Dieu. Grâce à leur perméabilité à l’action de l’Esprit en eux et parce qu’ils se laissent conduire par lui, les disciples peuvent parler à tous les langues de l’Esprit et se faire comprendre de tous les hommes. La langue de l’amour de Dieu est universelle.
Et le fruit de l’Esprit est la communion, à l’opposé de tout ce qui divise : « Ayant tous reçu un seul et même Esprit, nous sommes mêlés intimement les uns avec les autres, et avec Dieu » (Cyrille d’Alexandrie). L’Esprit comme le dit Saint Basile est saint parce qu’il tisse des liens : il unit le Père et le Fils, il unit Dieu et les hommes, il unit l’Eglise, et les hommes entre eux.
Accueillons le souffle du Christ en nos vies, pour vivre en communion avec nos frères ; que l’Esprit anime notre foi et la fasse irradier.
« Puisque l’Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l’Esprit » (Ga 5,25).
- samedi 22 mai :
Chers frères et sœurs,
Nous retrouvons pour la cinquième fois dans l’Evangile le mystérieux « disciple que Jésus aimait » ; le disciple bien-aimé s’est penché sur le cœur du Christ lors du dernier repas (Jn13,23) ; il est présent fidèlement avec Marie au pied de la croix (Jn 19,25) ; il partira au pas de course avec Pierre vers le tombeau vide (Jn 20,2), il sera le premier à entrer dans la foi en la résurrection ; il reconnaîtra Jésus après la résurrection lors de la pêche miraculeuse où Pierre est encore présent ( Jn 21,7). La tradition y reconnaît l’Evangéliste lui-même, qui par humilité ne se nomme pas.
La fin de l’Evangile de Jean, qui est sans doute écrit par une autre main, donne à contempler de nouveau ensemble les deux disciples qui couraient vers le tombeau vide, Pierre et Jean (Jn 21,20).
Pierre pose à Jésus la question du devenir de Jean ; ce n’est sans doute pas seulement de la curiosité : Ce texte évoque la vocation personnelle et la marche à la suite du Christ ressuscité. « Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? » ( Jn 21,21). Jean et Pierre sont liés par l’amitié dans leur suite de Jésus.
Pierre, témoin de la foi, ira jusqu’à donner sa vie comme le Christ, et Jean le disciple bien-aimé, meurt sans doute très âgé, deux destins parallèles dans l’Eglise pour une même suite du Christ ; certains y liront le témoignage de la contemplation chez Jean et de l’action chez Pierre ; tous deux témoigneront de leur amour du Christ, de leur foi de façon différente. « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » (Jn 21,23). Variées sont les grâces, variés sont les charismes. Jean sera l’exemple de cette longue fidélité au Christ ; il « demeure » dans le Christ dans l’attente impatiente de la rencontre avec le « Bien-Aimé » ; ce Maître, il le sert dans sa contemplation en écrivant l’Evangile. Il ne s’agit pas de comparer les destins, mais de considérer que le plus important est le « Toi, suis-moi » (Jn21,19) que Jésus vient d’adresser à Pierre. Dans l’amour, chacun est appelé à être fidèle à la grâce de Dieu et à rendre grâce pour ce que le Seigneur accomplit en ses frères.
« Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait écrire chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait » (Jn 21,25). C’est une porte ouverte sur l’avenir de la foi en Jésus-Christ…
La Parole de Dieu, l’Esprit-Saint et l’Eglise continuent à agir en ses témoins d’hier, d’aujourd’hui et de demain ; ils embrasent le monde du feu de l’amour du Christ, jusqu’à la fin des temps. C’est une joie de contempler cela !
« Sur toute la terre se répand leur message, et leurs paroles, jusqu’aux limites du monde » (Rm 10,18). L’Eglise continue d’écrire ces mots jamais entendus, jusqu’à la venue du Seigneur…
- vendredi 21 mai :
Chers frères et sœurs,
Nous contemplons dans ce texte la délicatesse de la grâce du Ressuscité à l’œuvre (Jn 21,15-19). Il est émouvant de voir Jésus continuer à faire confiance en Pierre qui l’a abandonné au moment le plus crucial.
La triple question « M’aimes-tu ? » exprime le désir de Jésus de donner à Pierre de dépasser son triple reniement lors de la passion dans la grâce du pardon. « Dieu donne toujours aux hommes une deuxième possibilité ; souvent une troisième, une quatrième, un nombre infini de possibilités » (R.Cantalamessa, 22/4/07).
Ce n’est plus le Pierre fanfaron d’avant la Passion qui avait dit : « Seigneur, je me dessaisirai de ma vie pour toi » (Jn 13,37), avant de le renier trois fois ; Mais on trouve ici un Pierre humble ; il est invité à ne pas s’appuyer sur lui-même, mais sur l’amour de Jésus qui le connaît ; Pierre ne se considère plus comme celui qui aime plus que les autres ; il se contente d’affirmer son amour personnel pour Jésus. Pierre est triste de voir que Jésus semble mettre en doute son amour et sa tendresse pour lui ; il ne lui reste qu’à s’en remettre plus que jamais à son Seigneur, à compter non sur ses propres forces, qui sont faibles mais sur la force de Jésus. Pierre doit se rappeler la Parole de Jésus au mont des Oliviers juste avant la Passion : « Quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22,32) : Il est maintenant prêt à affermir et à conduire ses frères vers le Ressuscité, puisqu’il accepte sa faiblesse : sa mission repose désormais sur la force du Christ.
Le pardon du Christ lui rend sa dignité d’homme. Plus que cela encore, à l’image du Fils prodigue, Jésus lui redonne sa confiance et le remet aussi dans sa mission.
« Si nous apprenions la leçon que renferme l’attitude du Christ envers Pierre, et faisions confiance à notre prochain, même s’il s’est trompé une fois, que de personnes en moins souffriraient d’échec dans leur vie et que de laissés-pour-compte en moins il y aurait sur terre ! » (R. Cantalamessa).
Pierre reçoit de nouveau la mission de s’occuper du troupeau, de le guider, d’en prendre soin : « Sois le berger de mes brebis » : le troupeau est celui de Jésus pas celui de Pierre ; il veut nous éviter tout désir possessif (si votre curé dit « mes paroissiens », méfiez-vous !). Comme Jésus il est amené à paître le troupeau, jusqu’à se dessaisir de sa vie. Pierre en pleine communion d’amour avec Jésus ira comme lui jusqu’au bout de l’amour lui qui donnera sa vie à Rome.
St Jean Chrysostome relit cet épisode du reniement de Pierre en disant : « Pierre a commis un péché, parce qu’un peuple nombreux allait lui être confié. Car il ne fallait pas qu’il soit incapable de pardonner à ses frères ».
Pierre ne peut conduire le troupeau que parce qu’il aime passionnément le Christ. C’est ce que rappellent les trois demandes de Jésus. Seul un amour du Christ enraciné dans l’humilité et le pardon reçu permet d’être témoin de la miséricorde.
Lorsque Jésus confie à Pierre cette mission d’être Pasteur à sa suite, il lui rappelle qu’aimer le Christ c’est servir ses frères. Notre amour pour le Christ trouve sa réalisation dans le service aux autres, dans le bien que nous faisons, dans le pardon que nous vivons à sa suite.
Redisons au Seigneur notre désir de l’aimer : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » (Jn 21,17).
- jeudi 20 mai :
Chers frères et sœurs,
La prière de Jésus s’élargit encore, parce qu’elle est vaste comme le monde. Tous les croyants de tous les temps et de tous les lieux sont présents dans le cœur du Christ et dans sa prière.
« Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi » (Jn 17,20).
Jésus attend de nous le témoignage de l’unité, puisque nous sommes assemblés par lui, unis à lui dans l’amour. Jésus avait déjà évoqué cette unité dans le texte où il dit qu’il est la Vigne : les sarments que nous sommes portent du fruit en étant unis à lui (Jn 15) ; il désire ardemment que nous ne soyons qu’un avec lui : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21). Nous avons à devenir « parfaitement un », « moi en eux, et toi en moi » (verset 23), de cette même communion que vivent le Père et le Fils.
On repense aussi au disciple « que Jésus aimait », autrement dit l’Evangéliste Jean lui-même, « penché sur la poitrine de Jésus » (Jn 13,23-25), manifestant ainsi son désir de communion avec le Christ.
Ce rêve de l’unité trouvera son accomplissement dans le Christ : un seul peuple uni dans l’amour du Père et du Fils. Si Dieu est Un, nous avons à devenir un comme lui. Cette unité ne peut être que l’œuvre de Dieu.
Nous savons bien que nos divisions entre chrétiens, nos querelles de clochers sont souvent des contre-témoignages. L’enjeu de cette unité vécue n’est rien moins qu’un signe donné de l’amour qui seul attirer les hommes au Christ : « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,23). Ce n’est que dans le Christ que nous pouvons nous reconnaître frères.
Le « voyez comme ils s’aiment » témoigne de l’amour du Père et du Fils. Le Fils est présent dans les croyants de tous les temps.
Le grand désir de Jésus qu’il confie à son Père est de partager avec toute l’humanité l’amour de son Père, de leur donner la gloire de son Père : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi » (Jn 17,24). Nous avons à (re)découvrir dans cette prière de Jésus que nous sommes le don que Dieu fait à son Fils ; Le Père nous donne à son Fils comme le cadeau le plus merveilleux… De quoi contempler l’amour du Père pour chacun de nous.
Le dernier mot de sa prière est évidemment à l’amour partagé entre le Père et l’humanité : « Que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux » (Jn 17,26).
La prière du Christ est « eucharistique », parce qu’elle est action de grâces sans fin pour l’amour de son Père et de ses frères.
L’amour du Christ enfante notre amour.
- mercredi 19 mai :
Chers frères et sœurs,
La prière de Jésus inclut toute l’humanité qu’il présente au Père, tous les hommes qui trouvent en lui la vie. C’est la « prière du Christ qui, dans une immense ascension entraîne avec lui l’humanité » (Père Jean La place). Toute prière est prière de Jésus en nous pour toute l’humanité.
De nouveau Jésus nomme son Père : « Père saint » (Jn17,11) ; cela nous évoque la demande du Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié ». Seul Jésus peut allier dans sa prière la grandeur de Dieu (sa sainteté infinie) et l’infinie tendresse de son cœur, avec ce mot si humain, si intime de Père, Abba. Jésus invite son Père à garder ses disciples à la place même qui est la sienne, au plus secret de son cœur de Père, puisqu’ils sont unis au Fils et portent eux aussi ce même nom de fils : « Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes » (Jn 17,11).
Jésus prie pour l’unité des hommes entre eux, à l’image de la communion entre son Père et lui : « Qu’ils soient un comme nous sommes un » dans la communion au même Esprit.
« Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu » (Jn 17,12) : Jésus n’a pas cessé de veiller fidèlement sur les siens, il les a gardés inlassablement dans son amour ; nous nous rappelons que Jésus est le Bon Pasteur qui veille sur ses brebis, qui les garde des dangers et qui part à la recherche de la brebis perdue ; maintenant à quelques heures de la croix il confie les siens à Dieu.
« Je viens vers toi » (verset 13) : il y a de la tendresse dans ces mots de Jésus alors qu’il sait son départ proche ; il veut partager avec ses disciples sa joie, la joie d’être aimé du Père, infiniment. « Qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés » (Jn 17,13). C’est sa Parole de vérité qui sera pour eux une source de joie et de liberté.
Jésus laisse les siens dans le monde, confrontés au Mal ; mais ses disciples ne doivent pas abandonner ce monde, où ils sont envoyés : « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde » (Jn 17,18) ; non seulement ils n’ont pas à fuir le monde, mais bien au contraire, ils ont à le conduire vers Dieu.
Cela m’évoque la belle phrase de cette lettre écrite dans les premiers siècles : « Ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L’âme est répandue dans tous les membres du corps, et pourtant elle n’est pas du corps, comme les chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas du monde… Si noble est le poste que Dieu leur a assigné, qu’il ne leur est pas permis de déserter » (Epître à Diognète, fin du II° siècle)
Jésus implore son Père de les garder du Mal : « Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais » (Jn 17,15). Cela nous rappelle ce que nous demandons au Père dans la prière du « Notre Père » : « Délivre-nous du Mal » (Mt 6,13).
L’incarnation de Jésus continue en chacun de ses disciples, puisque nous sommes envoyés par lui dans notre monde.
Jésus prie pour que nous soyons saints comme son Père : vaste enjeu pour notre vie de tous les jours !
- mardi 18 mai :
Chers frères et sœurs,
Nous relisons ensemble la grande prière de Jésus à l’heure où il va donner sa vie pour les siens. C’est une prière solennelle.
Les Evangiles parlent souvent de la prière de Jésus, en particulier l’Evangéliste Luc ; ainsi on voit Jésus se retirer dans la solitude pour se tourner vers son Père : sa prière est communion avec son Père, ressourcement dans son amour ; Remarquons cependant que nous avons peu de trace des mots de la prière de Jésus, à part l’action de grâces pour ce que son Père a révélé aux tout-petits (Mt 11,25), la prière du Notre Père et la prière à Gethsémani. Cette prière que rapporte Jean n’en n’est que plus précieuse.
Elle a été nommée prière sacerdotale : elle est la prière « de notre Grand Prêtre, elle est inséparable de son Sacrifice, de son » passage » [pâque] vers le Père où il est » consacré » tout entier au Père » (catéchisme de l’Eglise catholique, n° 2747). Cette prière de Jésus n’est pas des plus facile à comprendre, en raison de son caractère répétitif. Nous allons essayer modestement d’en donner quelques éclairages. On dit parfois qu’elle est comme un commentaire du « Notre Père », parce que l’on y retrouve bien des intuitions de la prière que Jésus nous a donnée (le nom du Père, le règne, la délivrance du Mal…).
Elle rappelle la fête juive de l’expiation, Yom Kippour, où le grand prêtre accomplissait l’expiation pour toute la communauté du peuple de Dieu.
Jésus s’adresse à son Père au moment où il va offrir sa vie. Il prie pour lui-même et pour les apôtres, pour l’Eglise de tous les temps. Nous sommes plongés dans la prière de Jésus.
Jésus lève les yeux et se tourne vers son Père pour une grande action de grâces : « Père » ; par six fois ce mot simple reviendra dans la bouche de Jésus, rythmant sa prière : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie » (Jn 17,1). Jésus est le don du Père. Jésus s’apprête à entrer en totale disponibilité dans la volonté de son Père à l’heure de la Passion ; il se remet entre les mains de son Père, totalement. « L’heure », dans la bouche de Jésus, est le moment de la Passion, mais aussi de sa gloire. Quand Jésus demande à être glorifié, il demande à entrer totalement dans le désir de son Père : « Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (Jn 17,4). C’est sur la croix que la gloire du Christ sera manifestée aux yeux de tous. Son amour est sa gloire véritable.
Jésus ne cesse pas de rendre grâce pour les dons du Père (17 fois le verbe donner dans cette prière) ; il nous rappelle que nous sommes pour lui les dons que le Père lui a faits : « ceux que tu m’as donnés » ; nous sommes un cadeau de Dieu donné par le Père au Fils ! Jésus trouve sa gloire en nous, même faibles et fragiles, ne l’oublions jamais : « Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux » (Jn 17,10).
Jésus confie ses disciples au Père : « J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole » (Jn 17,6). C’est en prenant notre chair que Jésus a manifesté « le nom du Père » aux hommes : il est Dieu avec nous ; il nous rend Dieu proche de notre humanité. Le pouvoir du Père sur toute l’humanité a été confiée au Christ et ensuite aux disciples : « Tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair » (Jn 17,2). La vie éternelle est le bien commun au Père, au Fils et aux croyants.
- lundi 17 mai :
Chers frères et sœurs,
« Le Père lui-même vous chérit » (Jn 16,27) : Après que Jésus a réconforté ses disciples en leur parlant de l’amour du Père, les disciples sont comme revigorés : « Votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16,22). : enfin, ils comprennent ce que Jésus veut leur dire !
Jésus ne leur semble plus parler en « paroles mystérieuses » ; Tout leur semble désormais lumineux, plus besoin de « décodeur » pour comprendre ses paroles : « Voici que tu parles ouvertement et non plus en images. Maintenant nous savons que tu sais toutes choses, et tu n’as pas besoin qu’on t’interroge ; voilà pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu » (Jn 16,29-30). Les disciples confessent ainsi leur foi en Jésus de façon « collective ». Jésus doit être réconforté par cet élan de foi.
Mais pour autant Jésus n’est pas dupe devant leur enthousiasme : « Maintenant vous croyez ! Voici que l’heure vient – déjà elle est venue – où vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me laisserez seul » (Jn 16, 31-32). Il sait que ses disciples auront bien du mal à ne pas l’abandonner, pris par la peur face à la Passion et aux menaces. Ils ne résisteront pas devant l’énigme du Fils de Dieu souffrant et mourant, injustement condamné sur la croix.
Mais Jésus garde confiance, car même abandonné de tous, il n’est jamais seul : « Je ne suis pas seul, puisque le Père est avec moi » (verset 32). Jésus, qui va être livré aux mains des hommes, puise dans l’intimité avec son Père la force de vivre sa Passion. Il est sûr de l’amour de son Père. C’est toute l’expérience de sa vie. C’est là que Jésus trouve la paix et la force pour avancer vers la croix. En Jésus son Fils, le Père mystérieusement souffre aussi la Passion. Mystère abyssal…
Face à l’adversité et aux souffrances, les disciples peuvent eux aussi demeurer dans la paix que Jésus donne aux siens, dans la paix de la foi : « Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix » (Jn 16,33) ; avec la confiance chevillée au cœur que Jésus est vainqueur du Mal : « Courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (idem). La victoire sur le Mal est déjà assurée, avant même la croix.
« Courage » est le dernier mot de Jésus avant la prière qu’il adresse à son Père. Nous verrons cela demain !
- dimanche 16 mai :
Chers frères et sœurs,
« Je vous dis tout cela pour que vous ayez une joie vraie joie, accomplie, en vous » (Jn 17,13).
Cette prière de Jésus dans l’Evangile de Jean est comme un long développement de la prière du Notre Père ; une longue action de grâce pour la mission qu’il a accomplie dans le monde : Jésus a donné aux hommes tout ce qu’il est, la Parole de Dieu ; mais cette prière est aussi une louange au Père pour les hommes que celui-ci lui a confié et qui cherchent à garder sa Parole intacte, à vivre de l’amour du Père.
La joie de la communion, entre le Père et le Fils est ce que les hommes sont invités à vivre eux aussi. Telle est l’espérance qui peut habiter notre monde : les hommes ont en eux la force de garder la Parole et d’en vivre.
Il s’agit bien d’un appel à vivre une vraie communion entre nous ; mais une communion qui est parfois bien loin de ce que nous appelons l’unité dans le respect des différences qui relève parfois plus de l’indifférence que du respect profond pour ce que vit l’autre… « Après tout l’autre peut vivre ce qu’il veut, du moment qu’il ne me gêne pas dans ma façon de vivre » ; cela est bien loin de ce que nous propose le Christ !
L’unité dans les différences peut parfois être une langue de buis de notre langage chrétien.
Si la résurrection est la victoire de la communion sur tout ce qui divise les hommes, cette unité n’est pas à n’importe quel prix…
L’unité n’est pas fusion dans un grand tout où chacun serait prié de se taire et de rentrer dans le rang, où les différences seraient gommées. Elle n’est pas non plus un communautarisme, un particularisme de plus qui serait jaloux de ses privilèges et s’exclurait de la masse des hommes comme s’ils étaient indignes d’être nos frères.
Nous devons être en mesure d’accueillir la différence de l’autre non comme une occasion de mépris (il ne pense pas comme nous et n’est pas digne de notre respect), ni de jalousie (il fait mieux que nous…). Mais l’accueillir comme un signe de la grâce, comme un don de Dieu.
L’unité est fondée sur un profond respect de l’identité de l’autre différent.
Comme le disait Catherine de Sienne : « J’aurais très bien pu faire les êtres humains de telle sorte que chacun ait tout, mais j’ai préféré distribuer différents dons à différentes personnes pour qu’ils aient besoin les uns des autres »
« L’unité à laquelle il faut aspirer n’est pas uniformité, mais une ‘‘unité dans la diversité’’ ou une ‘‘diversité réconciliée’’. Dans ce type enrichissant de communion fraternelle, les différences se croisent, se respectent et se valorisent, mais en conservant différentes notes et différents accents qui enrichissent le bien commun » (Pape François, la Joie de l’amour,139).
L’unité que nous propose le Christ est de reconnaître que la richesse de l’autre loin de nous appauvrir peut être un don qui nous réjouit.
Les différences ne sont pas d’abord un appel à la tolérance, elles sont un reflet de la communion entre le Père le Fils et l’Esprit où chaque personne dans une grande humilité met en valeur l’autre.
« Que tous soient un, comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi » (Jn 17,21). Nous avons à être le reflet de cette communion en Dieu.
Chacun de nous est unique, précieux différent, mais ayant reçu une vocation à l’unité avec tous nos frères, participant à la communion, à la symphonie trinitaire.
Du coup, nous devons faire tomber toutes les barrières de haine ou de séparation, pour découvrir et respecter nos frères différents dans la vérité de ce qu’ils sont. Accepter de ne pas juger, d’aimer ceux qui nous ont blessé…
Cela ne peut venir que de notre enracinement dans le Christ ; « Moi en toi et toi en moi », c’est la condition nécessaire pour rendre gloire à Dieu par notre désir de communion avec tous nos frères proches ou lointains. « Pour que nous ayons en nous l’amour dont le Père a aimé le Fils », comme le dit Jésus. L’amour vrai ne peut être que partagé.
Que le Seigneur nous donne de trouver notre joie dans l’autre même différent, et pour l’accueillir vraiment comme un don de Dieu.
- samedi 15 mai :
Chers frères et sœurs,
Quel dommage ! St Matthias (il n’y est pour rien, le pauvre !) nous a privé hier d’une magnifique image que Jésus donne à ses disciples, alors même que ceux-ci ne comprennent pas ce que Jésus veut dire : il leur parle du bonheur de la naissance d’un enfant : « Vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16,20-22).
Jésus est bouleversé parce qu’il sait que ses paroles ont été sources de tristesse pour ses disciples Aussi pour les encourager, il leur donne cette image très humaine et émouvante : la souffrance d’une mère qui enfante est grande, mais quand elle reçoit son enfant dans ses bras, « elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde ». Les larmes de la douleur se changent en larmes de joie.
Ainsi le Christ nous parle-t-il du Mystère pascal : mystère de déchirement et de joie tout à la fois. Ce n’est pas la souffrance qui submerge tout, c’est la joie qui finit par s’imposer : « Votre peine se changera en joie… Votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16,20.22). Derrière cette image, c’est aussi l’image de Marie, celle de l’Eglise. Même dans les douleurs du temps présent, personne ne peut enlever cette joie qui vient de l’Esprit, la joie du Christ qui a vaincu la mort.
C’est l’heure du Père pour Jésus : le Père participe en tout au don du Christ dans sa Passion.
La prière adressée au Père, qui est celle même de Jésus, sera elle-même source de cette joie profonde : « Demandez, et vous recevrez : ainsi votre joie sera parfaite » (Jn 16,24).
Et toujours, dans sa simplicité, cette bouleversante annonce de la tendresse du Père pour l’humanité, sa relation avec chaque membre de son peuple qui trouve sa réponse dans la foi : « Je vous annoncerai ouvertement ce qui concerne le Père … Le Père lui-même vous aime, parce que vous m’avez aimé » (Jn 16,25.26).
Jésus est venu nous révéler l’amour infini de son Père. Il résume enfin le mystère de son incarnation : « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le monde, et je pars vers le Père » (Jn 16,28) : de la Nativité à l’Ascension, la boucle est bouclée ! La mission du Fils s’accomplit dans le don de la vie du Fils.
- vendredi 14 mai :
Chers frères et sœurs,
Décidément nous méditons souvent ce texte de Jean, en ce temps pascal (cf mon commentaire de dimanche dernier) : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,12). Cette phrase sonne comme une évidence.
Aimer comme Jésus nous le demande, ce n’est pas seulement un « long fleuve tranquille » …
Toute la force de notre amour résidera (ou pas) dans le « comme ».
Aimer tout le monde est d’accord ; c’est même un des désirs les plus universels. Le tout est de savoir jusqu’où nous sommes prêts à aimer : désirons-nous aimer seulement comme le monde, lui qui nous présente l’amour comme un sentiment qui passe et qu’on peut reprendre ? Nous arrêtons-nous au premier obstacle rencontré ? Sommes-nous vraiment prêts à aimer comme Jésus, jusqu’au risque de donner notre vie ? Nous restons bien souvent très loin de cette exigence.
Ce « comme« , nous l’entendons souvent dans la bouche de Jésus : « Si vous ne devenez comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume » (Mt 18,3°) ; « comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21) ; « soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6,36).
Bien plus qu’une comparaison, c’est une identification.
Le Père des cieux et les enfants nous sont donnés comme « maître-étalon » de notre amour… Ce « comme » nous invite à accueillir la grâce d’être des enfants, non pas à vouloir faire pour Dieu, mais à nous laisser faire par Dieu. C’est-à dire à vivre dans la simplicité, dans une confiance sans limites dans l’amour de Dieu. Ce « comme » nous envoie en mission à la suite de Jésus : « Nous sommes envoyés par le même amour, dans la même force, avec la même puissance par lesquels le Père a envoyé son Fils bien-aimé » (St Thomas d’Aquin). Ce « comme » nous identifie au Christ ou au Père lui-même, à sa miséricorde infinie.
Le baptisé n’est pas fils dans l’efficacité ou dans l’action, mais fils comme le Fils dans la simplicité de l’enfant, dans le don, comme le Père dans la miséricorde, dans la gratuité sans condition.
De même que Jésus a livré toute sa vie dans un amour infini jusqu’à se donner par amour, de même le disciple qui veut demeurer en lui « doit se conduire comme Jésus s’est conduit », comme le dit Jean ailleurs (1 Jn 2,6).
« La façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain » (Benoît XVI, Dieu est amour, § 11)).
Nous ne pouvons vivre cette exigence de l’amour que dans la force du Christ : c’est en demeurant dans l’amour du Christ que nous deviendrons capables de vivre ce « comme ».
C’est le Christ qui donne tout et qui nous rend capables de répondre à sa promesse : son amour demeurera en nous, si nous demeurons dans son amour. C’est ainsi que nous pourrons porter les fruits que Dieu attend de nous.
C’est l’eucharistie, c’est l’Esprit-Saint, qui sont nos forces pour demeurer dans l’amour de Jésus et en vivre à chaque instant de notre vie.
« Si quelqu’un m’aime nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure » (Jn 14,23).
- jeudi 13 mai :
Mais le départ de Jésus ouvre bien un quadruple motif de nous réjouir !
– 1° motif de notre joie de l’Ascension : nous ne sommes jamais seuls :
C’est le triomphe de l’amour du Christ qui retrouve le Père. L’Evangile en parle en termes d’exaltation, d’« élévation », de « montée » ; bien sûr, il est inutile de chercher comment cela s’est passé ! C’est pour Jésus l’accomplissement d’un nouveau mode de présence. Il est le « Seigneur du cosmos », sa présence est désormais universelle. Le Christ est à la fois absent physiquement (il est auprès du Père dans la gloire) et présent dans l’intimité de notre cœur, plus proche encore que pour les disciples qui le côtoyaient physiquement.
L’Ascension de Jésus nous rappelle que « dans notre vie, nous ne sommes jamais seuls » (Pape François).
-2° motif de notre joie de l’Ascension : Jésus ouvre le chemin du Père :
Avec le Christ qui est monté au ciel, c’est l’humanité tout entière qui est appelée à entrer au ciel avec lui. Jésus est le « premier de cordée » (on n’ose plus utiliser cette expression reprise par la politique…), parce qu’il nous ouvre le chemin vers son Père et nous conduit vers lui à sa suite.
– 3° motif de notre joie de l’Ascension : Nous sommes envoyés en mission à la suite du Christ et par lui :
Le chrétien, dit-on parfois, est celui qui a les pieds sur terre et la tête dans le ciel. La perspective du ciel ne doit pas nous détourner de la terre. Parfois nous pouvons avoir la tête au ciel, mais pas les pieds sur la terre. C’est alors une foi totalement désincarnée, celle qui ne changerait pas notre vie, celle qui ne nous donnerait pas le désir de changer le monde. Une telle foi qui vit hors du temps n’est pas la foi chrétienne. C’est comme un sportif en chambre qui se contenterait de regarder le sport à la télé !
Le chrétien n’est pas un être éthéré, hors du temps et de l’espace ; bien au contraire, la perspective d’un amour comblé (le ciel), nous presse de construire avec le Christ ce que nous sommes appelés à vivre dans l’au-delà, l’amour donné.
Jésus vient de reprocher à ses disciples leur incrédulité ; malgré cela, il les envoie pourtant en mission dans le monde entier : « Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création ». Les chrétiens continuent l’œuvre du Christ en chaque époque.
L’Ascension nous remet utilement dans la mission confiée aux siens par le Christ : « Allez dans le monde entier » ; la foi ne doit pas sentir le renfermé.
– 4° motif de notre joie de l’Ascension : La mission est une synergie :
Là encore nous ne sommes pas laissés seuls face à l’immensité de la mission : c’est bien le Christ et l’Esprit-Saint qui agissent avec nous et par nous (c’est ce qu’exprime le mot « synergie ») : l’Esprit-Saint nous donne lumière et force pour vivre l’aujourd’hui de Dieu : « vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit-Saint qui viendra sur vous » (Ac 1,8). La force des chrétiens vient toujours du Seigneur qui envoie.
« Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16,20), comme le dit Marc dans l’Evangile de ce jour. Quelle joie de savoir que le Seigneur est au cœur de l’Eglise et source de la mission !
Si l’Ascension est le départ du Christ, elle est le début du temps de l’Eglise.
Le Seigneur ne cesse pas de visiter notre monde et notre histoire pour les transfigurer. Le départ de Jésus, le don de l’Esprit-Saint nous donne un nouveau regard. Il nous faut abandonner tout regard pessimiste sur « un monde qui serait en train de s’écrouler », et entrer dans un regard d’espérance et de confiance.
Entrons dans le regard d’amour du Christ sur notre monde et sur nos frères.
- mercredi 12 mai :
Chers frères et sœurs,
Jésus a déjà dit beaucoup de choses lourdes à entendre ; il comprend alors qu’il est difficile d’ajouter encore à tout ce qui les a attristés : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter » (Jn 16,12). Les disciples sont comme dépassés par les Paroles de Jésus. Dépassés par les Paroles de Jésus, nous le sommes et nous le serons toujours un peu ! Les paroles de feu de Jésus parfois nous brûlent les doigts, parfois elles nous brûlent le cœur.
C’est à peu près ce qui se passe au moment où Jésus va laver les pieds de Pierre, et où celui-ci commence à s’étonner que le Christ s’abaisse à ce geste réservé aux esclaves : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » (Jn 13,7). Pierre ne commencera à comprendre que lorsque Jésus l’appellera de nouveau à être le « berger de ses brebis » : « Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21,18). Pierre aura alors la force de comprendre jusqu’où la suite de Jésus le mènera : donner sa vie comme le Christ.
Jésus a sûrement toujours de nouvelles choses à nous dire, mais il sait notre faiblesse, et que nous ne sommes « pas toujours capables de les porter » ; plus tard, peut-être pourrons-nous entendre ce qu’il veut nous dire. Jésus use toujours de pédagogie avec chacun de nous ; il part de ce que nous sommes, de nos faiblesses et de nos qualités pour nous mener là où il désire que nous allions.
C’est l’Esprit de vérité qui nous conduit avec douceur : « il vous fera connaître ce qui vient de moi » (Jn 16,13). L’Esprit Saint ne parle pas de lui-même, « il dira ce qu’il entend » (Jn 16,13) ; il est celui qui nous aide et qui aide l’Eglise à entrer dans la volonté du Seigneur.
Ce texte d’une grande densité est un des textes des Evangiles qui parle de la Trinité : Jésus évoque la communion d’amour entre le Père, le Fils et l’Esprit saint : « Tout ce que possède le Père est à moi… L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16,15). Ce que nous dit l’Esprit est ce qui vient du Père et du Fils ; ce qui est au Père et au Fils nous est communiqué par l’Esprit. Dieu se communique ainsi au croyant pour faire de celui-ci un être de communion, « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1,26-27).
Le Seigneur veut nous donner d’entendre les secrets de son amour pour notre plus grande joie, celle de nous savoir aimés.
- mardi 11 mai :
Chers frères et sœurs,
Jésus est un bon connaisseur du cœur de l’homme ; nous pouvons lui faire confiance pour son discernement, puisqu’il a l’Esprit en plénitude !
Et il perçoit avec une infinie compassion combien ses paroles sur l’avenir et le risque de rencontrer des oppositions son dures à entendre. Elles suscitent chez les disciples un vrai désarroi. Il annonce son départ et parle de malheurs, les laissant au milieu d’un monde hostile ; leur abattement doit se lire sur leur visage. Comment la « tristesse ne remplirait pas leur cœur » (Jn16,6) ? La tristesse contraste avec la joie accomplie dont parlait Jésus il y a quelques jours : « Que ma joie soit en vous, et que votre joie soit accomplie » (c’est le même mot qu’utilise Jésus : une tristesse accomplie, une joie accomplie : Jn 15,11). Les douze n’osent même plus lui demander où il va, tant est grande la tristesse qui les emplit.
Jésus n’hésite pas à les secouer par une de ses phrases paradoxales qui vous réveille de vos somnolences intérieures : « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille » (Jn 6 ,7). Il est certain que les disciples pensent le contraire à cet instant : son départ « brutal » n’annonce rien de bon. Alors comment imaginer que ce départ soit une bonne nouvelle ?
Jésus explique donc comment son retour vers le Père peut être positif pour eux : justement dans le don du « Défenseur », l’Esprit-Saint consolateur. Cette présence intime, permanente, est encore plus forte que la présence physique de Jésus : l’Esprit-Saint sera pour toujours avec les siens, comme il est toujours avec le Père et le Fils.
Bien sûr, comme souvent, pour le moment les paroles de Jésus ne sont pas immédiatement compréhensibles ; elles le deviennent après la résurrection qui ouvre l’ère de l’Esprit, l’ère de l’Eglise.
La venue de l’Esprit apporte le réconfort de savoir qu’il manifeste la victoire du Christ sur le Mal : Le Saint Esprit est la force pour lutter avec le Christ contre toute forme du mal en nos vies, il est la grâce pour vivre de la douceur de l’Evangile. C’est ce qu’exprime cette phrase un peu mystérieuse : « Quand il viendra, il établira la culpabilité du monde en matière de péché, de justice et de jugement » (Jn 16,8). Jésus est sans péché, il est le « juste » par excellence ; Le vrai péché dont parle Jésus est le refus de se livrer à l’amour. La résurrection signe la fin de la puissance du « prince de ce monde », qui n’est autre que Satan, le seul à être jugé : il « est déjà jugé » (Jn 16,9). Le Christ, quant à lui, est venu « non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,17). La puissance de l’amour est vainqueur du Mal ; en Christ le pécheur est libéré de tout Mal. Même si le Mal est encore présent en nos vies, et parfois nous tarabuste, l’Esprit-Saint nous donne l’assurance que le malheur n’a pas le dernier mot.
Le dernier mot est à la douceur du Christ, au pardon, et à l’Evangile de la joie.
- lundi 10 mai :
Chers frères et sœurs,
Nous sommes toujours au moment du départ de Jésus vers sa Passion ; il évoque à ses disciples la venue d’un « défenseur ». C’est l’Esprit-Saint qui désormais rendra témoignage pour le Christ et pour nous, en toutes choses.
Il est l’Esprit de vérité parce qu’il donne de connaître qui est Jésus : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur » (Jn 15,26).
L’Esprit rend témoignage au Christ dans son humiliation, en lui donnant la force de vivre la Passion, en lui donnant la force du pardon ; il lui rend aussi témoignage par la puissance de la Résurrection ; mais aussi par le don de cet Esprit qui en est fait dans le cœur des croyants.
C’est cet Esprit qui enverra à leur tour les disciples rendre témoignage de l’amour du Christ. Faibles et désarmés face aux contradictions, aux imprévus, aux souffrances, Jésus nous promet que nous sommes forts de la force de l’Esprit. Celui-ci donne la force dans la faiblesse du témoignage des apôtres : « Vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement » (Jn 15,27).
« Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9), comme le dira St Paul.
Le « scandale » dont Jésus veut nous protéger est celui du découragement ou de la fuite devant le risque d’être méprisés, ou pire encore, persécutés à cause de lui.
En toutes choses, même aux heures de la détresse, nous pouvons garder le cœur en paix grâce au « Défenseur » que Dieu nous donne : Le « Paraclet » en grec signifie : avocat, intercesseur, consolateur ; Dieu dans la Bible est le consolateur de son peuple : « Je suis celui qui te console » (Is 51,12) ; « Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai » (Is 66,13). L’Esprit-Saint est celui qui manifeste pour nous en toutes circonstances la douceur de notre Seigneur, comme la tendresse d’une mère qui console son enfant. Quelle magnifique image pour parler de l’Esprit-Saint !
L’Esprit est le lien d’amour entre le Père et le Fils, et il fait le lien entre les personnes humaines. Il nous donne de porter la paix du Christ et la communion à nos frères humains : « Ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix » (Ep 4,3).
Viens Esprit-Saint, « viens au secours de notre faiblesse » (Rm 8,26).
- dimanche 9 mai :
Chers frères et sœurs,
Au cœur de la Passion, après le dernier repas de Jésus avec ses amis, ces paroles de Jésus résonnent comme ses dernières confidences, son testament spirituel. Rien d’étonnant donc qu’il insiste tant sur l’amour : L’amour ne vient pas de l’homme : il trouve sa source dans le Seigneur.
Jésus a préparé ses disciples à ce qui l’attend, à quelques heures de sa Passion. Etrange paradoxe de parler de la joie dans ce contexte si tragique ! Jésus nous parle de sa joie profonde, cette joie qu’il veut communiquer à ses amis. Quelle est-elle donc ? « Le secret de la joie insondable qui habite Jésus… c’est l’amour ineffable dont il se sait aimé de son Père » (St Paul VI).
Jésus vit de la joie d’une communion toujours nouvelle avec le Père ; il vit de la joie de l’amour donné gratuitement. Cette joie est dans l’abandon radical entre les mains de son Père. Et il veut communiquer ce bonheur de l’amour du Père à ses amis, ceux que le Père lui a donnés. L’amour est la vraie source de la joie ; lorsque nos cœurs sont tristes et lourds, c’est souvent de ne pas aimer assez.
La joie que nous propose Jésus nous détourne de nous-mêmes. La joie n’est jamais solitaire. Elle se vérifie dans l’amour fraternel : il n’est pas de vraie joie qui soit égoïste (sinon c’est seulement la recherche égoïste d’un bien-être) ; tous les vrais amoureux vous le diront : l’amour est partage, sinon il n’est qu’illusion.
« La joie ne peut se dissocier du partage. En Dieu lui-même, tout est joie parce que tout est don » (St Paul VI, Réjouissez-vous dans le Seigneur).
L’amour ne peut être que partagé. La relation que Jésus veut vivre avec nous n’est pas une relation de supérieur à inférieur, ou de maitre à esclave ; bien plus grande que cela, elle est une relation d’amitié, donc d’égal à égal, de frère à frère, puisque nous sommes frères du Christ. Cela bouleverse toutes nos relations humaines, puisque la fraternité ne peut pas comporter d’exception ; et cela devrait être pour nous la source d’une joie profonde !
La joie du disciple uni au Christ et à ses frères est déjà la joie d’éternité qui relie le Fils au Père et qui déborde sur les disciples chacun de ceux qui lui sont unis.
Cette joie est l’œuvre de l’Esprit-Saint en nos cœurs. C’est pour cela qu’elle peut traverser les aléas et les souffrances de nos vies. Comme le Christ qui parle de sa joie au moment où il va être livré, moment de grande angoisse… Cette joie naît de la confiance en l’amour de Dieu qui nous soutient et nous prend par la main pour nous aider à traverser nos épreuves, quelles qu’elles soient.
Nous sommes invités à entrer dans une joie qui naît de l’amour réciproque entre le Père et Jésus, mais aussi entre Jésus et nous. : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit accomplie ». La joie de Jésus peut devenir la nôtre ! Parce que c’est d’abord Jésus qui veut demeurer en nous, trouver sa joie en nous : “Si quelqu’un m’aime nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure” (Jn 14,23). La joie ne se prend pas, elle nous est donnée, comme par surcroît, de la confiance que nous avons en l’amour de Dieu.
« La joie est un signe de la grâce. Celui qui est joyeux du fond du cœur, celui qui a souffert et n’a pas perdu la joie, celui‑là ne peut pas être loin du Dieu de l’Evangile, dont le premier mot au seuil de la nouvelle alliance est « réjouis‑toi » » (Benoît XVI). Marie témoigne de cette joie de la grâce.
Entrons dans la joie de Jésus, la joie d’un amour partagé avec tous.
- samedi 8 mai :
Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui Jésus ne nous berce pas de douces illusions ! Après nous avoir parlé d’amitié, de joie parfaite, voilà des paroles radicales qui assombrissent le ciel !
Comme parfois, nous aurions préféré que l’Evangile s’arrête avant ces paroles qui dérangent : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous » (Jn 15-18). Ecartons tout de suite un contre-sens : Jésus ne prône pas un sectarisme ni un fanatisme, ni un communautarisme (pour reprendre une expression à la mode) qui nous isolerait de notre monde dans une tour d’ivoire.
« Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12,46). Voilà le drame qui se joue dès le début de l’Evangile de Jean : les hommes préfèrent parfois l’obscurité plus que la lumière : « il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn1,11) ; « les hommes ont aimé les ténèbres, plus que la lumière » (Jn 3,19). Le combat de Jésus, sera d’apporter au monde la lumière de l’amour de son Père qui ouvre à la liberté, et à la vérité.
L’Evangéliste Jean méditera ce mystère de la haine dans sa première épître : « Ne soyez pas étonnés, frères, si le monde a de la haine contre vous. Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères » ( 1 Jn 3,13-14). L’amour de Dieu oblige à un choix radical, l’accueil ou le rejet. Le refus de l’amour peut hélas répondre au don gratuit du Christ. Jésus rappelle que cette « haine » peut être parfois de l’ordre d’une ignorance de l’amour de Dieu : « Les gens vous traiteront ainsi à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas Celui qui m’a envoyé » (Jn15,21).
Jésus nous parle du monde, ce monde que « Dieu a tant aimé », jusqu’à « lui donner son Fils » (Jn 3,16). Le monde est évoqué ici en termes négatifs, comme puissance de ténèbres, ignorant la lumière et l’amour de Dieu. C’est un thème traditionnel dans la Bible : Dieu a pris soin de sa vigne, mais celle-ci ne porte pas toujours les fruits qu’il en attendait. Pour autant, c’est bien ce monde, souvent ingrat, qu’il est venu sauver.
Etre uni à Jésus entraîne la communion à son destin : « Le Serviteur n’est pas plus grand que son maître » (Jn 13,16 ; et 15,20). Si Jésus a été haï, il est normal que nous ayons à faire face au même risque. Jésus a rencontré cette haine qui est « sans raison » (Jn 15,25). Ce n’est évidemment pas un encouragement à la haine : Jésus répond toujours à la violence par le pardon mille fois répété. « L’excès même de son amour serait-il cause de cet excès de haine ? », demande le père Blaise Arminjon dans un commentaire sur cet Evangile.
Souvent les chrétiens ont rencontré des oppositions, des échecs, le mépris, ou même les persécutions, et aujourd’hui encore en beaucoup de régions de notre monde.
Pourtant les paroles de Jésus sont une invitation à la confiance, puisque l’Esprit Saint veille sur nous et donne force et courage pour témoigner : les témoins faibles et désarmés ont en lui un « défenseur » : « Le Père … vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : c’est l’Esprit de vérité. » (Jn 14,16-17).
- vendredi 7 mai :
Chers frères et sœurs,
Le conflit et les tensions liées à l’accueil des païens dans l’Eglise trouvent leur résolution dans la paix et la communion grâce à l’assemblée de Jérusalem ; c’est un bel exemple d’écoute mutuelle de ce que l’Esprit dit par la bouche des baptisés ! « L’Esprit-Saint et nous-mêmes avons décidé… » : cette admirable formule pourrait passer pour de l’orgueil, mais c’est le signe de la confiance des premiers chrétiens en l’action de l’Esprit-Saint en leur cœur pour les aider à discerner cette question importante pour la communion dans l’Eglise : « L’Esprit-Saint vous enseignera tout » (Jn 14,26).
Une lettre apaisante est envoyée aux communautés ; celle-ci est communiquée à l’assemblée d’Antioche, qui est essentiellement d’origine païenne : la communauté l’accueille avec joie : « Tous se réjouirent du réconfort qu’elle apportait » (Ac 15,31).
Les chrétiens, nous rappelle Jésus dans l’Evangile de Jean, sont frères du Christ, « serviteurs » avec lui, mais bien plus encore ils sont « amis » du Christ, appelés à porter du fruit.
Il nous est bon de méditer ces trois conditions du baptisé que le Christ nous invite à vivre, les trois sont complémentaires et nous rapprochent de lui : servir, être les fils du Père, accepter de vivre en amis du Christ :
- Avec le Christ nous sommes serviteurs :
Jésus s’est fait serviteur de tous et comme lui, il nous envoie servir nos frères avec humilité, pour leur manifester l’amour du Père. C’est ce qui fait la grandeur de l’homme, comme nous le rappelle Jésus : « Nul n’est plus grand que le serviteur » (Mc 10,43). - Nous sommes frères du Christ :
Lorsque Jésus après la résurrection retourne auprès du Père, il nous appelle « mes frères » : quelle merveille de savoir que Jésus nous considère comme ses frères ! Nous sommes frères du Christ, et donc fils du Père et frères les uns pour les autres. L’Eglise est bien une communauté de frères : c’est ce que vit l’Eglise d’Antioche, au moment de l’assemblée de Jérusalem. - Nous sommes des « amis » pour le Christ :
« Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis » (Jn 15,15). Jésus nous offre une amitié inconditionnelle, qui ne vient pas de nos mérites, mais elle est un don, un cadeau totalement gratuit. Et paradoxalement, c’est en devenant serviteurs de nos frères comme Jésus, que nous sommes aussi ses amis ; nous avons à accepter d’entrer dans cette relation d’intimité avec Jésus : une amitié se reçoit comme un cadeau, mais aussi elle s’entretient, pour que notre relation avec lui soit toujours plus belle, plus proche, plus joyeuse.
Nous essayons de vivre cela en communauté d’Eglise : nous nous aidons mutuellement à être davantage serviteurs, frères et amis de Jésus.
- jeudi 6 mai :
Chers frères et sœurs,
Après un vif échange, Pierre, à qui Jésus a confié d’être le pasteur de ses brebis, prend la parole en premier lors de cette assemblée de Jérusalem. Il rappelle la présence de l’Esprit-Saint qui est donné à tous juifs, comme païens. « Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage en leur donnant l’Esprit Saint tout comme à nous, sans faire aucune distinction entre eux et nous » ( Ac 15,7-9). C’est bien une assemblée de la communauté qui se réunit pour décider ensemble ce que le Seigneur désire pour son Eglise : les versets 12 et 22 évoquent la foule qui entoure les disciples et les anciens.
Pierre se présente comme le premier à avoir annoncé la foi aux païens ; il est éclairé par la vision prophétique de Jaffa qui invitait à l’accueil fraternel et sans condition des païens ; il est aussi marqué par la conversion du centurion Corneille (Ac 10) : « Je l’ai compris, Dieu ne fait pas de différences entre les hommes » (Ac 10,34), puisqu’il donne l’Esprit-Saint à tous, sans faire de distinctions.
Pierre invite alors à ne pas faire porter aux nouveaux convertis un joug que « personne n’a eu la force de porter » (Ac 15,10) (ce sont les 613 commandements de la Loi qui ne suffisent pas à donner le salut). Remarquons avec humour que son discours est très… « paulinien », dans l’esprit !
Pierre connaît ses faiblesses, lui qui a renié Jésus, et il invite à se reposer en la force que lui donne le Christ ; tous, juifs comme païens, sont sauvés par la seule grâce de la croix de Jésus : « Nous le croyons, c’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous sommes sauvés, de la même manière qu’eux » (Ac 15,11). La foi est un don gratuit qui passe par des chemins différents pour chacun. Paul et Barnabé confirment ensuite les signes et les prodiges qui ont accompagné l’évangélisation des païens, comme un signe de la gratuité du salut.
Ensuite, Jacques, sans doute un homme très attaché à la Loi, mais qui a le souci de la communion dans la communauté, prend la parole à son tour ; il parle au nom des anciens. Il va relire les paroles de Pierre, puis donner au nom des anciens son avis sur la question de l’accueil des païens dans la communauté. Il propose un « compromis » : on n’impose pas la circoncision aux nouveaux convertis, mais seulement quelques interdits. C’est la solution qui sera retenue.
La communion dans l’Eglise est un don de l’Esprit-Saint qui est à l’œuvre et qui continue l’action du Christ. Si nous accueillons l’Esprit en nos vies, nous aurons la joie du Christ en plénitude (Jn 15,11).
Rendons grâce pour l’Esprit-Saint qui continue à agir en son Eglise !
- mercredi 5 mai :
Chers frères et sœurs,
Lorsqu’Etienne a été lapidé, les chrétiens ont quitté Jérusalem et se sont dispersés. Ainsi commença paradoxalement l’évangélisation des nations ; les persécutions n’ont pas empêché l’Evangile de se répandre grâce à l’Esprit-Saint. La mort d’Etienne devient une semence pour la mission. Les disciples commencent à prêcher aux non-juifs devant le refus de nombre de juifs de les écouter. Antioche est devenue un lieu de foi pour les païens qui se convertissent au Christ. Des réticences naissent face à l’accueil en nombre de ceux qui n’ont pas reçu le signe d’appartenance au peuple de Dieu, la circoncision. Pour suivre le Christ faut-il d’abord être juif ? Au fond il s’agit de savoir s’il faut être intégré au peuple de Dieu pour être sauvé.
Un dilemme se pose alors pour l’accueil des païens dans la communauté composée de juifs observant la Loi de Moïse : faut-il ou non obliger les nouveaux venus à être circoncis ? La question est sérieuse, même si la réponse nous apparaît très claire aujourd’hui. Autrement dit, c’est la question des conditions du salut qui est posée par les puristes : « Si vous n’acceptez pas la circoncision selon la coutume qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. » (Ac 15,1). Ces heurts sont suffisamment vifs, pour produire un : « affrontement ainsi qu’une vive discussion » (Ac 15,2).
La grâce de Dieu peut-elle être accordée sans suivre les prescriptions que le Seigneur a données à son peuple ? Le centurion Corneille vient d’être baptisé par Pierre. C’est l’amour gratuit du Père qui est à l’œuvre : « Les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » (Ep 3,6). Paul et Barnabé pensent sans doute qu’imposer la circoncision serait un frein pour l’évangélisation. Paul, le juif fervent, a sans doute pesé dans ce débat, lui qui dira aux chrétiens de Galatie tentés de revenir à des pratiques « légalistes » : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. Moi, Paul, je vous le déclare : si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous sera plus d’aucun secours » (Ga 5,1-2).
Pour réfléchir à l’accueil des nouveaux baptisés non issus du terreau du peuple de Dieu, il est décidé de monter à Jérusalem pour consulter les apôtres et les anciens : ce sera le premier concile de l’Eglise. Paul et Barnabé vont partager leur question à Pierre et à Jacques.
Cette arrivée massive de non-juifs qui se font baptiser est sans doute un signe de la grâce à l’œuvre qui compte pour le débat : « Ils traversèrent la Phénicie et la Samarie en racontant la conversion des nations, ce qui remplissait de joie tous les frères. À leur arrivée à Jérusalem, ils furent accueillis par l’Église, les Apôtres et les Anciens, et ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 15,3-4). La joie des communautés de voir que le Christ accueilli par tous est vive ; les disciples racontent sans doute avec enthousiasme, tout ce que le Seigneur « avait fait avec eux » ; la grâce de Dieu agit de façon visible par les mains des disciples.
C’est bien l’Esprit-Saint qui va présider ces débats de l’assemblée de Jérusalem pour guider l’Eglise, comme il continue à le faire en 2021.
- mardi 4 mai :
Chers frères et sœurs,
Nous avons entendu hier que nous pouvons accomplir des œuvres plus grandes que celles que Jésus a faites : : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père » (Jn 14,12) ; en voici l’explication : ces œuvres sont liées à la présence de l’Esprit Saint en nous qui nous donne de continuer ce que Jésus a fait : son action se prolonge par nos mains, par nos paroles, au long des siècles. Cet Esprit-Saint est le don du ressuscité pour nous guider sur les chemins de son amour.
C’est l’Esprit-Saint qui est la source de cette paix que nous promet Jésus : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix… Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé… Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie … » (Jn 14, 27-28). Cette paix n’est pas celle du monde qui n’est que passagère, fragile et aléatoire ; Jésus nous donne SA paix, celle qui habite son propre cœur ; elle met en notre cœur la confiance que Jésus est avec nous, et en nous ; elle est une source de joie profonde et durable.
« Je m’en vais, et je reviens vers vous » (Jn 14,28) : contrairement aux apparences, Jésus ne se contredit pas : lorsqu’il s’en va vers le Père, il nous rejoint en une plus grande proximité encore dans le don de l’Esprit-Saint répandu « sans mesure ».
Nous sommes toujours après le repas du jeudi Saint, lorsque Jésus annonce son retour : c’est l’Ascension que nous fêterons bientôt. Ce départ ne doit pas bouleverser, mais doit être une source de joie, tellement grand est l’amour du Père pour son Fils Jésus : l’amour du Père est pour le Christ une source inépuisable. « J’aime le Père » : phrase d’une densité indépassable ; on est proche de l’indicible, du cœur ardent du Fils pour son Père. Jésus nous partage le secret de son amour pour le Père : il est venu pour que nous ayons la vie. Il a pris chair pour nous donner part à l’amour infini du Père, à sa tendresse pour nous.
« Le Père est plus grand que moi » (Jn 14,28) : le Fils serait-il donc plus petit que son Père ? Cette phrase de Jésus est surprenante ; elle a fait couler beaucoup d’« encre théologique » : elle a même donné une hérésie, l’hérésie d’Arius : celui-ci considérait Jésus comme inférieur au seul vrai Dieu, faisant fi de la Parole de Jésus : « Le Père et moi nous sommes un » (Jn 10,30). Pour bien comprendre cette Parole de Jésus, il faut y entendre l’humble amour du Fils qui n’est pas pour autant plus petit que le Père puisqu’il est un avec lui, et que le « Père a tout remis dans sa main » (Jn 3,36). Le Fils est bien l’égal du Père quand il s’abaisse pour nous sauver : en Jésus c’est bien le Père qui nous sauve.
Comme St Paul le chante dans l’hymne aux Philippiens : « Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,11).
Que la paix du Ressuscité ne cesse pas d’habiter notre cœur !
- lundi 3 mai :
Chers frères et sœurs,
Dans l’Evangile de Jean, Philippe est un proche de Pierre et André, il est originaire comme eux de Bethsaïde ; il est un des douze appelés par Jésus. C’est un missionnaire dans l’âme, puisqu’immédiatement après avoir rencontré Jésus il va trouver Nathanaël pour le conduire auprès de lui (Jn 1,43-48) ; Nathanaël très dubitatif, lui répond : « De Nazareth ! Que peut-il sortir de bon ? ». Philippe n’est pas déstabilisé et lui répond avec conviction : « Viens et tu verras ! » (Jn 1, 46). Philippe se comporte en vrai témoin : il propose à son ami de faire lui-même une rencontre personnelle avec Jésus.
Il sera encore présent lors de la multiplication des pains (Jn 6,5) ; et aussi, avec André, il se fera l’interprète des gens de culture grecque qui cherchent à voir Jésus (Jn 12,20) : là encore il se fera un intermédiaire convaincant pour les présenter à Jésus. Si on osait cet anachronisme, on dirait qu’il est vraiment un bon évangélisateur qui part de la demande de ceux qu’il croise sur sa route.
Dans le texte proposé pour sa fête (ainsi que celle de Jaques le fils d’Alphée, moins présent dans les Evangiles : il est aussi l’un des douze apôtres), on voit encore Philippe intervenir dans le dialogue avec Jésus. Nous sommes toujours après la Cène et les annonces attristantes que nous avons méditées vendredi dernier.
Jésus déclare que pour le connaître il faut aussi connaître le Père (Jn 14,7), Philippe réclame alors de la part de Jésus une manifestation éclatante du Père : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » (Jn 14,8). C’est une demande un peu incongrue ; en effet dans la Bible on ne peut pas voir Dieu sans mourir… Sa question aide Jésus à entrer plus en profondeur dans le mystère de sa relation au Père.
Jésus est toujours bienveillant dans sa réponse (un exemple à suivre !) : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : “Montre-nous le Père” ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! » (Jn 14,9-10).
Dans le Prologue de l’Évangile, Saint Jean disait : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître » (Jn 1, 18).
A Philippe, Jésus laisse « entendre qu’il est possible de le comprendre non seulement à cause de ce qu’il dit mais encore bien davantage par ce qu’il est tout simplement. Pour nous exprimer selon le paradoxe de l’Incarnation, nous pouvons bien dire que Dieu s’est donné un visage humain, celui de Jésus, et, par conséquent, désormais, si nous voulons vraiment connaître le visage de Dieu, nous n’avons qu’à contempler le visage de Jésus ! En son visage, nous voyons réellement qui est Dieu, comment est Dieu ! » (Benoît XVI, 6/9/2012)
Méditant sur la personne de Philippe, notre ancien pape ajoute : « Philippe nous apprend à nous laisser conquérir par Jésus, à être avec lui, et à inviter aussi les autres à partager cette indispensable compagnie. Et en voyant, en trouvant Dieu, à trouver la vie véritable ».
Philippe nous apprend à être témoins du Christ en toute rencontre, et à nous étonner de faire de plus merveilleuses œuvres que Jésus lui-même (ce qui est difficile à voir et encore plus à croire pour nous !) : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père » (Jn 14,12).
- dimanche 2 mai :
Chers frères et sœurs,
Jésus nous parle de ce lien fort et de l’attachement entre lui et nous, entre le cep et les sarments que nous sommes. Ce lien est si intime que Jésus ne peut rien refuser à celui qui demeure en lui : « Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous » (Jn 15,7).
Jésus exprime son profond désir de communion entre lui et nous. « Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15,4). Jésus ne nous dit pas : « bougez-vous, faites un effort, escaladez la montagne escarpée qui conduit à Dieu » … Non, il nous dit « Demeurez », « restez-là », « avec moi ». Là où nous sommes, le Christ nous a déjà rejoint : il a fait sa demeure en notre cœur. « Demeurer en Jésus », c’est donc d’abord le laisser faire sa demeure en nous.
Dans cet Evangile, deux expressions sont comme un refrain : huit fois le mot « fruit » revient, et sept fois l’expression « en moi ». Un verbe les relie, « demeurer » (sept fois). C’est donc en demeurant dans l’amour de Jésus, comme les sarments demeurent sur le cep, que chacun de nous porte du fruit. Plus le lien est fort, plus la vie de Dieu se communique.
« Nous avec Jésus » : La vie nous vient du Seigneur qui la fait croître en nous. Jésus est en nous et nous sommes en Jésus. Nous portons en lui des fruits colorés par nos dons, sans distinguer ce qui est de Dieu et ce qui est de nous.
Comment porter du fruit ? Quels fruits le Seigneur attend-il de chacun de nous ?
Jésus est la vigne, nous en sommes les sarments, les pousses. Et une pousse ne peut vivre sur l’arbre que s’il est rattaché à l’arbre, et s’il se nourrit de la sève de l’arbre : de même nous porterons vraiment de beaux fruits d’amour, de pardon, d’écoute, de solidarité, de communion, seulement si nous sommes reliés intimement à Jésus.
Jésus nous invite à développer nos liens avec lui : la prière, les sacrements, le service de nos frères : les trois sont nécessaires.
« Jésus est le ciel descendu dans notre cœur, puisque Jésus y demeure désormais, et notre cœur est déjà au ciel, puisque nous demeurons en Jésus » (dom Louf). Curieuse vigne dont les racines sont au ciel et les sarments vers la terre !
L’image de la vigne montre deux orientations paradoxalement complémentaires de nos vies de foi : la stabilité, la permanence en l’amour du Christ : « Demeurez en moi » ; et le mouvement : le Père nous émonde, et transforme le sarment pour une fécondité permanente. Le chrétien ne peut demeurer dans le Christ sans être transformé, ni être transformé sans demeurer.
Nous sommes invités à grandir dans le Christ et être fidèle à nos engagements.
« Demeurer en Jésus — et cela est la chose la plus difficile — signifie faire ce qu’a fait Jésus, avoir la même attitude que Jésus » (pape François, 3/5/2015). Demandons cette grâce que la vie même de Jésus féconde nos paroles, nos gestes, notre quotidien…
- samedi 1er mai :
Chers frères et sœurs,
Le 1° mai au jour des défilés des syndicats, l’Eglise ne se défile pas, puisque nous fêtons saint Joseph travailleur.
« Si vous voulez être proche du Christ, Nous vous répétons aussi aujourd’hui : « Allez à Joseph ! » (Gn 41, 55) » ; Ces paroles sont prononcées par Pie XII pour le 1° mai 1955 où il institue la fête liturgique de saint Joseph ouvrier.
Il décrit les rapports familiers de Jésus avec son père adoptif : « Le Cœur du Sauveur palpitait d’amour, toujours en harmonie parfaite avec sa volonté humaine et avec son amour divin, quand il avait des entretiens célestes avec sa douce mère, dans la maisonnette de Nazareth, et avec son père putatif Joseph auquel il obéissait comme fidèle collaborateur dans le métier fatigant du menuisier » (Pie XII, Haurietis aquas).
Le texte d’Evangile proposé en ce jour (Mt 14,54-58) nous parle du manque de foi des proches de Jésus. Ses compatriotes sont étonnés de sa sagesse, mais ils s’interrogent sur sa personnalité. C’est ce qui arrive quand on croit trop bien connaître quelqu’un, nos lunettes déforment la réalité : on connaît la famille de Jésus, son père est simple charpentier, comment peut-il donc faire tout ce qu’il fait, être rempli de sagesse et faire des miracles ? Leur regard trop humain ne voit que l’homme, Jésus, qui a appris son métier d’artisan pendant 30 ans ; comment un tel homme pourrait-il être prophète ? Le fait que Jésus, le Fils de Dieu, ait appris un métier interroge sur la place du travail dans notre société…
Dans notre monde postmoderne de loisirs, il n’est pas très simple de donner sa juste place au travail ; celui-ci est de plus en plus extérieur à l’homme ; il est le plus souvent compris comme une tâche nécessaire à accomplir, mais il n’est plus perçu comme un lieu d’épanouissement, ni de création.
Voici ce qu’en disait le pape François, il y a un an, le 1° mai 2020 :
« Dieu livre son activité, son travail, à l’homme, pour qu’il collabore avec Lui. Le travail humain est la vocation reçue de Dieu et rend l’homme semblable à Dieu parce qu’avec le travail l’homme est capable de créer. Le travail donne de la dignité. Une dignité si piétinée dans l’histoire. Aujourd’hui encore, il y a beaucoup d’esclaves, des esclaves du travail pour survivre : travail forcé, mal payé, avec une dignité bafouée. La dignité des gens est enlevée. Là aussi, cela arrive, avec les travailleurs journaliers au salaire minimum, avec la bonne qui n’est pas payée au juste montant et qui n’a pas la sécurité sociale et la pension. C’est ce qui se passe ici : c’est le piétinement de la dignité humaine. Toute injustice faite au travailleur est une atteinte à la dignité humaine.
Et c’est le travail qui rend l’homme semblable à Dieu, parce qu’avec le travail l’homme est un créateur, il est capable de créer, de créer beaucoup de choses, même de créer une famille pour continuer. L’homme est un créateur et crée avec le travail. C’est sa vocation. Et il est dit dans la Bible que « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon.” C’est-à-dire que le travail a en lui une bonté et crée l’harmonie des choses – la beauté, la bonté – et implique l’homme dans tout : dans sa pensée, dans son action, dans tout. L’homme est impliqué dans le travail. C’est la première vocation de l’homme : travailler. Et cela donne de la dignité à l’homme. La dignité qui le fait ressembler à Dieu. La dignité du travail » (Homélie Ste-Marthe).
- vendredi 30 avril :
Chers frères et sœurs,
On comprend facilement que l’ambiance soit lourde lorsque Jésus prononce ces mots de l’Evangile (Jn 14,1-6) ; le dernier repas vient d’avoir lieu, Jésus annonce de la trahison de Judas, et le reniement de Pierre ; on comprend que les disciples soient déboussolés et attristés ; la Passion est proche. Dans ce temps où l’angoisse est palpable, Jésus a conscience du désarroi des douze, et il leur donne avec délicatesse des Paroles de réconfort.
« Que votre cœur ne se trouble pas » (Jn 14,1). Jésus invite à la confiance en son Père et en lui : « Vous croyez en Dieu : croyez aussi en moi ».
C’est une indication précieuse lorsque nous traversons des moments de trouble, de brouillard, ou même de tempête, il nous faut revenir à la boussole de la confiance en l’amour du Seigneur pour nous.
Plus encore, Jésus ouvre une espérance, au-delà de ce moment d’une densité rare, avec des paroles douces, pleines de tendresse : « Je pars vous préparer une place » (Jn 14,3). Cela devrait être une source de paix du cœur de savoir que Jésus « reviendra nous prendre avec lui ».
Vaste est la demeure où le Père nous attend dans notre diversité humaine. Une place tout près du Christ : « afin que là où je suis, vous soyez vous aussi ». Le croyant est invité à participer à la relation du Fils au Père.
Facétieux sans doute, peut-être pour amener ses disciples à réagir, Jésus leur dit qu’ils « connaissent le chemin » pour aller où lui Jésus va. Et cela ne manque pas d’avoir son effet sur Thomas, toujours entier et qui n’a pas sa langue dans sa poche : « Seigneur, nous ne savons où tu vas ; comment en saurions-nous le chemin ? » (Jn 14,5). Sans doute a-t-il à l’esprit uniquement une destination concrète à atteindre, qu’il ne connaît pas.
Pourtant il n’y a pas besoin de cartes, ni de GPS pour rejoindre Jésus… « Je suis le chemin », leur dit le Christ : la route, c’est le Christ qui nous conduit au Père ; avec lui, on est sûr de ne pas se perdre, de ne pas prendre des impasses.
Le chemin dans la Bible symbolise aussi la Sagesse et la Loi : « Ta Parole, une lumière pour ma route » (Ps 118,105).
Et il ajoute : « Je suis la vérité » : c’est le roc dans la Bible : notre « amen », dit cela : c’est vrai, c’est sûr, je peux m’appuyer sur Dieu, mon rocher ; c’est pour cela que Jésus ne cesse pas d’attirer à lui. ; puis il continue : « Je suis la vie », comme le Père l’est ; la vie, c’est le don de Dieu, c’est la relation entre Dieu et les hommes, dans la pensée biblique. C’est pour nous donner la vie de Dieu que Jésus a pris notre chair en venant en notre monde.
Prenons avec confiance le chemin du Christ, puisque dans sa tendresse il nous prépare une place auprès de lui dans l’amour.
- jeudi 29 avril :
Chers frères et sœurs,
« L’amour de l’Eglise me brûle et me consume » : Nous fêtons en ce jour Ste Catherine de Sienne, de spiritualité dominicaine ; elle est pour nous un bel exemple d’amour inconditionnel de l’Eglise, en des temps de tourmente, le XIV° siècle : la peste ravage l’Europe, la guerre de cent ans fait rage, L’Eglise est déchirée….
Elle a la passion de l’Eglise et ne cessera pas d’agir et de prier pour sa réforme : l’Eglise est en effet en plein schisme, divisée entre deux papes. C’est une mystique, mais aussi une femme audacieuse qui n’hésitera pas à intervenir auprès des papes pour la paix et l’unité de l’Eglise. Elle contribuera par son action au retour de Grégoire XI à Rome.
Illettrée, femme et laïque, son aura n’en est que plus étonnante. Et l’Eglise l’a faite docteur de l’Eglise !
Tout entière donnée au Seigneur, elle entend le Christ lui dire : « Occupe-toi de moi, je m’occuperai de toi ». Elle est une « âme de feu », une passionnée du Seigneur.
Ce qui la caractérise aussi est sa simplicité qui résonne bien avec le texte d’Evangile de ce jour : (Mt 11,25-30) « Fais-toi la plus petite des petits pour ouvrir les écluses de la miséricorde infinie, pour te permettre toutes les audaces et te mettre au service de toutes les entreprises rédemptrices ».
Elle ne cessera pas de rendre grâce pour l’amour passionné de Dieu pour l’humanité : « Dieu en regardant en lui-même, se passionna pour la beauté de sa créature, et comme transporté d’amour, il la créa à son image et à sa ressemblance ». Son action de grâce rappelle celle de Jésus dans l’Evangile.
Jésus exulte sous l’action de l’Esprit-Saint, alors même que son message n’est pas toujours reçu. Mais sa joie est de voir la foi des « tout-petits ». Les sages et les savants en savent peut-être trop, mais les petits font confiance ; les petits et les humbles, eux, savent qu’ils ne savent pas. Pour accueillir Jésus il faut se trouver là où il vient à notre rencontre : « Laissez les petits enfants venir à moi, le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent » : Jésus est ce tout-petit à qui il nous faut ressembler et à qui nous pouvons faire toute confiance. Ste Catherine dira du Christ : « En te faisant petit, tu as fait l’homme grand ». C’est tout le mystère de l’incarnation qui habite le cœur enflammé de cette femme morte d’épuisement à 33 ans.
Dieu soit loué pour l’audace de ses « tout- petit(e)s » qui nous édifient, qui nous construisent par leur amour du Seigneur, par leur amour de son Eglise.
- mercredi 28 avril :
Chers frères et sœurs,
Jésus vient d’entrer à Jérusalem où il est acclamé par les foules ; il vient juste d’annoncer l’heure de la passion, avec l’image du grain de blé qui tombe en terre pour porter du fruit (Jn 12,24). Jésus ne cesse pas de rencontrer des oppositions ; à tel point qu’il est obligé de se cacher, parce que les hommes ont préféré les ténèbres à la Lumière : « Jésus s’en va et se cache loin d’eux » (Jn 12,38). Mais Jésus continue sa mission malgré tous ces échecs et ces déceptions.
Jean médite sur le mystère du refus de l’homme d’accepter la Parole de vie. Qu’est-ce qui fait que l’homme peut s’obstiner à rester dans les ténèbres et à ne pas entrer dans la lumière ? Mystère insondable de la liberté de la personne humaine. Les motivations de ces difficultés à entrer dans la foi, nous le savons bien, sont multiples ; elles sont rarement le refus de Dieu. La manière d’être de Dieu reste parfois incompréhensible ou inaccessible à l’homme, malgré ses recherches.
C’est donc à un cri de Jésus que nous assistons en ce matin : « Jésus cria et dit » (Jn 12,44).
Deux autres fois dans l’Evangile de Jean, Jésus pousse un cri : « Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive » (Jn 7,28-37). Ces cris sont de désir et de supplication envers les hommes.
Le cri de Jésus est ici pour inviter à croire en l’action de son Père en lui : « Celui qui me contemple, contemple Celui qui m’a envoyé » (Jn 12,45).
Jésus insiste sur sa Parole à accueillir : elle est efficace et accomplit les vouloirs de son Père, en guérison, en signes, en paroles de vie… Il ne vient pas pour juger nos refus, mais pour donner la vie, pour « sauver le monde » et donc l’humanité.
Tout ce que dit, tout ce que fait, tout ce qu’accomplit Jésus vient du désir de son Père : « Les choses dont je parle, j’en parle comme le Père me les a dites » (Jn 12,49).
Jésus résume aussi sa mission, comme elle était annoncée dans le prologue de l’Evangile, sur le thème de la Lumière qu’il vient donner au monde : « Moi qui suis la Lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12,46). Jésus renvoie l’homme à la liberté de croire à la Lumière qu’il vient porter au monde. La foi illumine nos ténèbres : « La foi n’est pas une lumière qui dissiperait toutes nos ténèbres, mais la lampe qui guide nos pas dans la nuit, et cela suffit pour le chemin » (pape François, La lumière de la foi 57). Quiconque garde le cœur ouvert est assuré de l’amour du Père qui est sans faille. Dieu seul connaît le secret des cœurs !
Telle est la confiance que nous devons avoir pour nos proches qui ont du mal à entrer dans la foi. Rien ne peut nous séparer de l’amour du Père (Rm 8,39).
- mardi 27 avril :
Chers frères et sœurs,
C’est l’hiver (dans le texte de St Jean, je vous rassure), lors de la fête des Tentes exalte la lumière et le rôle du Messie ; Jésus est au Temple, où l’on fête sa dédicace ; c’est après la guérison de l’aveugle-né qui divise les juifs entre défenseurs de Jésus et ceux qui l’accusent de « délirer » et d’agir comme un possédé, « d’avoir un démon » (Jn 6,20) ; on n’y va pas de main morte dans les accusations. Jésus en sortira en instance d’arrestation et de lapidation (Versets 31 et 39). La tension monte contre lui.
Un nouvel échange vif surgit entre Jésus et des juifs ; en St Jean, c’est comme le début du procès du Christ ; on fait cercle autour de lui, on l’interroge non pas pour se laisser convaincre, mais pour le prendre en faute : on le somme de « dire ouvertement » qu’il est bien le Messie. La question n’est pas bienveillante. On sent la hargne des opposants au Christ derrière ces mots.
Jésus répond, imperturbable et toujours calme et doux, sur le thème de l’unité :
– Jésus revient inlassablement sur le lien profond de communion qui l’unit à son Père : « Le Père et moi, nous sommes un » (Jn 6,30) : Comme il y a un seul troupeau et un seul Pasteur, il y a unité entre le Père et le Fils. Cela même est suspect pour un juif fervent : se dire l’égal du Dieu unique, cela sent le soufre !
– Jésus insiste aussi sur la logique du « dire » et du « faire » ; on ne peut pas séparer l’un de l’autre. « Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais, moi, au nom de mon Père » (verset 25) : autrement dit, au-delà de mes Paroles, regardez les actes que je fais au nom de mon Père, ils répondent à la question de sa messianité. Ses œuvres témoignent qu’il est Fils de Dieu.
« Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père » (Jn 6,29) : Jésus revient sur l’image si douce du Berger et de ses brebis, en rappelant que les croyants, les brebis de son peuple, sont dans les mains tendres du Père ; celui-ci les a confiées à son Fils. Ce don du Père au Fils ne peut pas disparaître.
Jésus mène à son achèvement le projet de son Père qui est de mener l’humanité, les brebis au repos de « la vie éternelle ».
C’est avec confiance que nous désirons suivre un tel Berger qui nous mène vers les pâturages infinis !
- lundi 26 avril :
Chers frères et sœurs,
Jésus est « la porte » ? Drôle d’image… « Prenez la porte ! » : Serait-ce le retour de traumatismes d’enfance, lorsqu’on nous disait cela pour manifester que l’on avait dépassé les « bornes des limites » ? Je plaisante bien sûr, nous avons tous été des enfants sages à l’école.
Jésus avant de se dire le « Bon Pasteur », est aussi et d’abord « la porte ».
Nous avons pourtant plus de mal à identifier Jésus à une « porte ». L’image nous parle moins que celle du berger plein de tendresse pour ses brebis…
« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée… » ; ce proverbe de Musset nous invite à prendre une décision claire ; Jésus est la porte toujours ouverte sur l’amour du Père. « Personne ne va vers le Père sans passer par moi » (Jn 14,6). Il nous est impossible de contourner cette porte ouverte sur l’infini qu’est le Christ pour nous.
Les portes de nos maisons sont des lieux de passage, d’accueil, d’ouverture (ou de fermeture : il arrive que l’on tombe sur une porte fermée !). Les portes du ciel s’ouvrent pour donner aux hommes les bénédictions de Dieu. C’est par une porte de Jérusalem, celle qui ouvre vers le Temple, à l’orient, là où se lève le soleil, que le peuple hébreu attendait la venue du Messie.
Dire que Jésus est la porte, c’est dire qu’il nous ouvre le chemin de la vie, le chemin de Dieu et du salut : « Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance ». « Celui qui passe par moi sera sauvé ». Nous sommes invités à passer par Jésus.
La porte est aussi ce qui nous permet d’entrer dans l’intériorité de notre cœur, de notre être profond : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20). C’est là où nous entendons la voix du Bon Pasteur nous parler de l’amour du Seigneur pour nous.
Mais la porte ne donne pas seulement accès à notre intériorité, elle est aussi ce qui nous ouvre au monde, ce qui nous envoie à l’extérieur. Si Jésus ressuscité apparaît à ses disciples cadenassés, toutes portes closes, c’est pour les envoyer témoigner de son amour au monde dans le souffle de l’Esprit-Saint.
Les brebis chaque matin attendent la venue du berger ; ils l’attendent devant la porte de l’enclos. Les brebis ne peuvent pas confondre leur berger avec « les mercenaires » ou « les voleurs » ; la voix de leur Pasteur, elles la reconnaissent entre mille. Et leur berger connaît chacune par son nom. Chacune est unique pour lui, aimée, préférée. C’est bien ainsi que le berger prend soin de ses brebis.
« L’un des signes du bon berger est la douceur, c’est la douceur. Le bon berger est doux… le berger est tendre, il a cette tendresse de proximité, il connaît les moutons un à un par leur nom et s’occupe de chacun comme s’il était le seul » (Pape François, Homélie Ste Marthe, 3/5/2020).
Ne nous trompons pas de porte en ce jour ! Elle est toujours ouverte…
- dimanche 25 avril :
Toute cette semaine, nous avons entendu Jésus nous dire dans l’Evangile de Jean : « Je suis le pain de vie » ; aujourd’hui nous entendons Jésus nous dire « Je suis le Bon Pasteur ». C’est parce qu’il est le Fils de Dieu qu’il peut dire « Je suis » ; c’est ainsi que Dieu se définit pour Moïse devant le Buisson ardent qui brûle sans se consumer. Il y a un lien profond entre le discours sur le pain de vie et celui sur le Bon Pasteur : « Jésus, le Verbe de Dieu incarné, n’est pas seulement le pasteur, mais il est aussi la nourriture, le vrai « pâturage ». Il donne la vie en se donnant lui-même, lui qui est la vie » (Benoît XVI, Jésus p. 306). « Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10,11). Jésus se fait nourriture pour les siens : c’est le repas de l’eucharistie où le Pasteur se fait agneau livré pour notre vie.
Cette belle image du Bon Pasteur (Jn 10,11-18) où Jésus nous parle de lui-même nous va droit au cœur : elle nous dit une intimité réciproque entre le berger et ses brebis, entre Jésus et chacun de nous. Jésus est celui qui nous connaît plus que nous-mêmes ; ce troupeau n’est pas pour le Bon Pasteur une masse informe. Chacun de nous est unique aux yeux de Dieu.
« Le Bon Pasteur — Jésus — est attentif à chacun de nous, il nous cherche et nous aime, en nous adressant sa parole, en connaissant en profondeur notre cœur, nos désirs et nos espérances, ainsi que nos échecs et nos déceptions. Il nous accueille et nous aime comme nous sommes, avec nos qualités et nos défauts » » (Pape François, 12/5/2019).
Jésus nous guide avec amour, nous conduit, et parfois nous porte sur nos sentiers abrupts ; et dans nos impasses, il vient rechercher la brebis égarée pour la prendre avec affection sur ses épaules Il veille sur celles qui sont faibles. Et il cherche à faire entrer toutes ses brebis dans l’intimité aimante de son Père.
Par quatre fois, Jésus insiste sur son amour donné librement, sans condition : « Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis » (versets 11-15-17-18). Avec un tel Pasteur plein de tendresse pour nous, nous pouvons avancer avec une totale confiance ! Il ne nous abandonnera jamais et veille sur chacun de nous. Jésus ne marchande pas avec nous, il ne met aucune pression, ni séduction ; son amour nous est totalement acquis, quoiqu’il arrive. Ce sont seulement les « bergers mercenaires » (aujourd’hui on dirait des « manipulateurs ») qui ne cherchent que leur intérêt et non celui de leurs brebis.
Et bien sûr notre réponse à l’amour de ce Bon Pasteur ne peut être que de totale confiance et d’abandon entre ses mains : « Elles écoutent ma voix » (Jn 10,3), « Ecouter et reconnaître sa voix, en effet, implique une intimité avec Lui… Cette intimité avec Jésus, ce fait d’être ouvert, de parler avec Jésus, renforce en nous le désir de le suivre » (Pape François, id).
Si nous voulons vraiment répondre à l’amour du Bon Pasteur, nous devons chercher à lui ressembler. Chacun de nous, à un moment ou un autre est le berger d’un ou de plusieurs autres (familles, amis, proches…) : alors il nous faut entrer dans la manière dont le Christ est le vrai Pasteur : il nous faut veiller sur les autres, particulièrement le plus faible, révéler la beauté de l’autre, le mettre en valeur, écouter vraiment, sans chercher son propre intérêt…
Cette intimité n’est pas réservée à « un troupeau d’élite » : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix » (Jn 10,16). Nous ne pouvons pas aimer les autres si nous ne portons pas comme Jésus en notre cœur l’amour de tous. C’est ainsi que nous sommes vraiment nés de Dieu : « Celui qui aime est né de Dieu » (1 Jn 4,7).
Priez aussi pour ceux qui sont vos Pasteurs au nom de Jésus, pour qu’ils soient de bons bergers pour ceux et celles qui leur sont confiés. Prions pour les vocations ! Prions en particulier pour le Père Joseph qui peut enfin rentrer au Vietnam dans son diocèse, confions le nouveau ministère qui lui sera confié, en action de grâces pour ce qu’il a apporté à la paroisse et au doyenné !
- samedi 24 avril :
Chers frères et sœurs,
Les disciples sont mis devant un choix de vie, et par conséquent nous-mêmes aussi ; personne ne peut échapper à cette décision de la foi : les Paroles de Jésus sont-elles « trop rudes » pour que nous les écoutions ? Ou bien au contraire sont-elles les « Paroles de la vie éternelles » ?
Les Paroles de Jésus font parfois face à une opposition ou une incompréhension ; on y est plus habitué de la part des juifs fervents et stricts que de la part des proches de Jésus : « Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent :« Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » (Jn 6,60). Sans doute voudrait-on parfois que Jésus adoucisse certaines de ses Paroles qui nous paraissent un peu raides. Cela me fait penser à la parole d’un prêtre à propos des Evangiles, qui disait que Jésus nous propose d’être « le sel de la terre » et non pas le sucre !
Ce ne sont pas quelques-uns seulement, mais beaucoup qui sont choqués par ses Paroles et se dérobent ! Pourquoi donc ? C’est sans doute l’annonce de sa vie livrée qui ne peut pas être acceptée par les disciples toujours en attente d’un Messie puissant. Ce qui provoque ces départs ce sont ses mots qui évoquent sa chair offerte et son sang répandu. « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ? » (v.62) La foi conduit l’homme à la croix. L’eucharistie par laquelle le Christ vient vers chaque homme et se donne à lui, est liée au don sur la croix.
Jésus invite à comprendre ses Paroles non pas matériellement, « selon la chair », mais dans la force de l’Esprit-Saint : « C’est l’Esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien » (Jn 6,63). Et Jésus évoque, comme une perspective qui ouvre un avenir, son ascension : « Quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ! » (Jn 6,62).
Jésus ne se lance pas dans des compromis, ni dans des pressions sentimentales, lui qui est « la vérité ».
L’abandon de nombre de ses disciples fait comprendre la difficulté à accepter que le Christ donne sa vie et souffre sur la croix. « À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples se retirent de derrière lui » (c’est la place des disciples qui suivent leur Maître) « et ils ne marchent plus avec lui » (Jn 6,66).
On imagine quelle déception cela a pu représenter pour Jésus ! Tout homme est mis devant le mystère de sa liberté qui se ferme ou bien, au contraire, s’ouvre à l’amour du Christ.
Est-ce pour autant l’échec de sa mission ? Les douze sont restés fidèles. Jésus pose son regard sur eux et les interroge : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Verset 67). Jésus les convoque à leur liberté. Alors jaillit le cri de foi de Pierre qui a sans doute grandi dans la foi, même s’il n’est pas sûr que les douze aient bien compris les Paroles de Jésus sur le Pain de vie ; ils comprendront plus tard ; Pierre a foi dans l’impossible : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6,68).
Chers frères et sœurs,
Les disciples sont mis devant un choix de vie, et par conséquent nous-mêmes aussi ; personne ne peut échapper à cette décision de la foi : les Paroles de Jésus sont-elles « trop rudes » pour que nous les écoutions ? Ou bien au contraire sont-elles les « Paroles de la vie éternelles » ?
Les Paroles de Jésus font parfois face à une opposition ou une incompréhension ; on y est plus habitué de la part des juifs fervents et stricts que de la part des proches de Jésus : « Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent :« Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » (Jn 6,60). Sans doute voudrait-on parfois que Jésus adoucisse certaines de ses Paroles qui nous paraissent un peu raides. Cela me fait penser à la parole d’un prêtre à propos des Evangiles, qui disait que Jésus nous propose d’être « le sel de la terre » et non pas le sucre !
Ce ne sont pas quelques-uns seulement, mais beaucoup qui sont choqués par ses Paroles et se dérobent ! Pourquoi donc ? C’est sans doute l’annonce de sa vie livrée qui ne peut pas être acceptée par les disciples toujours en attente d’un Messie puissant. Ce qui provoque ces départs ce sont ses mots qui évoquent sa chair offerte et son sang répandu. « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ? » (v.62) La foi conduit l’homme à la croix. L’eucharistie par laquelle le Christ vient vers chaque homme et se donne à lui, est liée au don sur la croix.
Jésus invite à comprendre ses Paroles non pas matériellement, « selon la chair », mais dans la force de l’Esprit-Saint : « C’est l’Esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien » (Jn 6,63). Et Jésus évoque, comme une perspective qui ouvre un avenir, son ascension : « Quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ! » (Jn 6,62).
Jésus ne se lance pas dans des compromis, ni dans des pressions sentimentales, lui qui est « la vérité ».
L’abandon de nombre de ses disciples fait comprendre la difficulté à accepter que le Christ donne sa vie et souffre sur la croix. « À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples se retirent de derrière lui » (c’est la place des disciples qui suivent leur Maître) « et ils ne marchent plus avec lui » (Jn 6,66).
On imagine quelle déception cela a pu représenter pour Jésus ! Tout homme est mis devant le mystère de sa liberté qui se ferme ou bien, au contraire, s’ouvre à l’amour du Christ.
Est-ce pour autant l’échec de sa mission ? Les douze sont restés fidèles. Jésus pose son regard sur eux et les interroge : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Verset 67). Jésus les convoque à leur liberté. Alors jaillit le cri de foi de Pierre qui a sans doute grandi dans la foi, même s’il n’est pas sûr que les douze aient bien compris les Paroles de Jésus sur le Pain de vie ; ils comprendront plus tard ; Pierre a foi dans l’impossible : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6,68).
Que ces magnifiques paroles de confiance de Pierre résonnent en nos cœurs en action de grâces !
- vendredi 23 avril :
Chers frères et sœurs,
Dans ce long discours de Jésus sur le Pain de vie, Saint Jean nous fait entrer sans cesse plus profond dans le mystère de l’eucharistie ; prenez votre Souffle, celui de l’Esprit, car nous allons atteindre des sommets : Voilà là où nous en étions hier : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 6,51) : Il n’y a pas d’eucharistie sans résurrection ; il n’y a pas d’eucharistie sans incarnation. Jésus vient de parler de « donner sa chair ».
Et l’on peut comprendre l’indignation de ceux qui restent « terrestres » et qui s’attachent seulement à la matérialité des mots ; Les auditeurs de Jésus sont scandalisés parce qu’ils comprennent uniquement le sens physique de ses Paroles, et non leur sens spirituel : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (Jn 6,52). Ils comprennent la chair mais sans le don de la résurrection : Jésus prônerait-t-il donc l’anthropophagie ?
« Manger la chair » (expression qui revient 7 fois : versets 6,51,53,54,56,57,58), « boire son sang » (versets 53-54) : sans le don de l’amour, voilà qui peut choquer ! D’autant que plusieurs fois Jésus utilise un mot grec, très réaliste, et qui peut choquer, qui dit « croquer, mâcher » ; c’est un peu comme s’il disait « celui qui me croque, vivra lui aussi par moi » (v.57) … On comprend mieux que cela puisse faire scandale !
Jésus ne se laisse pas émouvoir et explique ce qu’il veut dire : « Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6,55). La chair dans la mentalité biblique, c’est le corps et la personne dans toutes ses dimensions. Jésus se donne tout entier par amour. C’est par sa Passion, par sa chair offerte sur la croix, par son sang répandu que Jésus deviendra pain de vie. Seule la foi peut comprendre cela.
Voilà bien la différence absolue avec la Manne : celle-ci ne donnait pas la vie ; ceux qui l’ont mangé sont morts ; le pain descendu du ciel, lui, fait vivre pour l’éternité : « celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (Jn 6,57). Il y a la même communion de vie entre Jésus est ses disciples qu’entre le Fils et son Père.
Et revoilà le tambour qui annonce encore une phrase essentielle (Amen, Amen…) : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous » (Jn 6,53). Communier au don du Christ nous rend partie prenante de son amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13).
L’eucharistie nous fait devenir « amour » pour les autres, avec le Christ, nous fait « demeurer dans son amour » (verset 56) : nous devenons à notre tour « pain vivant » pour nos frères. Dans l’eucharistie, c’est le Christ qui nous transforme en lui.
L’eucharistie « rassasie notre faim de Dieu », disait le saint pape Jean-Paul II (Reste avec nous 19).
Quelle grâce ce pain de vie où Jésus se donne !
- jeudi 22 avril :
Chers frères et sœurs,
Le découpage liturgique, et c’est dommage, a enlevé les récriminations contre Jésus, les questions et objections que se posent ses auditeurs : Jésus est le fils de Joseph, comment peut-il prétendre descendre du ciel, c’est-à-dire de Dieu ? C’est bien le mystère de la naissance du « Verbe » en notre chair (Jn 1,14) qui est ici évoqué. Les Paroles de Jésus dépassent comme souvent ses interlocuteurs.
Ces murmures rappellent ceux du peuple au désert contre Moïse et contre Dieu. Rien de nouveau donc ! Il est bien difficile d’accepter de voir au-delà du visible. « Ne récriminez pas entre vous » (Jn 6,43), leur dit Jésus.
Jésus évoque ensuite le beau désir de son Père :« Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,44). La tendresse de Dieu est si grande qu’il veut nous « attirer » à lui par amour. L’être humain peut entendre en lui cet appel à vivre en plénitude que Dieu met en son cœur. Ce qui fait défaut aux foules qui l’écoutent, c’est de se laisser attirer par Dieu, c’est d’accepter le mystère de l’incarnation de Jésus, Dieu qui s’est fait chair.
Jésus est bien le seul à pouvoir parler du Père puisqu’il vient d’auprès de lui : « Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père » (Jn 6,46). Toute la vie du Christ, ses actes, ses Paroles, sa miséricorde, nous parlent de son Père.
Le Christ seul peut donner le pain de vie qui rassasie à jamais.
Le verset 51 nous fait franchir un nouveau pas ; pour la troisième fois, Jésus répète : « Je Suis le pain de vie » : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde ». Jésus nous fait approcher de plus en plus de la beauté et la grandeur du mystère de l’eucharistie : « Ceci est mon corps donné pour vous » (Lc 22,19). Le don de sa vie est libre et total : « Je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même » (Jn 10,18). Le pain qu’il nous donne, c’est son corps broyé et livré sur la croix.
Voilà le vrai signe que Jésus nous montre : sa naissance en notre chair, sa vie vulnérable, sa vie donnée, sa vie livrée sans réserve…
Le pain véritable est infiniment plus grand que la Manne, ce n’est pas seulement la Parole de Dieu dont nous devons nous nourrir ; le Pain de vie c’est le Christ lui-même. Lorsque Jésus fait le don visible de sa chair sur la croix, c’est aussi le don invisible qu’il nous fait de la vie divine. C’est au « monde », c’est-à-dire à l’humanité tout entière que ce pain de vie est destiné.
Chers frères et sœurs,
Le découpage liturgique, et c’est dommage, a enlevé les récriminations contre Jésus, les questions et objections que se posent ses auditeurs : Jésus est le fils de Joseph, comment peut-il prétendre descendre du ciel, c’est-à-dire de Dieu ? C’est bien le mystère de la naissance du « Verbe » en notre chair (Jn 1,14) qui est ici évoqué. Les Paroles de Jésus dépassent comme souvent ses interlocuteurs.
Ces murmures rappellent ceux du peuple au désert contre Moïse et contre Dieu. Rien de nouveau donc ! Il est bien difficile d’accepter de voir au-delà du visible. « Ne récriminez pas entre vous » (Jn 6,43), leur dit Jésus.
Jésus évoque ensuite le beau désir de son Père :« Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,44). La tendresse de Dieu est si grande qu’il veut nous « attirer » à lui par amour. L’être humain peut entendre en lui cet appel à vivre en plénitude que Dieu met en son cœur. Ce qui fait défaut aux foules qui l’écoutent, c’est de se laisser attirer par Dieu, c’est d’accepter le mystère de l’incarnation de Jésus, Dieu qui s’est fait chair.
Jésus est bien le seul à pouvoir parler du Père puisqu’il vient d’auprès de lui : « Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père » (Jn 6,46). Toute la vie du Christ, ses actes, ses Paroles, sa miséricorde, nous parlent de son Père.
Le Christ seul peut donner le pain de vie qui rassasie à jamais.
Le verset 51 nous fait franchir un nouveau pas ; pour la troisième fois, Jésus répète : « Je Suis le pain de vie » : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde ». Jésus nous fait approcher de plus en plus de la beauté et la grandeur du mystère de l’eucharistie : « Ceci est mon corps donné pour vous » (Lc 22,19). Le don de sa vie est libre et total : « Je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même » (Jn 10,18). Le pain qu’il nous donne, c’est son corps broyé et livré sur la croix.
Voilà le vrai signe que Jésus nous montre : sa naissance en notre chair, sa vie vulnérable, sa vie donnée, sa vie livrée sans réserve…
Le pain véritable est infiniment plus grand que la Manne, ce n’est pas seulement la Parole de Dieu dont nous devons nous nourrir ; le Pain de vie c’est le Christ lui-même. Lorsque Jésus fait le don visible de sa chair sur la croix, c’est aussi le don invisible qu’il nous fait de la vie divine. C’est au « monde », c’est-à-dire à l’humanité tout entière que ce pain de vie est destiné.
Quel don immense le Christ nous fait dans ce pain de vie !
- mercredi 21 avril :
Chers frères et sœurs,
« Vous avez vu, et pourtant vous ne croyez pas » (Jn 6,36).
J’entends de la tristesse dans ces mots de Jésus devant le peu de foi de ses contemporains à qui les signes qu’il accomplit ne suffisent pas pour entrer dans la foi. A travers les signes donnés, le signe de la multiplication des pains, la divinité de Jésus n’est pas comprise. Il n’est pas reconnu comme l’envoyé du Père.
On peut penser à la déception de Dieu dans la Bible face à son peuple « à la tête dure », qui refuse de l’écouter, ou qui récrimine contre lui… On voit pointer avec discrétion la peine immense de celui dont l’amour n’est pas reconnu, dont la miséricorde n’est pas accueillie.
Pourtant son amour reste intact : il continue inlassablement à œuvrer pour le salut, malgré les refus : « La volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés ». Nous sommes et restons pour lui des dons du Père, même malgré nos rebuffades ! C’est une grâce à accueillir pour nous : chacun de nous est pour le Christ un don du Père !
Et l’unique but de Jésus est de conduire l’humanité auprès de son Père pour qu’elle puisse vivre de la vie éternelle. La volonté du Père embrasse toute l’histoire humaine du Salut préparé dès la création.
Le regard des contemporains de Jésus est attiré surtout par le sensationnel que Jésus accomplit ; ils s’arrêtent à ce qu’ils voient, mais ils ne s’ouvrent pas à l’invisible. Il faudra attendre la résurrection pour que Thomas soit invité à aller au plus profond de la foi « Heureux celui qui croit sans avoir vu » (Jn 20,19). La foi est vraiment un don de Dieu.
Comme ils s’enferment dans les réalités terrestres, ils ne peuvent pas comprendre les réalités d’En-Haut, celles de l’amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père. Voir est une démarche de foi chez Saint Jean. Une conversion du cœur est alors nécessaire pour ne plus être accaparés par les soucis des biens de ce monde : « Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21).
« Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6,35). Jésus vient combler nos faims les plus profondes. Il est venu pour nous donner la vie de Dieu : la volonté de Dieu est que l’homme soit vivant de la vie divine. Jésus est pour nous force de vie. La lumière pascale éclaire ces Paroles.
« Donne-moi quelqu’un qui aime, il comprendra ce que je dis », disait Saint Augustin ; c’est sans doute ce qui manque à ceux qui écoutent Jésus.
Seigneur donne-moi un cœur qui aime pour comprendre ton amour ! Augmente en nous la foi !
« Je suis sûr du Seigneur. Ton amour me fait danser de joie » (Ps 30,7-8).
- mardi 20 avril :
Chers frères et sœurs,
L’humanité a toujours eu besoin de signes pour croire, de merveilleux pour se rassurer. Alors même que les foules ont été témoins de la multiplication des pains, cela ne suffit pas à les faire entrer dans la foi…Elles en demandent toujours plus. Saint Thomas a de beaux jours devant lui !
C’est comme si la foule « faisait la fine bouche » et considérait le geste de Jésus comme très négligeable en comparaison du don de la Manne pendant la longue marche du désert.
La Manne était un don de Dieu à son peuple qui récriminait contre lui, et cela dura pendant quarante ans : celle-ci tombait du ciel comme la rosée (Nb11,9). Mais la Manne ne donnait pas aux hommes la vie de Dieu. Qu’est-ce que la « petite multiplication des pains » d’un jour, à côté de ces quarante années… Jésus est-il « un petit bras » ? Ceux qui doutent de l’action de Dieu en Jésus ont juste oublié que le Père justement « a tout remis dans les mains de Jésus » (cf la méditation de jeudi dernier, Jn 3,34). Il agit donc avec la puissance même de Dieu.
Jésus leur rappelle qu’il y a en lui bien plus grand que lors de la traversée du désert : Entre les deux récits, il y a le passage de la figure à la vérité. En effet, de la même façon que ce n’est pas Moïse qui a donné la Manne, mais le Père, c’est aussi le Père qui donne le pain véritable : « C’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn 6,32-33).
Par sa venue en notre chair, par son incarnation, Jésus est le pain véritable ; il est la source de vie, non plus seulement pour le peuple de Dieu, mais pour le monde, donc pour tous les hommes. Jésus se donne comme source pour le bonheur sans fin de l’humanité. « Moi, Je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6,34-35). Il ne faut pas seulement considérer le don, mais remonter à la source du don.
Quand nous entendons « Je suis », nous savons que Jésus parle comme Fils de Dieu.
Mais là encore revient le côté terre à terre des pauvres êtres humains « un peu balourds » que nous sommes (je devrais dire que je suis pour ne pas vous froisser !) : « Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là » (verset 34) ; Un bon morceau de pain tous les jours serait suffisant pour nous satisfaire et assurer une sécurité alimentaire ! Si Jésus pouvait faire cela pour nous, ce serait un grand bien pour l’humanité affamée, plus utile que ce « pain de vie » ! On se rappelle que la Samaritaine avait une réaction similaire, lorsque Jésus lui parle de l’eau qui enlève toute soif : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. » (Jn 4,15).
Saint Etienne vit cette communion profonde à son Seigneur ; sa foi est ardente : « Voici que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Ac 7,56). Nourri de celui qui est le pain de vie, il s’identifie pleinement au Christ jusque dans sa mort : comme lui, il pardonne à ceux qui le lapident.
Avec un vrai désir de communier vraiment à l’amour de Jésus, redisons : « Seigneur donne-nous de ce pain » toujours.
- lundi 19 avril :
Chers frères et sœurs,
La foule a vu la multiplication des pains, mais a-t-elle changé de regard sur Jésus ? Elle continue à le chercher à Capharnaüm ; ce n’est pas forcément sa personne qui les intéresse, mais bien plutôt ses actions éclatantes. Jésus n’est plus regardé comme le futur Roi, mais comme un rabbi, un Maître. Ils ne le suivent plus à cause des guérisons, mais en raison des pains multipliés. C’est juste une raison de plus d’être attiré par le sensationnel : après les guérisons, le miracle des pains. La foule s’étonne de voir Jésus avec ses disciples et ne comprend pas comment il est arrivé jusque-là sans monter dans une barque.
Pour autant la recherche de la foule reste très terre à terre ; la faim rassasiée par Jésus revient très vite ! Et le désir que se renouvelle cette multiplication des pains aussi. Jésus dénonce ce désir imparfait, parce qu’il connaît le cœur des hommes.
Jésus comme toujours invite à porter plus haut et plus grand son désir : le pain qu’il a donné aux foules est le signe d’une autre nourriture ; et celle-ci rassasie vraiment : « Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle » (Jn 6,27). Cela rappelle « l’eau vive » promise à la Samaritaine : « L’eau que je donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jn 4,14). Jésus ne cesse pas de vouloir aiguiser notre désir : « Cherchez le Royaume et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît » Mt 6,33.
Evidemment la question de ceux à qui s’adresse Jésus porte sur ce « travail », ce qu’il faut faire pour trouver cette nourriture miraculeuse : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » (Jn 6,28). Le dialogue reste à ras de terre pour eux il s’agit de faire et non pas d’accueillir.
Ce n’est plus un travail sur la matière, le pain, la semence ou autre, que Jésus propose, mais un accueil qui ouvre sur le désir de vivre ; et celui-ci ne s’arrête pas sur le matériel, ni sur le sensationnel, car cette recherche reste éphémère et ne rassasie pas vraiment. Il ne s’agit donc pas de « faire », même pour Dieu, mais d’accueillir dans la foi l’action de Dieu : il s’agit de « croire en celui que le Père a envoyé » (verset 29). C’est comme un enfantement à la vie de Dieu pour reprendre ce que Jésus dit à Nicodème.
Croire est le plus grand de l’homme ; c’est l’engagement de toute notre personne envers le Seigneur ; faire l’œuvre de Dieu, c’est naître à la vie même de Dieu ; c’est cela qui est source d’une joie profonde : « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous » (Jn 15,11). Dieu a voulu l’homme pour ce grand désir, que rien de fini ne peut apaiser ; seuls son amour infini et la communion à la vie de celui que le Père a envoyé peuvent apaiser notre soif. Ce n’est pas l’homme qui monte vers Dieu à la force de ses petits (ou gros !) bras, mais c’est Dieu qui lui donne la vie véritable, le pain qui rassasie en vérité.
Jésus invite à dépasser le désir du pain qui nourrit la vie présente ; et il veut conduire, pas après pas, à l’accueillir, lui qui donne le vrai pain : « Travaillez pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle » (Jn 6,27).
Mon saint patron, St Etienne, a accueilli pleinement cette vie de Dieu à laquelle il participe déjà par toute sa vie conformée au Christ : il est « rempli de la grâce et de la puissance de Dieu et accomplissait parmi le peuple des prodiges et des signes éclatants » (Ac 6,8).
Puissions-nous toujours chercher Jésus avec un grand désir ; il vient combler nos faims et nos soifs les plus profondes !
- dimanche 18 avril :
Jésus a-t-il tellement changé pour que personne ne le reconnaisse, même pas ses plus proches amis ?
Les disciples d’Emmaüs viennent de rejoindre les onze et leurs compagnons qui témoignent de la rencontre de Pierre avec le Ressuscité ; à leur tour, les deux disciples témoignent de leur dialogue avec Jésus sur la route, et comment ils l’ont reconnu à la fraction du pain ; Pour autant, malgré ces rencontres, les disciples ont toujours du mal à reconnaître Jésus qui vient au milieu d’eux. Pire encore, ils sont frappés de crainte en croyant voir un esprit… Décidément, il est bien difficile de discerner les rencontres avec Jésus ressuscité ! Il ne peut pas en être autrement pour nous ! Pouvons-nous dire que nous avons déjà reconnu Jésus ressuscité dans notre vie ? Et à quels moments ?
Jésus va les aider à le reconnaître avec patience et pédagogie :
- D’abord en leur montrant ses blessures :
Le corps de Jésus ressuscité a gardé les traces de ses plaies ; aussi leur montre-t-il ses mains, ses pieds et son côté, les invitant à faire usage de leurs sens pour comprendre.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer le corps glorieux de Jésus ne voit pas ses cicatrices disparaître. C’est ce qui donnera des hérésies « docétistes » qui niaient la réalité corporelle de Jésus ressuscité : Jésus fait « semblant » d’être homme, mais comme il est Dieu il n’a pas de corps et ne souffre pas.
Or Jésus porte à tout jamais les stigmates des blessures qui lui ont été infligées et qui l’ont fait souffrir ; elles sont bien réelles, contrairement à l’esprit que les disciples pensent voir : « Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » ( Lc 24,39) …. Mais « ce ne sont plus des cicatrices, mais des sources de lumière » (dom André Louf). Elles montrent la gloire de Dieu. Elles ne font plus souffrir ; elles sont juste la preuve du plus grand amour qu’il nous soit donné de contempler : « Voyez mes mains et mes pieds, Je suis » (Lc 24,30). Ses plaies « sources de lumière » sont le signe de sa divinité.
En voyant ces plaies transfigurées, les apôtres reconnaissent enfin celui qui a été sur la croix. Les disciples sont alors pris entre les doutes et la joie : « Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement » (Lc 24,41).
Et pour leur montrer la réalité de ce corps humain, Jésus demande à manger pour qu’ils ne le prennent plus pour un esprit. Jésus continue son existence physique, mais autrement !
Nos plaies, nos blessures en train d’être transfigurées, parce que Jésus les porte avec nous peuvent nous aider à reconnaître la présence de Jésus ressuscité proche de nous, lui qui nous donne sa paix. - Ensuite en leur dévoilant le sens des Ecritures :
Jésus les aide à comprendre ce qui lui est arrivé, sa mort et sa résurrection annoncées dans les Ecritures. Comme à Emmaüs, avec patience Jésus « ouvre leur intelligence à la compréhension des Écritures » (Lc 24,45).
La lecture de la Parole de Dieu peut nous « brûler le cœur » de la présence aimante de Jésus ressuscité, comme cela est arrivé aux disciples d’Emmaüs, alors même que Jésus avait disparu à leur regard.
« Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour » (1 Jn 4,16). C’est la confiance en l’amour de Dieu qui nous permet de le reconnaître présent à nos côtés. Même sans le voir nous croyons que nous sommes aimés du Seigneur, plus que tout : « Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi », dira Paul (Ga 2,20).
La paix que donne le Christ ressuscité en est le signe infaillible : « La paix soit avec vous ».
« A vous d’en être les témoins » (Lc 24,48) …
- samedi 17 avril :
Chers frères et sœurs,
Après la surabondance du don de Jésus, l’épreuve de la traversée des tempêtes ; la foi souffle parfois le chaud et le froid en nos vies comme en celle des disciples !
Immédiatement après la multiplication des pains, l’Evangéliste Jean évoque un second miracle : Jésus marche sur les eaux du lac de Galilée.
Jésus vient de quitter les siens pour monter seul sur la montagne ; il laisse ses disciples qui doivent se sentir terriblement seuls au milieu des ténèbres (Jn 6,17) ; ceux-ci descendent au contraire vers la mer pour embarquer vers Capharnaüm. Et les flots se déchaînent : « Un grand vent soufflait, et la mer était agitée » (verset 18). De quoi prendre peur, même pour des pêcheurs aguerris comme eux. Le lac en effet est réputé pour ses tempêtes impressionnantes. Les coups de rames contre les vagues qui les assaillent doivent les épuiser.
C’est Jésus lui-même qui prend l’initiative de les rejoindre ; il s’approche de la barque. Ils ne le reconnaissent pas immédiatement lorsqu’il marche vers eux sur le lac. Les douze prennent peur, sans doute la crainte devant la manifestation divine.
Une fois de plus, c’est Jésus qui leur fait signe : « Je suis » (cf le buisson ardent). « N’ayez pas peur » : c’est Dieu qui parle pour dire qu’il ne cesse pas d’être présent même lorsqu’il semble absent. Jésus est vainqueur de la tempête : il apaise les eaux par sa Parole. La mer est le symbole des forces du Mal dans la mentalité biblique. Les disciples rassurés veulent prendre Jésus avec eux, mais la barque déjà touche terre. Les disciples ont fait l’expérience que le Seigneur vient les sauver par la puissance de son action et de sa Parole. Jésus est déjà le Seigneur, vainqueur des ténèbres et des tempêtes de notre vie humaine par sa Résurrection. C’est le sens de cette lecture postpascale d’un récit qui se déroule avant la résurrection. Celui qui dit « Je suis », au cœur de la tempête, de sa puissance de Fils de Dieu, est aussi celui qui sera vainqueur du Mal et de la mort.
« Avoir la foi, au milieu de la, tempête, veut dire garder son cœur tourné vers Dieu, vers son amour, vers sa tendresse de Père. Jésus voulait enseigner cela à Pierre et à ses disciples, et à nous aussi aujourd’hui. Dans les moments sombres, dans les moments de tristesse, Il sait bien que notre foi est pauvre – nous sommes tous des gens de peu de foi, nous tous, moi aussi, tous – et que notre chemin peut être tourmenté, bloqué par des forces adverses. Mais Il est le Ressuscité ! N’oublions pas cela : Il est le Seigneur qui a traversé la mort pour nous emmener en lieu sûr. Avant même que nous commencions à le chercher, Il est présent à nos côtés. Et en nous relevant de nos chutes, il nous fait croître dans la foi » (Pape François, 9/8/2020).
Jésus vient toujours rejoindre l’humanité qui traverse les tempêtes de la vie pour la rassurer et lui donner la paix. Ne l’oublions pas en ces temps où le monde semble naviguer à vue face à la tempête virale.
Seigneur, donne-nous cette confiance en ta présence à nos côtés dans nos tempêtes intérieures ou extérieures !
- vendredi 16 avril :
Chers frères et sœurs,
Voilà un récit qui commence dans une ambiance pascale : la Pâque, c’est le temps où l’on fête les merveilles que Dieu accomplit pour son peuple. Jésus va revivre cela avec les foules.
Le pape François fait remarquer que « l’une des choses que Jésus aimait le plus était d’être avec la foule, car cela aussi est un symbole de l’universalité de la rédemption. Et l’une des choses qui plaisait le moins aux apôtres était la foule, car ils aimaient être auprès du Seigneur, entendre le Seigneur », et parce que les foules venaient souvent les déranger dans ce lien privilégié avec Jésus (homélie Ste Marthe, 24/4/2020).
La scène se passe en Galilée, où se rassemble une foule nombreuse, bigarrée, en ce « carrefour de nations », sans doute composée de juifs et de non-juifs ; c’est un peu une ambiance de kermesse : on se rassemble autour de Jésus parce qu’il est précédé de sa réputation et des miracles qu’il a accomplis.
Il y a une certaine solennité : Jésus gravit la montagne, lieu de la rencontre de Dieu ; il s’assied au sommet, au milieu de ses disciples ; il embrasse la foule nombreuse du regard, et dans sa tendresse, il comprend la détresse de ce monde qui vient à lui ; « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » (Jn 6,5). « Jésus savait bien ce qu’il allait faire » ; alors pourquoi cette question posée à Philippe ? Parce que le constat de l’impuissance humaine est nécessaire. L’homme ne peut pas répondre seul aux faims de ses frères : cinq pains, deux poissons partagés par un enfant, comme seuls les enfants savent donner spontanément ; mais « qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » (Jn 6,9). Le manque doit être comblé par Jésus. Le don du Christ paraît d’autant plus éclatant que la faiblesse des moyens humains se fait jour.
Jésus fait assoir la foule ; avec ce qu’apporte cet enfant, Jésus va rassasier l’immense foule, 5000 personnes. Déjà flotte un avant-goût de l’eucharistie dans les gestes de Jésus : il « prend le pain, rend grâces » (c’est le mot eucharistie) et distribue lui-même les pains à la multitude, en un geste d’infinie tendresse.
La faim des hommes est comblée au-delà de tourtes mesures ; les foules sont « rassasiées », ils ont pu manger « autant qu’ils en voulaient », il n’y a pas de restriction dans les dons du Christ.
Il y a là infiniment plus que la manne au désert que l’on ne pouvait pas conserver et qui devenait immangeable (Ex 16,20). Le pain que le Christ donne, se conserve et peut nourrir la multitude ; Jésus sera ce pain qui rassasie l’homme pour toujours : Jésus demande que l’on ramasse le surplus avec précaution, pour que tous en reçoivent, « afin que rien ne se perde » (Jn 6,12) : douze corbeilles de pains sont remplies, signe de la gratuité, c’est le chiffre des tribus d’Israël, celui de l’Eglise.
Devant un tel signe, les foules ne manquent pas de vouloir faire de Jésus un roi qui les délivre de la puissance romaine. Pourtant ce miracle que Jésus a accompli était donné pour conduire ailleurs : pour accepter de recevoir le vrai pain qu’est Jésus lui-même : il va « donner sa chair pour la vie du monde » (Jn 6,51). Jésus conduit son peuple toujours autrement qu’il le voudrait.
Aussi Jésus s’éloigne de nouveau sur la montagne pour retrouver son Père dans la communion de la prière.
- jeudi 15 avril :
Chers frères et sœurs,
« Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, car Dieu lui donne l’Esprit sans mesure. Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main » (Jn 3,34).
Fermez les yeux et dites-moi : Qui selon vous prononce ces Paroles ? pour une fois le découpage liturgique ne nous dit pas clairement les choses et nous tend un piège… La plupart d’entre nous jurerait que c’est le Christ qui prononce ces mots. Et bien en fait on ne sait pas précisément ! Et c’est fort intéressant pour comprendre l’inspiration des Ecritures : en effet, l’Evangéliste Jean est tellement imprégné de l’amour du Seigneur, que ce qu’il écrit pourrait être des Paroles du Christ ; c’est le signe que Jean est inspiré par l’Esprit-Saint.
Ce sont des paroles de Jean-Baptiste ou, pour certains, de Jean l’Evangéliste, qui commenterait alors les paroles du Baptiste. Ce dernier répond à des interrogations sur sa place et son rôle face à Jésus ; tous les deux baptisant, cela pourrait créer une rivalité ; mais Jean le Baptiste sait rester à sa place ; il rappelle qu’il est seulement « l’ami de l’époux », c’est-à-dire du Christ ; il est le témoin humble qui doit s’effacer pour laisser toute la place à Jésus : la venue du Christ suffit à le combler de joie.
Jésus seul peut témoigner de l’amour du Père, parce qu’il vient d’en-haut et qu’il a reçu du Père l’Esprit « sans mesure ». « Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main » (Jn 3,34). Saint Irénée de Lyon parlera du « Fils et de l’Esprit-Saint comme les deux mains du Père ».
Sans l’Esprit l’homme ne peut tenir qu’un langage terrestre. Mais le croyant peut témoigner en communion avec le Christ parce qu’il est appelé lui aussi à « venir du ciel ». Le croyant est comme assimilé à Jésus, parfois son témoignage comme celui du Baptiste n’est pas reçu.
Seuls ceux qui croient en Jésus peuvent devenir enfants de Dieu. Ils sont ces « petits » qui se laissent former par Jésus et auxquels le Père ne cesse pas de vouloir donner.
Le refus de croire provoque « la colère de Dieu » ; cette colère est le signe de la tristesse de Dieu lorsque l’homme refuse son amour et nie le don de Dieu.
Celui qui prononce ces mots a intériorisé la mission de Jésus à qui le Père a confié l’œuvre du salut de l’humanité : tout repose dans les mains de Jésus, ces mains qui bénissent, ces mains qui guérissent, ces mains qui rompent le pain, ces mains ouvertes pour pardonner aux pécheurs et à ceux qui le maltraitent, ces mains qui seront clouées sur le bois…
Jean-Baptiste témoignera de ce qu’il a contemplé en Jésus, lui qui est le Fils du Père en qui l’Esprit repose en plénitude, jusqu’à donner sa vie.
Les disciples après la résurrection prennent le relais de ce témoignage : Pierre fait face avec fermeté aux menaces lorsqu’on veut l’empêcher de témoigner de la résurrection de Jésus. Le courage de Pierre, qui était un faible, vient de l’Esprit-Saint. C’est ce même Pierre qui a renié Jésus qui témoigne avec force et sans compromis : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5,29).
Seigneur ressuscité donne-moi le courage de témoigner de ton amour infini par toute ma vie.
- mercredi 14 avril :
Chers frères et sœurs,
Continuons à cheminer avec le Christ aux côtés de Nicodème.
Jésus mène Nicodème toujours plus loin, à de très hautes altitudes, ; ces « réalités du ciel », où l’homme ne peut parvenir seul ; Jésus nous conduit là où la parole devient contemplation : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,16-17).
L’amour infini de Dieu nous est acquis, sans restriction aucune, puisqu’il nous fait le don de son Fils pour nous sauver de la mort. Quel plus grand don le Père pouvait-il faire à l’humanité ! Quelles merveilles que ces Paroles bouleversantes du Christ qui devraient toujours de nouveau nous stupéfier ! Nous pouvons les laisser résonner à l’infini en nous. L’amour de Dieu culmine sur la croix : en Jésus, son Fils, « Dieu nous aime », « Dieu nous donne ». C’est là que nous entrons dans la vie de Dieu. C’est ce qui reste à découvrir par le cœur pour Nicodème ; il va avoir à passer des ténèbres à la Lumière, à consentir à la Lumière que donne le Christ ; il sera présent non loin de la croix de Jésus et prendra grand soin de son corps après sa mort (Jn 19,39). Peut-être a-t-il enfin compris que l’amour est plus fort que la mort ?
La seule raison qui empêcherait d’accéder à la vie de Dieu, ajoute Jésus, serait le refus volontaire d’accueillir la Lumière du Christ. Lorsque nous accueillons la Lumière du Christ, celui-ci nous ouvre les portes de la vie. Pour que sa vie puisse jaillir en nous et à travers nous.
Nous sommes dans ce dialogue avec Nicodème au cœur du mystère de l’amour trinitaire : le Père qui envoie son Fils en notre humanité pour que l’homme vive de leur Esprit d’amour. Dieu rejoint l’homme pour que l’homme puisse le rejoindre.
Comme Nicodème est invité à quitter le terrain de ses « connaissances » intellectuelles et spirituelles, nous avons aussi à nous laisser conduire en terre inconnue par l’Esprit ; celui-ci nous mènera là où il veut, toujours pour notre bien. « Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit » (Ga 5,25).
C’est bien l’Esprit-Saint qui agit dans la première Eglise dont nous entendons le récit en Luc dans les Actes des apôtres : aujourd’hui Pierre et les apôtres emprisonnés sont miraculeusement libérés de l’enfermement par un ange du Seigneur (Ac 5,17-26) ; et ils retournent aussitôt, sans hésiter, annoncer la Bonne Nouvelle avec assurance.
Entrer dans la foi n’est pas seulement de l’ordre de l’effort ou de la volonté, mais de l’ordre de l’accueil de l’action de Dieu en nous. « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5).
Les apôtres ont porté du fruit en se laissant faire par Dieu. Et nous… ?
- mardi 13 avril :
Chers frères et sœurs,
Décidément, ce cher Nicodème nous devient très familier ; nous n’arrêtons pas de le croiser en ce moment, comme un compagnon de route qui nous interroge et nous stimule dans notre foi !
Jésus continue son dialogue avec Nicodème qui peine à le suivre, comme s’il était essoufflé par le chemin trop abrupt pour lui, comme s’il n’arrivait pas à accueillir le souffle vivifiant que Jésus lui propose ; Jésus lui a révélé que naître à nouveau, c’est accueillir en son cœur le souffle de vie, l’Esprit, qui est un don de la grâce : « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit » (Jn 3,8). L’Esprit renouvelle l’homme tout entier, il donne la foi en la puissance de l’action de Dieu.
Mais Nicodème est sec ; il n’entrevoit pas l’ombre du souffle de l’Esprit : « Comment cela peut-il se faire ? » (Jn 3,9). On pense à la question de Marie à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire ? » (Lc 1,34) ; à la différence près que Marie a confiance parce qu’elle sait que Dieu est maître de l’impossible. Malgré les paroles de Jésus sur l’Esprit qui rend toutes choses nouvelles et possibles, Nicodème a du mal à décoller des « choses terrestres » et des réalités de la chair (Jn 3,12).
« Tu es un maître qui enseigne Israël et tu ne connais pas ces choses-là ? » lui dit Jésus, non sans humour (Jn 3,10). Il faudrait que Nicodème accepte de ne plus « être maître » pour recevoir ce que Jésus veut lui donner, mais il a sans doute les mains (ou plutôt l’esprit !) trop pleines de son savoir.
Il faut bien le souffle de l’Esprit pour que Nicodème puisse entendre ce qui est vraiment nouveau, ce que Jésus va lui confier. Le ton se fait encore solennel pour réveiller son attention : « Amen, amen, je te le dis » (cette expression se trouve 25 fois dans la bouche de Jésus dans l’Evangile de Jean ; ainsi nous entendions il y a peu : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul », Jn12, 24…). C’est comme un roulement de tambour pour nous prévenir : « Attention, réveillez-vous, ouvrez vos oreilles, ce qui suit est essentiel ! ». Le mot Amen nous est familier, nous le répétons de nombreuses fois dans nos prières personnelles et collectives : il exprime que nous croyons ce qui est solide, ce qui est sûr, ce qui mérite notre confiance.
Jésus veut lui révéler ce que personne n’a jamais encore imaginé, « les réalités du ciel » (Jn 3,12) qui sont parfois difficiles à croire ; Jésus parle du salut qui advient en sa personne : « Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme » (Jn 3,13). Comme l’homme est trop petit pour s’élever à Dieu, Dieu vient à lui. La naissance de l’homme à la vie de Dieu passe par l’incarnation de Jésus, par sa naissance en notre chair. Voilà ce grand secret que Jésus vient dévoiler ! Dieu se laisse voir et toucher en un homme ; il parle en Jésus un langage d’homme. Et mystérieusement, Jésus annonce également son élévation, qui sera aussi l’élévation de l’humanité en Dieu.
Ces sommets sont difficiles à atteindre pour Nicodème qui reste sans voix, face à ces annonces grandioses de Jésus.
Rendons grâce pour le Ressuscité qui est monté au ciel et nous donne son Esprit sans compter !
- lundi 12 avril :
Chers frères et sœurs,
Nicodème est-il le premier catéchumène, le premier candidat à chercher à entrer dans la foi au Christ ? En tous cas, Jésus va faire un bout de chemin avec lui, mais cela aboutira un peu à une impasse.
Nicodème avance dans la nuit pour aller trouver Jésus, peut-être par peur du « qu’en dira-t-on » ? Nicodème fait penser à tous ceux d’entre nous qui avancent dans l’obscurité de la foi, et qui espèrent rencontrer la lumière du Christ sur leur chemin. Nicodème est appelé à passer de la nuit à la lumière, mais il aura bien du mal à le faire…
Nicodème est un pharisien réputé pour sa connaissance de Ecritures, il est un notable, et Jésus le désigne comme un « maître en Israël ». Il a sans doute été impressionné par les signes que Jésus accomplit, il a compris que Dieu ne pouvait pas en être étranger, et il considère Jésus comme un « Rabbi » et un « maître ». Il y a de la solennité dans l’air dans le dialogue qui commence entre deux « maîtres » en théologie ! « Amen, amen, je te le dis », ces mots disent l’importance de ce qui va suivre dans les paroles de Jésus.
Nicodème est déstabilisé par ce que lui dit Jésus. Au lieu d’un dialogue et d’un échange de savoir, Jésus utilise un langage existentiel ; discours déroutant pour lui : à celui qui veut connaître qui est Jésus (« Tu es venu comme un maître qui enseigne »), le Christ parle de naître : « Nul ne peut connaître Dieu s’il ne naît pas d’en-haut » dit-il à Nicodème.
Et un malentendu se fait jour dans l’esprit trop savant de Nicodème ; en effet, le mot grec utilisé par Jésus a deux sens : « d’en-haut » et « de nouveau ». Il ne comprend pas la portée symbolique de ce que dit Jésus. Il sait qu’on ne peut pas retourner dans le sein de sa mère pour naître de nouveau. Peut-être aussi y-a-t-il chez lui une nostalgie de l’enfance, alors que l’on commence à vieillir… Un intellectuel trop terre à terre, c’est paradoxal !
On n’entre pas dans la lumière du Royaume par de simples réflexions ni par un savoir ; il y faut une nouvelle naissance ; et celle-ci nécessite la foi : Celui qui nait de l’eau et de l’Esprit peut « voir le royaume de Dieu ». C’est avec notre cœur de chair que nous sommes appelés à naître de la vie divine. Naître de Dieu, c’est naître avec le Christ.
Il est impossible à l’homme de naître à la vie de Dieu seul : « Ce qui est né de la chair (l’homme) est chair ; ce qui est né de l’Esprit (de Dieu) est esprit » (Jn 3,6). ; La naissance de Jésus en notre chair produit un bouleversement profond : désormais en Christ, tout homme peut naître de Dieu. Comme le proclame la préface de Noël, lorsque le Christ « prend la condition de l’homme, la nature humaine en reçoit une incomparable noblesse ». En Jésus advient une nouvelle création, une nouvelle naissance, celle que nous recevons le jour de notre baptême.
La vie de l’homme peut connaître un nouveau commencement, grâce au don de Dieu.
« « Naître d’en-haut » (Jn 3, 7), c’est naître avec la force de l’Esprit Saint. Nous ne pouvons pas prendre l’Esprit Saint pour nous ; nous pouvons seulement le laisser nous transformer. Et notre docilité ouvre la porte à l’Esprit Saint : c’est Lui qui opère le changement, la transformation, cette renaissance d’en-haut. C’est la promesse de Jésus d’envoyer l’Esprit Saint (cf. Ac1, 8). L’Esprit Saint est capable de faire des merveilles, des choses que nous ne pouvons même pas imaginer » (Pape François, 21/4/2020).
- dimanche 11 avril :
Chers frères et sœurs,
Comment « rendre témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus » (Ac 4,33) ? Qu’est-ce que vivre en ressuscité ? « La vie dans l’Esprit jaillit du cœur du Christ ressuscité », proclame le pape François au début de son magnifique texte sur « la joie de l’Evangile » (§2). La source de la joie la plus profonde est dans cette vie en Christ ressuscité. Avec le ressuscité nous ne risquons pas d’être des chrétiens avec un « air de carême sans Pâques », comme dit le pape avec humour (§6).
La première communauté chrétienne vivait de cette joie du don du Christ de façon radicale : Le Christ vient renouveler notre vie : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun » (Ac 4,32). La communion des cœurs avait même une transcription matérielle concrète qui faisait mettre en commun leurs biens. Nous en sommes bien loin aujourd’hui ! Leur foi et la force de l’Esprit-Saint les poussent à faire toute chose nouvelle ; ils créent une vraie communion entre les membres divers de l’Eglise qui se manifestait aussi par le partage des biens matériels. Au point qu’aucun n’était dans la misère. La fraternité vécue était très concrète !
Le communisme a échoué à vouloir imposer un système de partage ; ce dernier ne peut réussir que s’il est fondé sur l’accueil libre de la vie dans le Christ. La fraternité ne s’impose pas ; elle est un don de l’Esprit accueilli en totale liberté.
Pourtant, il y a à apprendre de ce radicalisme évangélique dont ces premiers chrétiens vivaient de la résurrection de Jésus, même si nous ne pouvons plus pousser l’idéal aussi loin : Ainsi Paul invite les Colossiens à accueillir la vie de ressuscité dans leur quotidien, manifestant que la vie de ressuscité doit trouver une traduction concrète dans notre façon de vivre : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut » (Col 3,1). Le baptisé abandonne ses habitudes de vieux garçon, ou de vieille fille (le vieil homme fermé sur lui-même) pour s’ouvrir à Dieu et à ses frères. Il est impossible de rester égoïstement entre soi pour vivre la joie du Ressuscité. On ne peut pas dire que l’on vit du ressuscité sans essayer déjà de vivre en ressuscité. Le Christ ressuscité est celui qui « déverrouille » les portes de notre cœur, celui qui ouvre le cœur de Thomas qui a bien du mal à accepter de faire confiance au témoignage de ses frères. La première condition de la vie de ressuscité est la confiance.
Lorsque Jésus invite à accueillir le don de la résurrection qui est sa paix, il nous fait prendre part à son œuvre de paix, de réconciliation, de pardon, de miséricorde, de bienveillance… Accueillir sa paix, c’est s’engager à transmettre cette paix au nom du Christ. Nous avons à porter de la part du Ressuscité une Parole et des actes de communion : « La vie éternelle, si nous ne la donnons pas, personne ne la donnera à notre place » (Madeleine Delbrel).
Accueillir la vie éternelle est un engagement à approfondir l’idéal de la communion avec tous et du bien commun, qui est plus fort que la somme des biens particuliers ; nous ne pouvons pas seulement dire « moi », mais « nous ». Le pape invite à « aimer le bien commun », à « chercher le bien de toutes les personnes », à « vivre la gratuité fraternelle » (Tous frères, 140.182). La vie en Christ ressuscité devrait être source de tout cela, comme un débordement en nous de la grâce reçue.
Un des critères d’authenticité de la vie chrétienne que Paul donne aux communautés chrétiennes qu’il a fondées est de ne pas oublier les pauvres (Ga 2,10).
Demandons au Christ ressuscité de nous aider à vivre de la joie de Pâques en communion, en partage avec nos frères et sœurs, à qui il nous envoie proclamer par toute notre vie : « Alléluia ! Christ est ressuscité » !
- samedi 10 avril :
Chers frères et sœurs,
L’Evangile de Marc « authentique » se termine sur une finale un peu abrupte, invitant l’auditeur à ouvrir lui-même la Bonne Nouvelle du Ressuscité sur l’avenir : alors que les trois Marie ont appris la nouvelle de la Résurrection, « elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » (Mc 16,8). L’enjeu pour elles est de sortir de cette peur pour vivre l’annonce. Cette fin de l’Evangile apparut tellement rude, que l’on rajouta dans les premiers siècles une autre finale plus « pastoralement correcte » …
Cette seconde finale résume les apparitions de Jésus ressuscité ; elle est marquée de façon très insistante par l’incrédulité de ceux à qui la nouvelle impensable de la Résurrection est annoncée ; ce texte met ainsi en valeur la difficulté à entrer dans la foi sur la base des témoins. Comme pour nous rassurer, si nous avons des doutes, puisqu’il y a des raisons de douter, mais aussi des raisons de croire. Le récit évoque Marie-Madeleine, puis les disciples d’Emmaüs, puis les onze. Même ces derniers ont du mal à croire lorsque Jésus leur apparaît : celui-ci leur reproche « leur incrédulité et leur dureté de cœur, parce qu’ils n’ont pas cru ceux qui l’ont vu ressuscité » ; le manque de foi pourtant ne décourage pas Jésus.
Etonnamment, après avoir dénoncé ces refus de croire, les onze sont envoyés en mission malgré cela. Il les invite à proclamer l’Evangile dans le monde entier : « Allez dans le monde entier proclamer l’Evangile à toute la création » (Mc16,15).
Ultime paradoxe, Jésus n’envoie pas des témoins bien à l’aise et affermis dans leur foi, mais des hommes incrédules et au cœur dur. Donc il ne faut pas attendre que notre foi soit « parfaite » pour annoncer le Ressuscité, sinon il n’y aurait pas de missionnaires pour témoigner ! D’ailleurs, qu’est-ce qu’une foi parfaite ? A part pour Marie, celle-ci n’existe pas ! Même les plus grands saints ont eu des doutes (Ste Thérèse de Lisieux évoque ses nombreux doutes qu’elle surmonte par des actes de foi). Jésus appelle toujours des pécheurs pour en faire ses témoins. C’est bien la grâce de Dieu qui nous rend capables de témoigner et non « la perfection » de notre foi.
C’est bien ce qui se passera pour Pierre et Jean, lorsqu’ils seront appelés à témoigner de leur foi devant le Sanhédrin où ils comparaissent comme Jésus pour avoir guéri un infirme (Ac 4,13-21). Les voilà pleinement identifiés à Jésus. L’enjeu pour ce tribunal est de ne pas permettre d’associer le nom de Jésus au miracle. Les deux disciples témoignent avec courage, alors qu’ils sont pris pour des « petites » gens sans culture ; les grands prêtres voient leur hardiesse à annoncer le Christ. La peur n’est plus de mise pour les disciples. Leur foi s’est affermie avec le temps par l’annonce ; Pierre le proclame fermement devant leurs accusateurs : « Il nous est impossible de nous taire sur ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4,20).
Par peur des réactions du peuple qui rend gloire à Dieu, Pierre et Jean sont libérés. Ils continuent, malgré l’interdiction des autorités à rendre témoignage au Christ.
Leur « mini-foi » a grandi. La foi croît invisiblement pour celui qui croit même un peu.
Soyons assurés que le Seigneur ressuscité travaille notre cœur si nous lui faisons confiance !
- vendredi 9 avril :
Chers frères et sœurs,
La barque est devenue une image de l’Eglise dans l’imaginaire chrétien. Depuis l’Arche de Noé, en passant par la tempête apaisée (Mc 4,35-41), jusqu’à ce récit de la pêche miraculeuse après la résurrection (Jn 21,1-14).
Le navire symbolise non pas tant le salut que les sauvés. Le mât est devenu le symbole de la croix. Ainsi Hyppolite de Rome, dès le III° siècle utilise cette image pour parler de la vie de l’Eglise : « La mer est le monde. L’Eglise, comme un navire secoué par les flots, mais non submergé. Elle a en effet avec elle un pilote expérimenté, le Christ ».
Lorsque les sept disciples reviennent au bord du lac de Galilée, après la résurrection, tout naturellement ils reprennent leur métier d’avant et partent à la pêche. Après une nuit à peiner, ils reviennent bredouilles, malgré leur compétence de pécheurs. Il faut l’arrivée de Jésus pour que leur pêche soit fructueuse ; après avoir mis l’ancre, ils comptent 153 poissons : ce qui a fait couler beaucoup d’encre, tellement le chiffre est précis ! L’Evangéliste Jean a l’art de nous aider à voir l’invisible par-delà le visible. Par la puissance du Resuscité, les disciples sont « pêcheurs d’homme » (Mt 4,19) ; c’est ce que vient rappeler cette pêche miraculeuse où le chiffre symbolique exprime sans doute à la fois la totalité et la multitude que les baptisés sont appelés à rejoindre.
La nuit révèle une pêche infructueuse ; au matin, la présence de Jésus change tout. Les disciples passent de l’échec d’une entreprise purement humaine à la grâce de la présence du Christ au milieu d’eux.
Tout ceci nous rappelle que la mission de l’Eglise ne porte du fruit que par la présence du Ressuscité au cœur même de la vie des hommes. Jésus ressuscité vient à notre rencontre là où nous vivons, là où il nous envoie ; il veille sur la barque de son Eglise, quels que soient les flots et les tempêtes qu’elle traverse. Dans notre barque Jésus se tient debout ressuscité ; et même lorsqu’il semble dormir (lors de la tempête apaisée, en Mc 4,38), il est là, présent, veillant sur nous. Jésus n’abandonne jamais notre barque !
Même « dans l’Église souffrante, le Christ est victorieux… Le Seigneur demeure sur sa barque, sur le navire de l’Eglise…. C’est précisément dans la faiblesse des hommes que le Seigneur manifeste sa force ; il démontre que c’est Lui-même qui construit, à travers les hommes faibles, son Eglise » (Benoît XVI, homélie du 29 juin 2006).
Tout cela se termine dans l’intimité et la familiarité d’un repas de poissons ; Jésus n’a même pas eu besoin d’attendre le retour de la pêche pour les faire cuire sur la braise avec affection. On imagine la joie pascale de ce repas partagé en toute simplicité.
« Jésus nous demande de l’accueillir sur la barque de notre vie, pour repartir avec Lui et sillonner une mer nouvelle, qui se révèle chargée de surprises. Son invitation à sortir dans la haute mer de l’humanité de notre temps, pour être témoins de bonté et de miséricorde, donne un sens nouveau à notre existence » (Pape François, Audience 10 février 2019).
Bonne pêche avec le Ressuscité !
- jeudi 8 avril :
Chers frères et sœurs,
Le Christ ressuscité est difficile à reconnaître pour ceux qui le rencontrent, parce que son corps est dans la gloire ; Souvenons-nous de Marie-Madeleine qui le prend pour le jardinier…
Dans l’Evangile de ce jour, qui fait suite à celui des pèlerins d’Emmaüs, Jésus se rend présent aux onze ; il se tient « au milieu d’eux », les invitant à accueillir sa paix ; mais ceux-ci encore dans le trouble, malgré le témoignage de Pierre, croient « voir un esprit » (Lc 24,37).
Ce récit rappelle le jour où Jésus marche sur la mer au milieu de la tempête : les apôtres croient alors voir un fantôme. (Mt 14,26). Peut-être les disciples pensaient à une présence spirituelle du ressuscité ? Jésus les aide à contourner cette difficulté en les invitant à toucher son corps pour vérifier que le ressuscité n’est pas un fantôme qui aurait pris l’apparence de Jésus : « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os » (Lc 24,40). Jésus rappelle qu’il est Dieu : « Je suis », mais il conserve sa chair dans la gloire. Christ a toujours son corps, celui qui a été percé par les clous sur la croix. C’est peut-être, pour nous aujourd’hui, les mêmes réticences à croire que notre corps mis à rude épreuve par les virus puisse ressusciter. La résurrection n’est pas un retour à la vie terrestre présente. C’est pour cela que les disciples ont bien du mal à reconnaître Jésus ressuscité.
Jésus se fait très concret « Touchez-moi, regardez » ; les sens ne trompent pas, surtout le toucher qui nous manque tant en ce moment. Les disciples qui cogitent un peu trop sont renvoyés au concret : les mains et les pieds, quoi de plus intime, de plus personnel ; personne ne peut imiter des plaies de crucifié. Ainsi Jésus veut leur montrer que c’est vraiment lui qui a été sur la croix et qui est revenu à la vie. « Trop beau pour être vrai ! » : les disciples sont comme nous ! « Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire » (Lc 14,41).
Et ensuite pour contrer les doutes qui subsistent dans leur cœur il va manger devant eux, pour leur prouver qu’il n’est pas un esprit, ni un mirage. Devant eux il mange un poisson grillé (nous retrouvons le poisson du 1° avril…).
Cet homme dont ils peuvent toucher les plaies, cet homme dont ils vont partager les repas, est désormais « le prince de la vie », comme le dit Pierre dans la première lecture (Ac 3,15). Pierre vient de guérir un infirme ; ce qu’il a fait pour lui vient non pas de sa force propre, mais de la puissance du Ressuscité : il a agi au « nom de Jésus », en raison de la foi en Jésus-Christ ressuscité : « Tout repose sur la foi dans le nom de Jésus Christ : c’est ce nom lui-même qui vient d’affermir cet homme » (Ac 3,16).
Que la présence du Ressuscité nous donne la joie de Pâques !
- mercredi 7 avril :
Chers frères et sœurs,
A scruter les Ecritures, on trouvera toujours de nouveaux éclairages ! Pourtant ce texte des pèlerins d’Emmaüs est tellement médité qu’il risque de perdre toute saveur. Quelles richesses multiples à recevoir toujours davantage, en contemplant ce texte ! En particulier ce texte est souvent utilisé, avec raison, pour expliquer en catéchèse les différentes étapes de l’eucharistie telle que nous la célébrons chaque jour (L’accueil, la Parole accueillie, la fraction du pain, l’envoi : si vous ne vous rappelez pas votre caté, recherchez ces quatre étapes dans le texte de Luc !).
Quelle n’a pas été ma surprise en (re)découvrant que le centre de ce texte extrêmement construit par l’Evangéliste Luc est le verset 26 : « N’est-ce pas cela que devait souffrir le messie pour entrer dans sa gloire ? ».
Pourquoi est-ce verset qui est au centre de ce récit des pèlerins ? Quel est ce « devoir » que le Christ ne cesse pas de mettre en avant dans sa mission ? C’est le mystère d’un amour totalement livré, totalement donné.
« Il faut que le Fils de l’homme souffre, meure et ressuscite » martèle Jésus lors des annonces de la Passion (Lc 9,22) ; « Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes » (Lc 9,44 ; cf Lc 24,7) … Jésus, dès avant sa mort, est conscient de ce qui l’attend. Ce n’est pas la nécessité du Mal humain qui s’impose à lui. L’issue de ce combat est certaine. ; c’est la résurrection ! « Une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée » (Mc 14,28). C’est ce que Jésus redit après la résurrection à ses disciples. La souffrance et la mort sont le chemin que Jésus prend en toute liberté, et par amour de l’humanité. Jésus ne fait qu’accomplir le désir d’amour du Père, qui est le salut. D’ailleurs curieusement dans l’Evangile de Luc le premier mot que prononce Jésus, lors de sa « fugue au Temple » est celui de son « devoir » : « Ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père ? » (Lc 2,47).
La notion de « devoir » a mauvaise presse aujourd’hui, où tout le monde se réclame de ses droits : « le droit à la liberté de presse, le droit à l’enfant… ». Mais qui oserait encore parler de « devoirs » à accomplir ?
C’est bien le devoir de l’amour qui est le cœur de la vie de Jésus ; c’est ce même devoir de l’amour qui nous convie chaque dimanche à l’eucharistie. C’est ainsi que la relecture des Ecritures par Jésus aide à comprendre le sens de sa mission qui passe par la mort pour la Vie : il se devait d’honorer l’amour du Père en entrant dans ses désirs de salut pour l’homme.
Sur la croix, il pourra dire en vérité : « Tout est accompli ». Il a rempli son devoir le plus beau, celui de servir son Père et les hommes ses frères. Son devoir d’amour est sa joie la plus profonde : « Demeurez dans mon amour… Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). C’est cette joie de Pâques que nous célébrons pendant cinquante jours.
Il faudra que Cléophas et son compagnon pèlerin soient accompagnés par Jésus pour comprendre les Ecritures ; il leur faudra le partage du pain pour que leur « yeux empêchés » (verset 16) puissent s’ouvrir et reconnaître Jésus Ressuscité (verset 31) et pour que « leur cœur lent à croire » (verset 25) devienne « un cœur brûlant » (verset 32).
Ils fuyaient Jérusalem plein de tristesse, ils y retournent pour brûler le cœur de leurs frères.
Par amour, Jésus se fait encore notre compagnon de route pour nous conduire sur nos chemins humains pour rendre notre « cœur brûlant » de son amour.
- mardi 6 avril :
Chers frères et sœurs,
Elles sont amusantes les représentations des peintres où l’on voit Jésus avec sa bêche ou sa houe, ces images rivalisent de réalisme ! Je vous transmets une des plus étranges et des plus cocasses : Jésus jardinier au milieu des légumes, avec sa pelle et son chapeau de « cow-boy » (excusez l’anachronisme !). Cette scène a beaucoup inspiré d’artistes, à cause de son originalité, qui prête à des variations infinies sur le thème. De telles images ont pu voir le jour en raison de la méprise de Marie-Madeleine qui ne reconnaît pas Jésus ressuscité et qui le prend pour le jardinier des tombeaux… Peut-être y-a-t-il une allusion au jardin du paradis (« Le Seigneur Dieu se promenait dans le jardin à la brise du jour », Gn 3,8), en ce premier jour d’un monde nouveau, que Marie-Madeleine n’a pas encore reconnu comme tel.
Cette scène de l’après résurrection est émouvante : Marie-Madeleine, la femme libérée de ses sept démons, sait tout ce qu’elle doit à Jésus ; ses larmes sont le signe de son attachement profond à la personne de Jésus qu’elle a suivi jusqu’à la croix. En elle, c’est toute notre humanité qui cherche le Seigneur, parfois dans les larmes.
Avec persévérance, elle cherche à comprendre pourquoi le tombeau de Jésus est vide. Elle aurait fait une bonne commissaire de police : avec insistance, elle enquête auprès des anges, auprès de celui qu’elle prend pour le jardinier.
On repense à ces mots si beaux du poème d’amour du Cantique des cantiques : « J’ai cherché celui que mon cœur désire ; je l’ai cherché ; je ne l’ai pas trouvé. Ils m’ont trouvée, les gardes, eux qui tournent dans la ville ; Celui que mon cœur désire, l’auriez-vous vu ? ; À peine les avais-je dépassés, j’ai trouvé celui que mon cœur désire : je l’ai saisi et ne le lâcherai pas » (Ct 3,3-4)
Avec délicatesse, Jésus la rejoint dans sa tristesse et dans sa recherche ; sans doute Jésus est-il lui-même ému par les larmes et le désarroi de Marie-Madeleine qu’il a guérie : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? ». Elle ne le reconnaît pas immédiatement, sans doute éblouie par la lumière trop intense de celui qu’elle contemple.
C’est lorsque Jésus l’appelle par son nom que Marie reconnaît Jésus ; on imagine cet instant d’émotion intense lorsqu’elle comprend. Son cœur est enfin en paix.
Ce que Jésus avait annoncé avant sa mort s’accomplit pour Marie-Madeleine et pour l’humanité : « Maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16,22).
Son désir de retrouver le corps de Jésus est dépassé, rassasié en surabondance, au-delà de ses espoirs les plus fous : alors qu’elle venait honorer un mort, elle comprend enfin les paroles de Jésus avant la Passion : il est ressuscité, il est le Vivant ! Dans un geste spontané, elle tend les mains vers Jésus. « Ne me retiens pas », lui dit Jésus (c’est ce qui a donné le titre aux peintures, en latin : « noli me tangere, ne me touche pas »).
Elle croit pouvoir retenir Jésus, mais Jésus l’entraîne plus loin ; ce n’est pas une mise à distance, (ni un « geste barrière » !), mais un envoi en mission, il l’envoie vers ses frères en qui Jésus est présent : « Va trouver mes frères » (Jn 20,17). Elle est la première à annoncer le ressuscité. Elle a reconnu non sans difficultés celui qui l’a sauvée de son Mal ; elle nous réconforte nous qui avons, comme elle, tant de mal souvent à reconnaître la présence de Jésus dans nos vies de tous les jours.
Réentendons la promesse de Jésus, ses derniers mots dans l’Evangile de Matthieu : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).
- lundi 5 avril :
Chers frères et sœurs,
Nous retrouvons dans l’Evangile de Matthieu les deux Marie de l’Evangile de la Résurrection de Marc ; les Evangiles évoquent souvent les femmes qui ont suivi Jésus en le servant depuis la Galilée. Et elles persévèrent jusqu’au bout, au pied de la croix et au tombeau. Comme si elles ne pouvaient pas se séparer de Jésus. Elles sont venues « contempler » le tombeau, dit l’Evangéliste (Mt 28,1), et parce qu’elles savent accueillir le mystère, leur cœur peut comprendre le message pascal. Et sur leur route de l’annonce elles vont croiser Jésus ressuscité.
Malheureusement la lecture de ce jour nous prive de la première partie de cet Evangile de la Résurrection (vous retrouverez cela en Mt 28,1-7). Comme hier, ces deux femmes viennent honorer Jésus. Leur surprise est grande : Un ange a roulé la pierre du tombeau de Jésus ; il ne leur laisse pas le temps d’avoir peur. L’ange rassure les femmes qui viennent rendre hommage à Jésus mort ; il leur annonce la vie et les envoie aux disciples : « Allez vite » (Mt 28,7) ; les paroles de l’ange sont très convaincantes : Elles n’hésitent pas une seconde : « Vite, elles quittèrent le tombeau, remplies à la fois de crainte et d’une grande joie » (Mt 28,8). Là où les soldats qui gardaient le tombeau sont paralysés, comme « morts de crainte », celles-ci ont une crainte pleine de joie, parce que tout cela dépasse leurs espérances les plus secrètes et les plus folles. Leur crainte n’est pas de la peur, elle est de l’allégresse. Et celle-ci les met en mouvement sans attendre ; elle les fait courir pour partager cette joie.
Elles partent donc au pas de course, ce sont des sportives, annoncer la nouvelle aux onze. C’est l’Eglise qui se met en route, les femmes sont les premières à accueillir la Vie, les premières à en à témoigner. Ce qui est extraordinaire dans le contexte de l’époque où le témoignage des femmes n’était pas reçu.
Et au beau milieu de leur course effrénée pour annoncer l’heureuse nouvelle sans retard, elles croisent Jésus ressuscité qui vient à leur rencontre. Le salut que Jésus leur adresse est plein de joie (c’est le même salut que l’ange adresse à Marie lors de l’Annonciation) : «Réjouissez-vous » ; le Christ se laisse voir et toucher dans son humanité ; les femmes ne résistent pas à saisir les pieds transpercés de Jésus en signe de respect, peut-être aussi pour toucher et être sûres de la réalité de celui qui vient à elles.
Jésus confirme le message de l’ange. Il y a beaucoup de tendresse lorsqu’il dit : « Allez annoncer à mes frères ». Quelle joie de nous entendre appeler par Jésus ressuscité comme ses frères !
C’est cette même joie qui déborde du cœur du psalmiste : « Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! « (Ps 15,11).
Joyeuses fêtes de Pâques ! Nous avons huit jours pour nous souhaiter cela !
- dimanche 4 avril :
Accueillir l’imprévu, nous sommes habitués depuis un an… C’est ce qui arrive aux trois Marie lorsqu’elles se rendent au tombeau pour honorer la dépouille de Jésus.
Ces femmes « suivaient Jésus et le servaient dès la Galilée » (Mc 15,40) ; elles étaient déjà présentes au pied de la croix et lors de son ensevelissement. La mort de Jésus a rempli leur cœur de ténèbres. Elles vont faire un chemin intérieur : de l’accueil de la mort de Jésus qu’elles ont aimé et suivi, jusqu’à la découverte de l’impossible, de l’impensable : la Résurrection.
Il fait encore nuit dans leur cœur. Le jour commence à se lever lorsqu’elles arrivent au tombeau : nous revivons (pour les matinaux) ce matin de Pâques, avec ce contraste, ce passage des ténèbres de la mort à la lumière éblouissante de la résurrection : « de grand matin », « comme le soleil se lève » … C’est un commencement, une nouveauté à accueillir. C’est l’aube d’une création nouvelle.
Elles vont de surprise en surprise : en arrivant elles n’imaginent pas un instant ce qu’elles vont découvrir… Elles ont le cœur ailleurs, rempli de tristesse, mais aussi de vénération puisqu’elles viennent embaumer le corps de celui qui les a touchés au cœur. Elles ne sont pas du tout préparées à la résurrection…
On ne sait pas comment elles pensaient rouler la lourde pierre du tombeau ; lorsqu’elles arrivent, celle-ci est enlevée, le tombeau est ouvert. C’est forcément l’action divine. Un jeune homme lumineux, « vêtu d’une robe blanche » les y accueille. L’apparition est totalement imprévisible. L’effet de surprise est total ; elles sont effrayées. Est-ce Jésus lui-même, méconnaissable après la résurrection, comme en d’autres apparitions ? Est-ce un ange ? Est-ce le disciple modèle ? Un indice dans l’Evangile de Marc pourrait le laisser penser : en effet, au moment de l’arrestation de Jésus, « un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu » (Mc 14,51-52). Celui-ci d’abord dévêtu, est revêtu d’un vêtement blanc, le vêtement du baptisé, après la résurrection. Le baptisé participe à la mort et à la résurrection de Jésus, il abandonne son vieux vêtement pour revêtir celui du Christ ; il laisse l’homme ancien pour accueillir l’homme nouveau. De plus ce jeune homme est assis à la droite, signe du lien avec le Christ.
« Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici… Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée » (Mc 16,6-7).
Le premier mot de celui-ci est pour rassurer, comme dans toutes les manifestations divines : « N’ayez pas peur ! ». Le jeune homme aide ensuite les femmes à comprendre ce qui leur arrive : « le crucifié » qu’elles venaient honorer est « ressuscité » et donc il est Vivant … L’inattendu est proclamé. Elles trouvent ce qu’elles ne cherchaient pas. Quelle surprise pour elles qui ne s’y attendaient vraiment pas !
Et elles sont envoyées en mission auprès des disciples pour proclamer qu’il les précède en Galilée. Elles deviennent messagères d’une nouvelle qui les dépasse. Un printemps lumineux de la foi se fait jour après les jours de larme et de deuil, dans la lumière du tombeau ouvert.
La Galilée est le lieu où tout a commencé avec le Christ ; Jésus y retrouve les siens : c’est sur les bords du lac de Galilée que l’aventure de la foi a commencé dans la joie pour les douze ; là Jésus a multiplié les pains, il a donné les Béatitudes et transmis l’amour de son Père, il a apaisé la tempête, là il a guéri et pardonné…
Les disciples sont renvoyés à leur quotidien ; mais il est désormais habité de la présence nouvelle et cachée du Ressuscité qui les précèdera toujours partout où ils seront et iront. Jésus ressuscité ne s’éloigne en rien de notre vie. Nous sommes invités à retrouver le ressuscité dans les Galilée de nos vies, dans notre quotidien. Il nous y précède, il nous y rejoint.
Quelle joie de savoir le Christ présent à nos côtés à chaque instant de notre vie ! Que cette joie nous pousse à l’annoncer à nos frères !
Christ est ressuscité… il est vraiment ressuscité ! Joyeuses fêtes de Pâques !
- samedi 3 avril :
Chers frères et sœurs,
Comment vivre le Samedi Saint ? C’est un jour exceptionnel dans l’année liturgique, justement parce qu’il est un jour sans liturgie, sauf la liturgie des heures. Il n’y a donc pas à proprement parler de « Parole de Dieu » proposée pour ce jour.
C’est un jour de recueillement, de deuil : le Christ repose au tombeau en attente de la Résurrection. C’est aussi un jour de préparation à la grande fête de la vigile pascale.
« Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, grand silence sur la terre ; grand silence et ensuite solitude parce que le Roi sommeille… Parce que Dieu s’est endormi dans la chair et il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. » (Epiphane de Salamine, IV° siècle).
L’Eglise vit donc une journée de silence, communion avec le Seigneur qui est dans le repos du tombeau. C’est un repos passager, de passage entre la condition humaine mortelle et la gloire divine. Auprès du Seigneur, qui repose en terre, les chrétiens sont invités à veiller et à prier.
Le texte proposé pour l’office des lectures éclaire le sens de ce jour, comme l’Écriture le dit à propos du septième jour : « Et Dieu se reposa le septième jour de tout son travail…Car Celui qui est entré dans son repos s’est reposé lui aussi de son travail, comme Dieu s’est reposé du sien… Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là » (He 4,4-11). Le « repos de Dieu » est participation au bonheur de Dieu qui se repose le 7° jour. Les baptisés sont invités à entrer dans ce repos en accomplissant le désir de Dieu qui est source d’une paix profonde.
Les chrétiens d’Orient font mémoire en ce jour de la descente du Christ aux enfers. Dans le credo, nous proclamons : « Il est descendu aux enfers ». Jésus va chercher aux enfers Adam et Eve ; ce lieu n’est pas ce qu’on appelle l’enfer qui est lieu de séparation d’avec Dieu ; les enfers désignent le lieu du sommeil et donc du repos des morts (le « shéol »).
Les icônes orthodoxes représentent souvent ce mystère de la descente aux enfers : le Christ ressuscité piétine les portes fracassées du séjour des morts, et va prendre par la main Adam et Eve pour les réveiller d’entre les morts et les emmener avec lui au Royaume des cieux : En nos profondeurs humaines qui ne sont pas prêtes à l’accueillir, le Christ ressuscité vient aussi apporter la vie.
Le Christ descend dans les profondeurs de la mort, comme les baptisés descendent le jour de Pâques, au moins symboliquement, dans les eaux du baptême.
Recueillons-nous, en ce jour, en l’amour du Christ, reposons-nous en lui avec confiance ; il vient le jour de la Résurrection, il est tout proche. Ne le sentez-vous pas arriver ? Christ vient renouveler toutes choses !
- vendredi 2 avril :
Nous méditons en ce jour la Passion selon l’Evangéliste Jean. C’est un texte grave, habité, contemplatif, mais aussi réaliste et rude (la gifle, les humiliations, la couronne d’épines…). Tout cela est comme transfiguré dans la lumière incandescente de l’amour total et du pardon sans condition.
Jésus y est montré dans sa gloire, mais une gloire totalement paradoxale, parce qu’elle est une gloire humiliée. Ce n’est pas la gloire au sens très humain habituel, qui va avec les honneurs, avec le succès, la célébrité. Non ! la gloire de Jésus va avec les insultes, les coups, l’extrême de la violence subie…
Jésus s’est avancé librement vers cette humiliation qu’il savait inévitable ; inévitable parce que son amour n’était pas compris comme celui de son Père : il n’a pas hésité un instant ; le pape François (homélie des Rameaux 2021) dit que le Christ l’a fait « pour nous, pour toucher jusqu’au fond notre réalité humaine, pour traverser toute notre existence, tout notre mal ».
Jésus s’y révèle en se cachant : il apparaît dans son humanité vulnérable, mais entièrement donnée aux hommes ; Jésus est vraiment l’homme accompli, l’homme image parfaite du Père, dans le don de lui-même : « Voici l’homme », dit Pilate dans une parole à portée prophétique (Jn 19,5) ; Jean nous montre aussi le Christ dans sa royauté bafouée. Jésus est couronné d’épines, revêtu de pourpre, giflé, moqué ; il est salué comme un roi de dérision. L’humiliation que subit Jésus accomplit le salut, Jésus est le Serviteur souffrant annoncé par Dieu en Isaïe : « Voici votre Roi », dit Pilate sans comprendre la portée de ce qu’il dit (Jn 19,15) ; mais aussi Jean contemple en Jésus sur la croix celui qui se montre vraiment Fils de Dieu : « Elevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32) ; St Jean contemple le Christ dans son humiliation comme le signe inimaginable de la puissance du Fils de Dieu. Il domine non par la puissance, mais dans la faiblesse, il attire comme un aimant à l’amour sans limite ; le récit de la Passion nous parle de « Dieu pour nous » : nous voyons l’infini de l’amour de Dieu, et jusqu’où il nous aime en son Fils crucifié.
Son courage à la fois éprouvé et serein prend appui sur l’amour du Père auquel il s’abandonne en toute confiance ; au contraire de Pierre, qui lui s’appuie sur ses propres forces et ne tient pas face à la menace, parce qu’il redoute d’être considéré comme complice de Jésus. Les proches de Jésus se dérobent ; sauf Jean et Marie, fidèles, présents jusqu’au bout : la mère de Jésus est confiée aux siens ; c’est la naissance de l’Eglise au pied de la croix.
Une des dernières paroles de Jésus sur la croix que rapporte Jean est une parole qui exprime tout son amour : « J’ai soif » (Jn 19,28). Jésus a soif de nous libérer ; il a soif de notre réponse, de notre amour. C’est pour cela qu’il a pris librement le chemin de la croix. En ce vendredi Saint confions nos proches dans leurs épreuves, notre monde en souffrance : « Pour la deuxième fois, nous vivons dans le contexte de la pandémie. L’année dernière, nous avons été plus choqués, cette année, nous sommes plus éprouvés. Et la crise économique est devenue lourde. Dans cette situation historique et sociale, que fait Dieu ? Il prend la croix. Jésus prend la croix, c’est-à-dire prend en charge le mal que cette réalité entraîne, mal physique, psychologique et surtout spirituel » (Pape François Angélus 28/3/2021).
Pour ceux qui le souhaitent, nous pouvons compléter les offices, chemin de croix et la lecture de la Passion selon St Jean par l’écoute de la magnifique « Passion selon St Jean » de Bach.
- jeudi 1er avril :
Chers frères et sœurs,
Dans les Evangiles, les repas de Jésus tiennent une grande place. Jésus partage les repas de tous, sans distinction, pharisiens comme publicains et pécheurs, cela lui sera souvent reproché ! De Cana aux repas avec ses amis de Béthanie, en passant par le repas chez Matthieu le publicain… Et combien de repas au bord du lac avec ses disciples !
Mais aussi Jésus prend soin de la foule, il se soucie des besoins humains, lorsqu’à la fin du jour il voit les foules affamées. Les multiplications des pains viennent annoncer le repas pascal. La disproportion est évidente entre ce que les apôtres apportent pour manger et l’immensité de la foule : cinq pains, deux poissons pour 5000 hommes (Jn 6,1-14). Du trop peu que donne un enfant, Jésus va faire ce qui semble impossible à vue humaine. Il fait une surabondance inimaginable. A travers la petitesse des moyens éclate la puissance de Dieu. Tout cela exprime l’insuffisance humaine que Dieu vient combler.
Et puis il y a ce repas solennel de la fête de Pâques, en mémoire de la libération de l’esclavage en Egypte, que Jésus ne manque pas de prendre avec les siens. Jésus avant de donner sa vie, veut manger la Pâque avec ses disciples pour la dernière fois. Le lavement des pieds en donne tout le sens : le service jusqu’à offrir sa vie. « J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous » (Lc 22,15). C’est un moment de communion solennel avec les siens.
Le récit de la Cène rapporte les paroles et les gestes par lesquels Jésus s’est donné lui-même.
« Le corps qu’il donne à manger aux siens, il le leur a livré chaque jour passé avec eux ; son travail, sa peine, ses forces, toutes les ressources de son esprit et de son cœur, il les a constamment mises à notre service » (J.Guillet, Jésus-Christ hier et aujourd’hui p.192). Jésus ne se donne plus seulement à travers ses paroles, ses gestes, ses regards, sa présence, son attention à chacun… il se rend présent tout entier ; il se livre tout entier. La Cène annonce ce qui s’accomplit sur la croix : « Ceci est mon corps donné pour vous » (Lc 22,19).
Après la Résurrection, Jésus continuera à se manifester aux siens, en partageant avec eux des repas qui le feront reconnaître comme le Ressuscité : c’est le repas à Emmaüs : « Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (Lc 24,30).
Ce sont aussi les poissons grillés sur le feu. Jésus prépare un repas pour ses disciples sur un feu de braise au bord du lac (Jn 21,1-14). Jésus est là familier, comme le plus simple des hommes : « Venez déjeuner ». « Les disciples aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre » ». Jésus se fait spécialiste du barbecue pour ses amis !
Vous savez sans doute que le poisson est devenu le symbole de la foi en Jésus dans les premiers siècles ; le poisson était un signe de reconnaissance pour les chrétiens (on retrouve cela aujourd’hui à l’arrière des voitures) ; de nombreuses représentations iconographiques en témoignent, en grec le mot qui désigne le poisson (Ictus), permet de cacher la foi en Jésus Sauveur : ICTUS qui signifie, du grec, « Jésus-Christ (I.C) fils de Dieu (T.U) sauveur (S) ».
D’ailleurs dans les premiers siècles va s’élever une querelle liturgique pour savoir s’il fallait remplacer le pain eucharistique par le poisson christique. Vous vous imaginez s’il avait fallu remplacer le pain par du poisson sur l’autel ! Heureusement le bon sens prévaut toujours !
- mercredi 31 mars :
Chers frères et sœurs,
Le troisième chant du Serviteur de Dieu se fait de plus en plus dramatique. L’Evangile aussi, au fur et à mesure qu’approche la mort de l’unique Serviteur, le Christ.
Le Serviteur fidèle fait face au peuple infidèle ; il évoque lui-même la souffrance qu’engendre cette fidélité à Dieu. Il possède « une langue de disciple », curieuse expression qui exprime son désir d’écouter la volonté de Dieu ; la Parole de Dieu irrigue sa vie et travaille son cœur chaque jour. Et parce qu’il se met à l’écoute, il peut transmettre ce qu’il a reçu du Seigneur : il donne aux hommes la parole de consolation qui lui vient du Seigneur, il réconforte ceux qui se sentent abandonnés par Dieu, « D’une parole, je peux soutenir celui qui est épuisé » (Is 50,4).
Cette écoute de la Parole est vécue au cœur de la persécution ; il est au cœur d’un combat, dans lequel il persévère malgré les outrages qui l’accablent : « Je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats » (Is 50,5-6). Comment ne pas relire ce texte avec à l’esprit ce que Jésus a subi pendant sa Passion ? « Ils crachèrent au visage de Jésus et le giflèrent ; d’autres le rouèrent de coups » (Mt 26,67). C’est le Christ qui vient accomplir cette figure du Serviteur dans sa Passion.
« Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu » (Is 50,6-7). Il ne se plaint pas, ni ne se dérobe à sa mission et reste courageux : ce que signifie l’expression de la « face dure comme pierre ». Il persévère dans le bien même au cœur de la tourmente. On pense à l’attitude de Jésus qui avec courage se dirige en pleine liberté vers le don de sa vie, en marchant avec détermination vers la ville sainte où la mort l’attend : « Jésus affermit sa face pour aller à Jérusalem » (Lc 9,51) ; Jésus est abandonné entre les mains de son Père. On retrouve ce calme du Serviteur dans l’Evangile des préparatifs du repas pascal : Jésus ne se laisse pas submerger par la perspective qu’ouvre ce repas où il va se livrer librement par amour, « Prenez, ceci est mon corps livré pour vous » (Lc 22,19). Le Christ ne subit pas les événements, il en est le Maître.
Le Serviteur reste dans un abandon confiant : il sait que Dieu viendra toujours à son secours parce qu’il s’est confié en son amour : « Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ? » (Is 50,9). Paul méditera sur cette conviction de l’amour infini de Dieu, lui qui sait ce que c’est d’être gracié : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? La détresse ? L’angoisse ? La persécution ? La faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le glaive ?… Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés… Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ, Jésus, notre Seigneur » (Rm 8,35-39).
Nous pouvons faire nôtres ces paroles de confiance en ce mercredi saint, en demandant la confiance pour nos frères et sœurs souffrants.
- mardi 30 mars :
Chers frères et sœurs,
Nous retrouvons le mystérieux Serviteur de Dieu qui commence à nous devenir familier ! Nous abordons le deuxième chant du Serviteur, qui annonce l’inouï de Dieu (au sens premier de ce mot, ce qu’on n’avait pas encore entendu).
Ce Serviteur se présente lui-même et parle de sa mission qui lui est confiée par le Seigneur.
Il est choisi par Dieu dès le sein maternel pour accomplir sa volonté de salut. Il s’agit d’un appel de type prophétique.
Ainsi Jérémie est appelé par Dieu en des termes proches de ceux qu’utilise le Serviteur « façonné par Dieu » : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations ». Et je dis : « Ah ! Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un enfant ! » » (Jr 1,5-6). Mais contrairement aux prophètes qui ne savent que balbutier (on aimerait parfois balbutier comme Jérémie !), le Serviteur de Dieu a une parole aiguisée et forte comme une « épée tranchante », comme « une flèche acérée » (Is 49,2). Par son Serviteur, Dieu veut faire briller sa gloire aux yeux de tous les hommes.
Et pourtant, étrangement, puisque Dieu lui a donné des forces vives, sa mission est vouée à l’échec ; le Serviteur est découragé, comme si ce qu’il avait fait n’était que du vent : « Je me suis fatigué pour du vide et pour de la buée, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces » (Is 49,4 ; on retrouve la buée qu’utilisait le sage Qohèlet : « Vanité des vanités ; tout est vanité » en Qo 1,2 ; cf. méditation du mercredi des Cendres)
Etrange mélange, qui le rend proche de nous :
– A la fois il est conscient de sa grandeur qui lui vient de Dieu : « Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force » (Is 49,6) ; et le Seigneur le lui confirme : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » (hier nous entendions : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur » en Is 42,1). Il est puissant de la force de l’Esprit que Dieu lui donne et sa parole est destinée à tous les hommes (« les îles lointaines ») : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Is 49,6).
– Et à la fois il se plaint de sa souffrance et de se fatigue (aujourd’hui on dirait que le Serviteur, ayant trop bien accompli sa mission, est proche du burn-out).
Jésus est confronté dans l’Evangile au Mal qui prend la figure d’un disciple choisi par lui, Judas ; Pierre lui-même n’est pas bien vaillant, malgré ses affirmations présomptueuses de suivre Jésus jusqu’au bout ; mystère de l’âme humaine qui est capable du meilleur, mais aussi du pire… Jésus, le Serviteur de Dieu doit se sentir bien seul et découragé…
Puissions-nous toujours, même dans les moments de découragement que nous traversons, nous émerveiller d’avoir une valeur infinie aux yeux de Dieu.
- lundi 29 mars :
Au seuil de la semaine sainte, nous contemplons la figure du mystérieux Serviteur de Dieu en Isaïe. Dieu présente son serviteur qui mettra en œuvre le salut. Dieu ouvre un avenir à son peuple ; il annonce la nouveauté du salut qu’il va déployer (Is 42,9).
Ce serviteur est souvent assimilé au peuple de Dieu lui-même, racheté de l’exil. Mais parfois c’est une figure unique, personnelle. Nombreux sont les « chants du Serviteur », au long des chapitres 42 à 53 du livre d’Isaïe. Bien sûr derrière cette figure, se cache en filigrane le Messie, le Christ.
Ce Serviteur est « l’élu » de Dieu ; il est la réponse de Dieu aux idoles païennes, aussi silencieuses qu’inefficaces, dont parlait les versets précédents : « Néant ; vent et vide, leurs idoles » (Is 41,29). Cet homme choisi par le Seigneur sera, au contraire des idoles, pleinement efficace, parce qu’il est habité par l’Esprit de Dieu ; il est chargé de l’annonce aux nations et de la mise en œuvre de la libération. Il enseignera et interprétera la Loi. Il est un homme humble, à la parole pleine de douceur, et bien sûr nous pensons immédiatement à la douceur de Jésus. Ce mystérieux Serviteur a toute la faveur de Dieu qui trouve sa joie en lui ; ces paroles seront reprises lors du baptême de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. » (Mt 3,17).
« Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ; aux nations, il proclamera le droit. Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, il ne fera pas entendre sa voix au-dehors. Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité. Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois » (Is 42,1-3).
Ensuite Dieu s’adresse à ce Serviteur, dans un oracle, sorte d’investiture royale lui donnant mission, évoquant sans doute le lointain Messie à venir :« Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice ; je te saisis par la main, je te façonne, je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations : tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et, de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres » (Is 42,5-6).
La mission du Serviteur sera amenée à se déployer en actes de libération, c’est l’annonce de la fin de l’exil à Babylone (« ouvrir les yeux des aveugles, libérer les prisonniers », ce que Jésus viendra accomplir). Ce sera donc un médiateur entre Dieu et les hommes pour accomplir l’œuvre de Dieu. Mais à la différence des rois et des prophètes sa mission sera discrète, elle se fera sans bruit, mais tout de même avec conviction. Et le salut promis ne se limite plus à Israël, mais il s’ouvre à toutes les nations. La grâce de Dieu n’est jamais épuisée !
L’onction à Béthanie, que rapporte l’Evangile de ce jour (Jn 12,1-11) est un geste d’extraordinaire gratuité ; Marie, la sœur de Lazare, verse généreusement un parfum luxueux, « authentique et de grande valeur », sur les pieds de Jésus, les essuyant de ses cheveux. A la gratuité de l’amour du Christ, répond ce geste de surabondance parfumée.
Louons dès à présent la grâce de Dieu jamais épuisée que le Christ manifeste pour nous en cette semaine sainte !
- dimanche 28 mars :
Chers frères et sœurs,
La liturgie des Rameaux concentre le temps de la Passion en une seule liturgie.
En quelques instants, nous passons de la joie et de l’acclamation des foules à l’entrée de Jésus à Jérusalem, jusqu’à sa condamnation par cette même foule. De quoi nous rendre humbles et nous remettre face à l’inconstance de nos cœurs…
Souvent dans notre vie tristesse et joie sont entremêlés : c’est ce qui se passe dans la célébration des Rameaux : La générosité incroyable de Marie Madeleine qui embaume le Christ d’un parfum de grand prix montrant qu’elle voulait s’offrir toute entière à Dieu ; et peu après la trahison de Judas puis le reniement de Pierre, les plus proches de Jésus. Enfin le centurion, un païen qui le premier comprend tout et reconnaît devant l’amour de Jésus sur la croix : « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu » (Mc 15,39). La Passion du Christ nous révèle le cœur changeant de l’homme. Nous sommes capables de « faire des ténèbres la lumière, et de la lumière les ténèbres, de faire du mal le bien et du bien le mal », comme dit le prophète Isaïe (Is 5,20). L’homme est capable du pire, l’égoïsme et l’indifférence face aux souffrances des autres, mais aussi du meilleur, le don de nous-mêmes.
Et face à ce mal, le Christ dans l’Evangile de Marc nous est montré comme celui qui nous libère des échecs et de nos difficultés à aimer. Il est « doux et humble », « on n’entend pas sa voix » face à la violence qui se déchaîne contre lui. Il ne se défend pas, il sait que le Père veille sur lui.
La réponse de Jésus à la violence est don, gratuité, douceur, et par-dessus tout cela une confiance totale en son Père. Même l’ultime cri : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est aussi cri de confiance dans la nuit de l’intolérable.
Et c’est cette attitude incroyable de Jésus faite de douceur et de confiance face au déchaînement de violence qui permet au centurion, un païen, d’entrer le premier dans la foi : Jésus est Fils de Dieu non dans un ultime succès, non dans la gloire (par trois fois il lui est demandé : « Descends de la croix », c’est-à-dire « manifeste ta puissance »), il se montre pleinement Fils dans la force faible d’un amour silencieux, dans don total aux hommes.
Face à la violence et à nos souffrances, que cette semaine sainte nous aide à entrer dans cette force faible de Jésus qui est puissance de l’amour totalement gratuit, prêt à tout donner sans rien recevoir. Ainsi nous serons comme Jésus davantage « Fils de Dieu ».
La souffrance si dure de la passion de Jésus rejoint la passion des hommes, quand notre vie se heurte à l’insurmontable, quand nous avons l’impression de couler face à tel événement qui nous submerge (deuil, séparation, maladie, dépression…). Jésus ne nous laisse jamais seuls face à nos épreuves ; il nous accompagne et souffre avec nous. Le pape François y voit une invitation à ne pas se laisser « prendre par le découragement » ! Mais aussi il y voit un appel à porter dans notre monde l’espérance qui nous vient de cette confiance que nous avons que Jésus ne nous abandonne jamais. Il nous porte sur ses épaules et nous accompagne lorsque le mal ou la souffrance nous atteignent.
Nous avons bien besoin en ce moment de cette espérance !
NB. En raison des contraintes sanitaires du confinement, un certain nombre de nos gestes forts de la liturgie ne pourront hélas pas avoir lieu : nous ne pourrons pas bénir les rameaux à l’extérieur, ni faire le lavement des pieds, ni embrasser la croix… Mais réjouissons-nous malgré cela de pouvoir cette année nous retrouver en paroisse pour célébrer toute la semaine sainte !
- samedi 27 mars :
Chers frères et sœurs,
Jésus vient de manifester son autorité sur la mort et sur la vie, en faisant revenir à la vie son ami Lazare. Le paradoxe est ainsi à son comble : c’est lorsque Jésus donne la vie, qu’il est menacé de mort ; c’est lorsqu’il montre qu’il agit comme Dieu, qu’il est condamné par les autorités de son peuple.
Comme souvent ce que fait Jésus divise : beaucoup de juifs croient en lui à la vue de ce septième signe qu’il a accompli : c’est le sommet des signes en Jean : Jésus rayonne parce qu’il donne la vie de Dieu ; d’autres au contraire vont le dénoncer aux pharisiens. Le malaise s’accentue avec ceux-ci. Le geste de Jésus inquiète grand prêtres et pharisiens qui réunissent le grand conseil du Sanhédrin, la plus haute autorité juive à l’époque.
La question qu’ils se posent « Que faire de cet homme qui fait beaucoup de signes ? », manifeste qu’ils sont inquiets devant l’opinion publique qui admire ce que Jésus accomplit. Les actes de Jésus risquent de rallier le peuple à lui : « Tous risquent de croire en lui ». Ils craignent déjà les gilets jaunes, un vaste mouvement populaire en faveur de Jésus ; et le risque en représailles d’une répression romaine contre la foi juive. Ils pensent, sans doute de façon exagérée, que Jésus est « un agitateur » et qu’il constitue pour leur nation une menace. Jésus n’a pourtant rien d’un zélote (groupe nationaliste militant et fanatique, dont Simon le zélote, l’un des douze, fait partie, Mt 10,3), et il ne représente pas une menace politique ; il refuse d’être perçu comme un Messie puissant et s’oppose à toute violence.
C’est alors qu’apparaît pour la première fois le grand prêtre Caïphe. Un chef pas très bienveillant pour les membres du Sanhédrin… « Vous n’y comprenez rien… » ; on fait mieux comme compliment ; il leur reproche leur naïveté. Et il propose une réaction éminemment politique : « il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. » (Jn 11,50). Il veut enrayer l’enthousiasme du peuple pour ne pas risquer une réaction du pouvoir romain.
Caïphe ne le sait évidemment pas, mais il ne pense pas si bien dire ! Jésus en effet, dit l’Evangéliste, mourra « afin de rassembler les enfants de Dieu dispersés » (verset 52). Et paradoxalement, puisque Caïphe ne croit pas aux signes que Jésus accomplit, sa parole, sans qu’il s’en doute, se révèle prophétique. Curieusement comme souvent le mal contribue à l’œuvre de Dieu. Jésus est bien venu pour accomplir ces prophéties d’Ezéchiel de la première lecture de ce jour : « Je vais prendre les fils d’Israël parmi les nations où ils sont allés. Je les rassemblerai de partout et les ramènerai sur leur terre. J’en ferai une seule nation » (Ez 27,31).
Le Christ donne sa vie pour réconcilier l’humanité avec elle-même et avec Dieu. Comme toujours l’Evangéliste Jean nous invite à trouver le sens invisible des événements que seule la foi peut décrypter et éclairer. C’est bien l’enjeu de la semaine sainte qui approche : voir l’immense amour de Dieu sur une croix.
- vendredi 26 mars :
Chers frères et sœurs,
La polémique enfle contre Jésus. Nous pressentons la fin tragique qui approche. La tension est à son comble.
Jésus vient de s’affirmer comme le Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis (Jn 10,11-18). L’épisode que nous lisons en ce jour se passe au Temple lors de la fête de la Dédicace, qui fait mémoire de la purification et de la consécration du Temple. Ce n’est pas par hasard si Jésus n’est pas reçu, même dans le Temple, la maison du Père Jésus vient de réaffirmer sa communion avec le Père. Quelques versets avant, Jésus dit ceci qui éclaire la suite : « Mon Père, qui m’a donné mes brebis, est plus grand que tout, et personne ne peut arracher celles-ci de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN » (Jn 10,29-30) ; belle nouvelle, nous sommes dans les mains bienveillantes du Père !
Jésus parle donc de l’unité du troupeau et de son Pasteur : l’Eglise est une avec le Christ, son Berger, comme le Fils est un avec son Père. Les paroles de Jean comme toujours sont d’une densité qui a besoin d’être éclairée !
Cette revendication d’être un avec le Père a de quoi énerver les pharisiens qui l’écoutent et n’en demandent pas plus pour pouvoir accuser Jésus de blasphème. Les pharisiens, hommes pieux et priants sont trop arque-boutés sur leurs principes et leur théologie pour avancer dans la foi en Jésus. Bien sûr ce qui fâche, c’est cette revendication de faire un avec le Père qui sent le soufre dans le contexte d’un monothéisme radical qui est celui du temps de Jésus.
Jésus se retrouve bien près d’être lapidé pour ces paroles ; les pierres sont déjà rassemblées pour tuer Jésus. Et peu après, on cherche à l’arrêter. Voilà une journée de Jésus qui n’est pas de tout repos !
Le prophète Jérémie dans la première lecture est une préfiguration du « Serviteur persécuté » ; comme Jésus il remet sa cause au Seigneur son Dieu.
Jésus convoque l’Ecriture pour se défendre : il leur parle là dans leur registre, eux qui se disent, et le sont de fait, des hommes de la Parole de Dieu : Si l’Ecriture parle des hommes comme étant des « dieux » (Ps 81,6), combien plus le Christ envoyé du Père puisqu’il est le Verbe incarné, la Parole de Dieu venue en notre chair : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14) ; c’est un des thèmes favoris de l’Evangéliste Jean.
Après les avoir renvoyés à leur chères études (de l’Ecriture), Jésus leur montre ses œuvres comme signes de l’action du Père en lui ; les gestes de Jésus, comme ses Paroles mettent en lumière avec éclat la gloire de Dieu qui habite en lui : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, continuez à ne pas me croire. Mais si je les fais, même si vous ne me croyez pas, croyez les œuvres. Ainsi vous reconnaîtrez, et de plus en plus, que le Père est en moi, et moi dans le Père » (Jn 10,37-38).
Jésus après ces polémiques, qui ne sont pas les dernières, continue inlassablement son chemin pour porter la Parole de vie.
- jeudi 25 mars :
Chers frères et sœurs,
L’Annonce faite à Marie nous rappelle qu’il ne s’agit pas tant d’agir pour Dieu que de se laisser faire par Dieu… C’est d’abord Dieu qui agit en nos vies, comme il a agi dans le cœur de Marie, avant que Marie puisse dire son oui.
Une joie profonde traverse l’Evangile de ce jour ; joie de la grâce vécue, joie du oui donné en pleine liberté et humilité. « Réjouis-toi, Marie comblée de grâces » dit l’ange, signifiant par-là que la grâce précède toujours la réponse de l’homme ; la maternité de Marie est bien le fruit de la grâce en même temps que celui de la réponse de Marie : « Qu’il m’advienne selon ta Parole », répond Marie.
Pourtant, quand nous lisons l’Evangile, faisons attention : il est toujours tentant avec les 2000 ans de méditation du mystère, de se dire que cela a été facile pour Marie de dire « oui » et donc d’oublier que ce « oui » a sans doute été plein d’inconnu ; ou plutôt il a été un « oui » de confiance en la Parole et en l’amour de Dieu. Marie a accepté la volonté de Dieu parce qu’elle a cru, même sans très bien comprendre ce que son oui impliquerait comme souffrance pour elle. « Il lui fut demandé de croire, et puis à force de fidélité, elle finit par comprendre » (Père Carré). Marie a toujours redit son « oui » initial ; elle a toujours été fidèle au-delà de ce qu’elle a pu comprendre. Elle a dû consentir aussi à la Passion de son Fils, douloureux déchirement intérieur…
Nos « oui » humains sont ainsi : nos premiers « oui » en engagent d’autres, même parfois dans les épreuves ; et Marie a dû en connaître, jusqu’au comble de la douleur face à la mort effroyable de son Fils. Ne l’oublions pas dans les épreuves de nos « oui » donnés. Il y a l’épreuve, il y a ce que nous en faisons. N’attendons pas de tout comprendre ou de tout maîtriser pour consentir à ce que Dieu nous demande.
Tout repose pour nous aussi dans le consentement à ce qui nous arrive ; ce consentement intérieur n’est pas une passivité : accepter la maladie, le confinement, les épreuves de couple, la solitude est souvent difficile…. Il ne s’agit pas de subir les événements de nos vies. Nous avons à creuser dans ces épreuves un chemin de vie et d’amour. Comme Marie l’a fait dans les épreuves de la vie de son Fils (les fameuses sept douleurs de Marie).
Cette disponibilité à ce qui nous arrive, même à ce qui nous fait souffrir est source d’une paix profonde.
La confiance nous fera petit à petit comme Marie entrer dans la compréhension intérieure des mystères de nos vies, puisque « rien n’est impossible à Dieu ». Seule la foi peut le comprendre. Une foi confiante qui doit être comme celle de Marie ; elle ne cesse pas de « méditer en son cœur ces événements » (Lc 2,52), de garder en elle la présence de l’amour de Dieu et sa Parole.
Alors nos « oui » humains pourront trouver leur source la plus profonde en l’amour de Dieu.
Bonne fête de l’Annonciation !
- mercredi 24 mars :
Chers frères et sœurs,
Hier l’Evangéliste Jean parlait des juifs qui croient en Jésus grâce à ses Paroles ; le Christ s’adresse maintenant à eux.
Il y a plusieurs façons de croire. Il ne suffit pas d’être séduit par la Parole de Jésus pour avoir la foi en lui.
« Vous connaîtrez la vérité, la vérité vous libèrera ». Nous nous souvenons que Jésus se désigne comme « la vérité » : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14,6). La vérité de sa vie est dans l’incarnation et dans sa relation de communion au Père.
La foi est un chemin de liberté ; encore faut-il l’accueillir pleinement ; or les paroles de Jésus ne sont pas toujours comprises ; et la foi reste souvent une « mini-foi » (la petite foi de Pierre est ainsi traduite de façon drôle par sœur Jeanne d’Arc : Mt 14,31). « Ma Parole ne pénètre pas en vous » (Jn 8,37). Jésus reproche de ne pas voir la vérité, par peur de devoir changer sa façon de vivre.
Le péché dont parle Jésus est de ne pas laisser la Parole agir en nous pleinement. Il est des choses que nous refusons de regarder, des failles en nous que nous ne voulons pas voir, parce qu’elles nous obligeraient à changer.
Le Père de Jésus-Christ est celui qui donne la vie, tandis que les interlocuteurs de Jésus cherchent à tuer la vérité en Jésus, ils sont des porteurs de mort.
Jésus montre la différence entre l’esclave et le fils ; les opposants de Jésus sont « esclaves du péché ». Etre Fils c’est ne pas se séparer du Père. Le péché est ce qui sépare de Dieu. Seul le Christ, le Fils, peut nous libérer de nos esclavages et nous rendre libres. Je suis libre lorsque j’ai découvert que je suis aimé de Jésus avec tout ce qui est blessé en moi.
Nous pourrions voir en filigrane les paroles de Jésus dans la parabole du fils prodigue ; le fils veut s’adresser à son père, lorsqu’il cherche à revenir de son errance : « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers » (Lc 15,17). Le Père le remet dans sa dignité de Fils.
On ne naît pas libre, on le devient avec le Christ ; avoir des parents croyants, avoir Abraham comme père ne suffit pas à donner la foi vraie ! Ceux qui s’adressent à Jésus l’apprennent à leur dépens. Jésus est en vérité le Fils du Père : « Je dis ce que moi, j’ai vu auprès de mon Père » (Jn 8,38) ; « Je ne suis pas venu de moi-même ; c’est mon Père qui m’a envoyé. » (verset 42).
Nous retrouvons aussi les compagnons de Daniel, Ananias, Azarias et Misaël (cf mardi de la 3° semaine) dans la première lecture ; ceux-ci ont bien compris que leur Dieu est vérité : ils refusent d’adorer un autre Dieu, parce qu’ils ont confiance que le Seigneur les libèrera de leur oppresseur qui fait chauffer la fournaise pour eux. Ils sont libres dans leur cœur, et Dieu les libère et les sauve de la flamme.
Que la confiance en Dieu nous rende libres pour aimer !
- mardi 23 mars :
Chers frères et sœurs,
« Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS et que je ne fais rien de moi-même » (Jn 8,28).
Ce début de cinquième semaine du carême nous oriente clairement devant la croix de Jésus. Nous approchons du temps de la Passion. Nous lisons un texte dense, comme souvent, de l’Evangéliste Jean.
« Toi, qui es-tu ? » ; c’est la question que nous nous posons tous un jour… Jésus répond : « Celui que je vous ai dit depuis le commencement » (malheureusement traduit autrement dans le texte liturgique, Jn 8,25) ; c’est le rappel du début de l’Evangile de Jean « Au commencement était le Verbe ». Jésus est l’origine absolue. Il est la Parole qui vient dans le monde manifester l’amour du Père. Sa lumière dévoile les cœurs sans les condamner.
Et cela suscite des oppositions. Jésus renvoie chacun à sa liberté ; ce qui peut entraîner des réactions contrastées (vous êtes d’en bas, et non d’en haut, de ce monde). : « La vérité vous rendra libres » (verset 32). Il y a, et il y aura toujours, un fossé entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas.
Jésus rappelle la communion qui l’unit au Père : « Je dis comme le Père me l’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable » (Jn 8,28).
Jésus n’agit pas seul ; il « ne fait rien de lui-même ». Il nous rappelle que nous aussi nous pouvons agir non pas en « individualiste » (les confinements nous attirent hélas de plus en plus vers une forme d’individualisme, en nous obligeant à vivre « en distance »). Agir avec le Christ est une force de vie pour nous.
Si Jésus est au commencement de tout dans le Père, il annonce aussi la fin : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme ». Jésus est « l’alpha et l’oméga… le commencement et la fin » (Ap 22,13). L’amour du Père se révèle sur la croix de façon définitive ; lorsque Jésus dit « Je suis », bien sûr cela évoque le buisson ardent où Dieu se définit comme « Je suis celui qui suis » (Ex 3,14). Et Jésus est Dieu dans son don sur la croix. La croix est le signe de la fidélité de Jésus à l’amour de son Père, et le signe de la fidélité du Père à l’amour de son fils : « Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable » (le Fils n’est pas abandonné par son Père sur la croix ; c’est le sens des anges qui entourent Jésus sur la croix, dans le tableau de Lebrun ci-dessous).
Etonnamment, Jean évoque ensuite un mouvement populaire en faveur de Jésus à la suite de ces Paroles : « Sur ces paroles de Jésus, beaucoup crurent en lui » (verset 30).
Puissent les Paroles de feu de Jésus que nous entendrons dans les jours de la Passion nous aider à croire en lui davantage encore, ainsi qu’en l’amour de son Père.
- lundi 22 mars :
Chers frères et sœurs,
Jésus a une unique mission ; manifester l’amour du Père : il relève l’homme déchu, l’homme pécheur sans se lasser. Jésus rend à une femme accusée d’adultère et bafouée sa dignité d’être humain, aimée de Dieu.
Dans l’histoire sainte, Dieu ne cesse pas de rester fidèle à l’homme qui pourtant n’arrête pas de l’abandonner. Beaucoup de textes bibliques comparent l’infidélité et le péché du peuple de Dieu à de l’adultère ; l’homme ne cesse pas de se mettre en état de rupture d’Alliance d’avec son Dieu et Père, il ne cesse pas de se créer des idoles qui ne sont que du vent. Dieu demandera même au prophète Osée d’épouser une prostituée pour être signe de cette infidélité du peuple à son Dieu… Et pourtant Dieu n’arrête pas de faire preuve de patience et de miséricorde, sans se lasser.
Et Jésus, le Fils de Dieu, est le reflet de cette miséricorde et du Pardon de son Père. Jésus est déjà compromis aux yeux des puristes par son attitude vis-à-vis des pécheurs dont il partage même la table au risque de contracter lui-même l’impureté du péché.
Jésus sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Et lorsqu’il est confronté à un piège qui semble imparable, il manifeste le pardon de Dieu ; pourtant, le piège dans lequel on veut l’enfermer semblait infaillible : soit Jésus parle de pardon et il contredit la Loi de Moïse, soit il condamne la femme et contredit ses paroles et ses actes de pardon… C’est Jésus lui-même, au-delà de cette femme qui lui est amenée avec mépris, qui se retrouve mis à l’épreuve, comme accusé.
Cette femme accusée, qui risque la lapidation, est accablée par le regard de jugement, de mépris et d’humiliation des scribes et des pharisiens ; ceux-ci la conduisent sans ménagement devant Jésus. Mais le regard de Jésus n’est pas le regard de l’homme : face aux regards qui jugent et condamnent sans appel, il est regard d’amour et de pardon. D’ailleurs Jésus ne porte pas le regard sur cette femme accusée, pour ne pas la blesser davantage. L’Evangéliste nous dit que Jésus « s’est penché vers le bas ». Jésus s’abaisse pour rejoindre la femme terrorisée dans son effondrement. Seul le Christ pourra la relever. Il se tait et écrit mystérieusement sur le sable. Certains commentateurs de cet Evangile ont relu le geste de Jésus qui a fait couler beaucoup d’encre, celui d’écrire sur le sol, comme le signe qu’il écrit la Loi nouvelle du pardon (comme le doigt de Dieu qui écrit la Loi sur les tables de pierre).
Jésus se relève une première fois et retourne la situation : il les prend à leur propre piège en renvoyant les accusateurs de cette pécheresse à leur propre conscience de pécheur ; il les replace devant la vérité de leur complicité dans le péché. Tous s’en vont sur la pointe des pieds, sans crier gare… Seul celui qui est sans péché, c’est-à-dire Jésus, peut condamner ; et pourtant Jésus ne condamne pas, ni ne juge. Au contraire.
Jésus se relève une seconde fois et relève cette femme avec lui. Le regard du Christ remet debout l’humanité blessée. Elle peut désormais repartir debout et libérée, parce qu’elle a compris que le Christ l’aime comme elle est.
Puissions-nous accueillir le regard de Dieu sur tout homme, regard de pardon et d’amour, regard de foi.
- dimanche 21 mars :
Chers frères et sœurs,
La Passion du Christ est bien ce mystère du don personnel qui rejaillit en fruit infini de communion : « le gain qui ne meurt pas reste seul ; celui qui meurt porte beaucoup de fruits ». Jésus passe par la solitude de la Passion, par le crible de la souffrance qui l’engloutit, pour une fécondité surabondante.
Jésus est ce grain semé en notre terre par son incarnation, par sa venue en notre chair. Un seul grain de blé, très petit, contient une potentialité de vie incomparable. Lorsqu’il est mis en terre, la germination s’effectue lentement : une jeune pousse prend naissance et grandit ; la nouvelle plante va croître jusqu’à ce qu’elle porte du fruit, un grand nombre de grains, tous issus du même grain. Belle image de la mort du Christ et de la puissance de vie infinie qui était la sienne ! Immense fécondité de la vie donnée de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).
Notre destin de disciples est uni intimement à celui de Jésus : Resterons-nous seul et sans fécondité, ou accepterons-nous de nous donner pour porter beaucoup de fruit ?
Le baptisé identifié à Jésus doit mourir à son égoïsme pour porter du fruit ; sinon il est comme le grain de blé qui reste seul, et qui est stérile. « Là où je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jn 12,26). Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce que Jésus nous rappelle ici avec force : celui qui se cramponne à sa propre vie, comme à son unique bien, restera bien loin de la vie de Dieu.
Dans l’eucharistie, avec le pain et le vin, nous offrons notre vie pour que Jésus en fasse un don pour nos frères. Nous sommes appelés à ressembler au Christ. Nous nous offrons pour être le pain par lequel Dieu veut nourrir ceux qui ont faim de l’amour. Nous disons notre oui à Dieu. Nous y offrons notre vie au Seigneur et à nos frères.
C’est donc pour Jésus l’heure tant attendue, mais qui est maintenant redoutée : l’heure du don. Cette perspective le bouleverse : « Mon âme est troublée » ; cette expression extrêmement forte se retrouve à deux occasions non moins poignantes : lorsqu’il voit les proches de son ami Lazare pleurer sur sa mort, Jésus est aussi troublé en son cœur : « En son esprit, il fut saisi d’émotion, et bouleversé » (Jn 11,33) ; et lorsqu’après le lavement des pieds il annonce qu’un des siens va le trahir, « Jésus fut bouleversé en son esprit » (Jn 13,21). On ne peut pas imaginer son combat intérieur et son angoisse, profondément humains, mais aussi divins.
Ce passage dans l’Evangile de Jean est parallèle au récit de l’agonie à Gethsémani chez les trois autres évangélistes. Jésus traverse l’épreuve ; nous voyons la détresse humaine de Jésus, son cri vers le Père : « Sauve-moi de cette heure ». L’heure de la Passion est une lame de fond qui va le submerger. Mais le Christ ne s’y dérobe pas : il est venu sur terre pour cette heure si terrifiante qui révèle la gloire du Père, c’est-à-dire son amour, lui qui donne au monde son Fils. L’heure n’est plus aux discours, mais au don radical, absolu, sans retour. L’heure est à l’abandon entre les mains du Père.
« Elevé de terre, j’attirerai tous les hommes » : son amour immense manifesté sur la croix attire à lui. Le Fils nous entraîne dans sa gloire. Le Christ en croix rayonne pour tous par son pardon ; c’est la force et l’attirance d’un amour.
« D’un amour éternel je t’ai aimé, aussi t’ai-je attiré par la fidélité », dit Dieu à son peuple (Jr 31,3).
Que l’amour du Christ nous attire, nous saisisse et nous fasse porter un fruit qui rende gloire au Père :« La gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruits » (Jn 15,8). Comme le Christ.
- samedi 20 mars :
Chers frères et sœurs,
C’est à une nouvelle traversée du désert en plein carême que nous sommes confrontés, moins serrée pourtant qu’il y a un an (les messes pourront continuer). Alors que nous entrons de nouveau dans un temps de confinement, ne perdons pas l’espérance que nous ouvre le Christ : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme ».
Jésus est monté à Jérusalem pour la fête des tentes (la fête de Soukkot qui existe toujours dans la foi juive) : après les récoltes s’élève une action de grâces pour les dons de Dieu, pour son salut ; cette fête fait mémoire de ce que Dieu a accompli pour son peuple dans le désert, pour les soins qu’il n’a cessé de lui prodiguer (la manne). C’est une semaine de fêtes où l’on dresse encore des tentes ou des cabanes et l’on y dort en souvenir des quarante années au désert.
Au dernier jour de la fête, on allait puiser de l’eau à la fontaine de Siloé, en souvenir de l’eau jaillie du Rocher dans la traversée du désert (Ex 17,1-7) : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive » (Jn 7,37, juste avant le passage de ce samedi : Jn 7,40-53).
Les auditeurs de Jésus sont frappés par la force de ses propos qui attirent à lui. On commence à le désigner comme le nouveau Moïse, ou comme le Messie. Mais ceux qui se pensent « plus savants », calment ces enthousiastes, en disant que parce que Jésus est galiléen, il ne peut être le Messie. Ironie de l’Evangéliste Jean, ces critiques de la messianité de Jésus oublient que Jésus est effectivement né à Bethléem, accomplissant l’oracle du prophète Michée !
Bref c’est une dispute ouverte entre partisans et adversaires de Jésus… La tension monte. Des gardes sont même envoyés pour arrêter Jésus. Mais c’est un échec flagrant. Ces gardes qui sont des gens simples et sans doute peu instruits, comprennent avec le cœur l’essentiel, ce que les grands-prêtres aveuglés ne peuvent accepter : « Jamais un homme n’a parlé de la sorte ! » (Jn 7,46). Ils sont touchés par la Parole de grâce de Jésus.
La réaction des « savants » est brutale : « Vous vous égarez » ; pire encore le mépris pour cette foule d’ignorants, traités de « maudits ». On ne peut pas dire qu’ils fassent dans la nuance !
Tiens, tiens, revoilà un homme que nous avons côtoyé ce dimanche, ce cher Nicodème, toujours aussi sage : il tente une médiation et va se prendre comme on dit familièrement « une gamelle » de la part de ses confrères peu charitables ; pourtant sa remarque est profonde : comment juger un homme sans l’entendre et sans chercher çà savoir ce qu’il a fait ? C’est le sarcasme qui lui répond : « Serais-tu aussi galiléen ? ». C’est une façon fort peu élégante, ni spirituelle de lui dire : « Nicodème, tu peux retourner à tes études ! ».
Jésus sera toujours en partie cet Inconnu qui se dévoile pas à pas pour chacun de nous. C’est pour cela qu’il nous faut continuer à le chercher, puisque « jamais homme n’a parlé comme cet homme ».
- vendredi 19 mars :
Chers frères et sœurs,
Le pape nous invite à contempler cette année saint Joseph, celui qui montre combien est grand son « cœur de père ». Lorsqu’il donne à Jésus de grandir en humanité avec Marie sa mère.
A partir des méditations de notre pape (Lettre apostolique : « Avec un cœur de père »), je vous propose quatre chemins spirituels à vivre avec Saint Joseph :
– Un chemin d’humilité :
Joseph, nous rappelle le pape, fait partie de ces figures d’humanité qui sont proches pour nous et qui nous rendent la sainteté plus accessible.
La crise du Covid fait expérimenter ceci selon le pape :« nos vies sont tissées et soutenues par des personnes ordinaires, souvent oubliées, qui ne font pas la une des journaux et des revues ni n’apparaissent dans les grands défilés du dernier show mais qui, sans aucun doute, sont en train d’écrire aujourd’hui les évènements décisifs de notre histoire : médecins, infirmiers et infirmières, employés de supermarchés, agents d’entretien, fournisseurs de soin à domicile, transporteurs, forces de l’ordre, volontaires, prêtres, religieuses et tant d’autres qui ont compris que personne ne se sauve tout seul. […] Nous pouvons tous trouver en saint Joseph l’homme qui passe inaperçu, l’homme de la présence quotidienne, discrète et cachée, un intercesseur, un soutien et un guide dans les moments de difficultés ».
Joseph nous invite à l’humilité des petits pas, des choses ordinaires faites par amour et dans la discrétion. Oui, la sainteté ne nous est pas inaccessible ! Le plus souvent elle ne fait pas de bruit.
– Un chemin d’écoute :
« Dans la vie cachée de Nazareth, Jésus a appris à faire la volonté du Père à l’école de Joseph. Cette volonté est devenue sa nourriture quotidienne ». Joseph peut nous aider à nous mettre à, l’écoute de la volonté de Dieu au jour le jour. Il peut creuser en nous une disponibilité intérieure : Joseph n’est pas un bavard (pas une parole de sa part ne nous est retransmise dans les Evangiles), mais il est pourtant un homme d’action qui habite intérieurement ses actes quotidiens, pour qu’ils soient chemin de confiance en Dieu.
– Un chemin de confiance :
« Joseph, fils de David, ne crains pas » (Mt 1,20) dira l’ange à Joseph. Dieu lui propose de faire confiance à Marie et surtout à la Parole de Dieu. Il nous invite aussi à la confiance : y compris pour ces évènements de nos vies « que nous n’avons pas choisis et qui pourtant existent ». Rien ne devrait nous effrayer ; Comme Joseph, nous avons à « accueillir la vie » telle qu’elle nous est donnée ou parfois imposée ; avec une infinie confiance : comme dit le pape que « Dieu peut faire germer des fleurs dans les rochers ».
– Un chemin de détachement :
« Joseph est pour Jésus l’ombre sur la terre du Père Céleste. Il le garde, le protège, ne se détache jamais de lui pour suivre ses pas ». Belle définition de sa mission de père ! Toute paternité renvoie à une paternité plus haute : « Joseph qui a toujours su que cet Enfant n’était pas le sien mais avait été simplement confié à ses soins ».
Le pape nous parle de la paternité : « Etre père signifie introduire l’enfant à l’expérience de la vie, à la réalité ». Ce qui est dit des relations paternelles est valable pour toutes nos relations humaines qui ne doivent pas « retenir (l’autre), ne pas l’emprisonner, ne pas le posséder, mais le rendre capable de choix, de liberté, de départs ». Joseph nous rappelle utilement qu’aimer est « le contraire de la possession ». L’amour vrai respecte la liberté de l’autre, comme Dieu lui-même le fait avec nous.
Que Saint Joseph nous guide sur ces quatre chemins de vie !
- jeudi 18 mars :
Chers frères et sœurs,
« Moïse apaisa le visage du Seigneur son Dieu ».
Le texte de l’Exode nous parle de la rupture de l’Alliance conclue avec Dieu, lorsque son peuple se détourne de lui pour adorer le veau d’or, une idole à taille humaine.
Dieu est donc abandonné par son peuple, qui est « un peuple à la tête dure » (ne le sommes-nous pas parfois, vis-à-vis de Dieu ?). C’est comme s’il reniait celui qui l’a libéré de l’esclavage. On peut imaginer la tristesse de Dieu de se voir ainsi oublié par ceux qu’il a conduit avec amour et patience à travers le désert. Le peuple n’a pas mis longtemps à oublier son Seigneur. D’où cette colère de Dieu, qui est comme celle d’un père qui voit que ses enfants sont en train de prendre un chemin de mort.
Moïse va alors remplir un rôle magnifique, qui est celui d’intercéder pour son peuple. L’Ecriture le représente parfois avec les mains tendues vers le haut, « presque comme pour faire un pont de sa personne entre le ciel et la terre » (pape François).
Il « apaise son visage » de son Dieu, quelle belle expression pour signifier cette prière qui est un baume pour le cœur de Dieu. Moïse remplira douze fois ce rôle d’intercession pour le peuple qu’il conduit au nom de Dieu. Moïse parle pour son peuple, avec une foi immense en la miséricorde de Dieu. L’intervention de Moïse est efficace et apaise le Seigneur.
Souvenez-vous de l’épisode où l’on voit Moïse faire une prière de lassitude face à ce peuple qui récrimine et râle contre Dieu et contre la manne (ils seraient dignes d’être gaulois! ) parce que Dieu qui l’a conduit loin des bons oignons, concombres et melons d’Egypte (Nb 11,1 sq) ; Moïse fait alors cette belle prière, où il va jusqu’à s’identifier à son peuple : « Pourquoi traiter si mal ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux que tu m’aies imposé le fardeau de tout ce peuple ? Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, est-ce moi qui l’ai enfanté, pour que tu me dises : “Comme on porte un nourrisson, porte ce peuple dans tes bras jusqu’au pays que j’ai juré de donner à tes pères” ? Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi »
Oserions-nous dire à Dieu : « c’est trop lourd pour moi » ?
Jésus dans l’Evangile continue à se défendre avec patience face aux accusations de blasphèmes. Et il en appelle au témoignage de son Père, de Jean-Baptiste et des Ecritures. Sa Parole dénonce le Mal mais refuse comme toujours de condamner ceux qui l’accusent ; il leur reproche de chercher non pas la gloire de Dieu, mais de se stimuler dans la recherche d’une gloire purement humaine ; tout cela les éloigne de Dieu, et les empêche d’accéder à la vérité de ce que Jésus accomplit pour l’humanité comme Fils de Dieu.
« Moïse nous incite à prier avec la même ardeur que Jésus, à intercéder pour le monde, à se rappeler que celui-ci, malgré toutes ses fragilités, appartient toujours à Dieu » (Pape François, audience 17 juin 2020).
Demandons au Seigneur d’être comme Moïse de bons intercesseurs pour nos frères !
- mercredi 17 mars :
Chers frères et sœurs,
Quelles paroles magnifiques et réconfortantes que celles que nous donne le prophète Isaïe en ce jour : « Le Seigneur console son peuple », et il le fait parce que son peuple souffre. C’est Dieu qui s’exprime avec une tendresse quasi-maternelle dans les mots qui suivent : rappelons-nous que la miséricorde de Dieu en hébreu est exprimée par un mot qui désigne les « entrailles », c’est-à-dire l’utérus d’une maman : si Dieu est Père, sa bonté est maternelle.
Si les hommes, se croient abandonnés, ou oubliés de Dieu, celui-ci rappelle sa fidélité sans faille : « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49,15). Dieu est indéfectiblement attaché à nous, comme une maman à son enfant. Quelle merveille que ce passage d’Isaïe !
Le prophète annonce le retour de la promesse : Dieu rassemblera son peuple en son amour. Et nous retrouvons l’image de Dieu qui conduit son peuple comme un berger attentif à ses brebis, qui les protège de la faim, de la soif, du soleil… C’est lui qui nous ouvrira une route sans difficulté, pour les marcheurs de Dieu que nous sommes (les montagnes seront nivelées, donc pas d’ascensions épuisantes…). Quel que soit notre découragement, Dieu trace toujours un chemin de vie pour son peuple !
Jésus dans l’Evangile fait face aux accusations qui lui sont faites, suite à la guérison du paralytique un jour de sabbat, que nous contemplions hier.
Jésus est accusé de profaner le sabbat et de se faire Dieu ; bref, il est accusé, excusez du peu, de blasphème, ce qui est puni par la mort. Jésus cherche à se défendre avec pédagogie et douceur.
Jésus évoque sa fidélité à ce que son Père accomplit ; ce qu’il fait, ce qu’il dit, ce n’est pas en son nom seulement : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement » (Jn 5,19).
Jésus continue bien ce que le Père n’a pas cessé de faire, montrer inlassablement son amour pour l’humanité. Et ce sont de belles paroles qui évoquent la communion profonde et permanente de Jésus avec son Père : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,20).
Jésus est le maître de la vie, et il nous guide sur les chemins de nos vies, que ceux-ci soient escarpés, ou aplanis. Rendons-grâce pour ce compagnon de route attentif à nos besoins, parce que dans sa tendresse il nous parle de son Père.
- mardi 16 mars :
Chers frères et sœurs,
Cet Evangile fait immanquablement penser à la grâce du sanctuaire de Lourdes, bien vide en ces jours-ci !
C’est l’évocation de la détresse humaine dans toute sa tristesse que vient soulager le Christ. Une foule de malades se presse dans un lieu réputé pour sa force de guérison, lieu appelé Bethesda (nom évocateur : la « maison de la miséricorde ») : des malades nombreux, allongés, des boiteux, des impotents, des infirmes, tous dépendants…
Au milieu de cette foule souffrante, un homme définitivement immobilisé, abandonné de tous. Un homme apparemment incurable, trente-huit ans de maladie, il est privé de tout soutien, sans doute découragé, sans force intérieure ; il a sans doute lâché prise. « Je n’ai point d’homme pour m’aider » : dans cette phrase pointe le désarroi d’une humanité désespérée qui laisse tout le monde indifférent ; cette indifférence que dénonce souvent notre pape. Personne ne pense à l’aider à plonger dans l’eau ; il est comme transparent à ses frères en humanité. Quelle détresse !
Jésus en voyant cet homme abandonné de tous est touché par son désespoir sans retour, lui qui est dans cet état depuis longtemps. Jésus prend l’initiative et l’interpelle : « Veux-tu guérir ? ». Jésus n’agit jamais sans notre accord ou notre désir. Mais il connaît nos détresses et veut nous aider à les traverser dans la confiance et le courage.
« Lève-toi » : c’est le mot de la résurrection : le paralysé est remis debout par la puissance de Jésus.
« Prends ton grabat » : son brancard, symbole de son handicap passé, deviendra l’étendard de sa nouvelle condition d’homme debout, le signe de sa force retrouvée.
« Marche » : il retrouve sa liberté d’aller et de venir ; sa vie reprend son cours, toute nouvelle et redynamisée. Il retrouve « la pleine santé ». Quel contraste avec sa situation sans fin et douloureuse du départ !
La Parole du Christ et sa compassion l’ont remis en route.
C’est la victoire de l’amour du Christ sur le mal et la souffrance.
Paradoxalement, cet homme gracié a bien du mal à reconnaître celui qui l’a guéri ; manque de courage, peur face à ceux qui l’interrogent qui ne sont pas forcément bienveillants ? Il lui faut une deuxième rencontre avec Jésus pour reconnaître celui qui l’a remis debout.
Jésus va se retrouver accusé parce qu’il a guéri un jour du sabbat. Nous méditerons cela demain.
Chers frères et sœurs,
Cet Evangile fait immanquablement penser à la grâce du sanctuaire de Lourdes, bien vide en ces jours-ci !
C’est l’évocation de la détresse humaine dans toute sa tristesse que vient soulager le Christ. Une foule de malades se presse dans un lieu réputé pour sa force de guérison, lieu appelé Bethesda (nom évocateur : la « maison de la miséricorde ») : des malades nombreux, allongés, des boiteux, des impotents, des infirmes, tous dépendants…
Au milieu de cette foule souffrante, un homme définitivement immobilisé, abandonné de tous. Un homme apparemment incurable, trente-huit ans de maladie, il est privé de tout soutien, sans doute découragé, sans force intérieure ; il a sans doute lâché prise. « Je n’ai point d’homme pour m’aider » : dans cette phrase pointe le désarroi d’une humanité désespérée qui laisse tout le monde indifférent ; cette indifférence que dénonce souvent notre pape. Personne ne pense à l’aider à plonger dans l’eau ; il est comme transparent à ses frères en humanité. Quelle détresse !
Jésus en voyant cet homme abandonné de tous est touché par son désespoir sans retour, lui qui est dans cet état depuis longtemps. Jésus prend l’initiative et l’interpelle : « Veux-tu guérir ? ». Jésus n’agit jamais sans notre accord ou notre désir. Mais il connaît nos détresses et veut nous aider à les traverser dans la confiance et le courage.
« Lève-toi » : c’est le mot de la résurrection : le paralysé est remis debout par la puissance de Jésus.
« Prends ton grabat » : son brancard, symbole de son handicap passé, deviendra l’étendard de sa nouvelle condition d’homme debout, le signe de sa force retrouvée.
« Marche » : il retrouve sa liberté d’aller et de venir ; sa vie reprend son cours, toute nouvelle et redynamisée. Il retrouve « la pleine santé ». Quel contraste avec sa situation sans fin et douloureuse du départ !
La Parole du Christ et sa compassion l’ont remis en route.
C’est la victoire de l’amour du Christ sur le mal et la souffrance.
Paradoxalement, cet homme gracié a bien du mal à reconnaître celui qui l’a guéri ; manque de courage, peur face à ceux qui l’interrogent qui ne sont pas forcément bienveillants ? Il lui faut une deuxième rencontre avec Jésus pour reconnaître celui qui l’a remis debout.
Jésus va se retrouver accusé parce qu’il a guéri un jour du sabbat. Nous méditerons cela demain.
Présentons au Seigneur nos détresses (les brancards qui nous encombrent parfois !), celles de nos proches, avec la confiance qu’il nous accompagne dans les moments difficiles de nos vies.
- lundi 15 mars :
Chers frères et sœurs,
Deux textes d’espérance et de confiance nous sont proposés, en ce lundi.
Le prophète Isaïe nous dépeint la joie du salut à venir. Avec le salut promis par le Seigneur, les malheurs du passé ne seront plus qu’un souvenir du passé, et ne remonteront plus au cœur. C’est la promesse inouïe d’une nouvelle création, de « cieux nouveaux » et d’une « terre nouvelle ». Ce monde recréé ne connaîtra plus la souffrance, la précarité d’une vie finie, ni le Mal. Quelle magnifique nouvelle : Dieu veut renouveler l’humanité, et il « trouve sa joie dans son peuple » (Is 65,19).
Jésus préfigure cette nouvelle création, dans ce deuxième signe de l’Evangile de Jean (Jn 4,46-57) : le Verbe créateur devenu chair met en œuvre son autorité créatrice. C’est sa première guérison dans cet Evangile.
Le Fils de Dieu agit au nom de son Père, pour un père éprouvé qui intercède pour son fils.
Un officier royal, et donc un militaire qui dépend de l’empereur romain, vient à Jésus pour l’implorer de guérir son fils qui est en train de mourir. On comprend sa peine immense et son désarroi. Rien de plus terrible que de perdre un enfant pour des parents : « Seigneur, descends, avant que mon enfant ne meure ! ». Et l’émotion de Jésus traverse les frontières « sociales » et religieuses, il accepte d’agir bien que cet homme soit un païen ; Jésus « descend », nous dit l’Evangéliste, dans la souffrance d’un père et de son fils aimé.
Ce qui touche le cœur de Jésus, c’est la tendresse de ce père de famille pour son fils, mais aussi son audace lui qui vient « déranger » le Christ dont il a entendu parler. Il nous encourage à savoir « déranger » Jésus par nos demandes ! Jésus va lui manifester la miséricorde de son Père, en agissant pour lui.
C’est bien l’acte de foi de cet officier qui pousse Jésus à guérir. « Il crut à la Parole que Jésus lui avait dite » ; il retourne chez lui sur un bel acte de foi en la parole de Jésus qui lui annonce : « Va, ton fils est vivant ».
Et sa foi lumineuse en la parole de Jésus est contagieuse : « Il crut, lui, ainsi que tous les gens de sa maison ».
Demandons cette belle foi de ce père ; que notre foi soit aussi contagieuse (c’est une belle contagion, pour une fois !).
- dimanche 14 mars :
Chers frères et sœurs,
Nicodème est un homme attachant, peut-être parce qu’il nous ressemble un peu, dans nos recherches de foi.
C’est un pharisien, un homme de foi et de grande culture religieuse, prestigieux membre du Sanhédrin, la haute assemblée d’Israël : il est comblé de tous les dons, mais peut-être a-t-il les mains trop pleines pour comprendre et entrer dans la foi…
Il vient de nuit pour rencontrer Jésus, mais il a bien du mal à s’ouvrir à sa lumière. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit pour lui : Nicodème est invité par Jésus à accueillir sa lumière.
Sans doute est-il attiré par Jésus, qui accomplit des signes qui prouvent qu’il est envoyé par Dieu.
Nicodème a du souvent lire l’épisode du serpent d’airain, mais comment pourrait-il faire le lien avec Jésus qui un jour sera en croix ? Long chemin spirituel qui le fera peut-être entrer dans la vérité lorsqu’il viendra au moment de la sépulture de Jésus lui rendre hommage.
Le serpent d’airain était une statue élevée par Moïse face à l’invasion de serpents brûlants : ceux qui étaient mordus avaient la vie sauve s’ils regardaient cet étendard. Ce n’est pas le serpent qui guérit, mais le regard de foi en l’amour de Dieu. De même celui qui regarde vers le Christ en croix.
Ce que nous redit ce dialogue entre Jésus et Nicodème, c’est ceci : par notre foi en Jésus, si nous tournons nos regards vers lui, si nous vivons « avec lui », nous pourrons entrer dans la vie de Dieu.
L’amour de Dieu culmine sur la croix : « Dieu a tant aimé » ; « il a donné » ; c’est là qu’il nous transmet la vie. Il suffit de s’ouvrir à la lumière.
« Celui qui croit en moi a la vie éternelle », dit Jésus à Nicodème ; Il ne s’agit pas seulement de la vie éternelle, mais de la vie d’aujourd’hui dans le Christ (« Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » Ga 2,20) : La vie de Dieu en chacun de nous, jaillissant en nous et à travers nous.
Transformés par notre contemplation du Christ en croix, nous pourrons accomplir des choses qu’humainement nous n’oserions même pas faire.
Paul dans l’épître aux Ephésiens nous rappelle la gratuité de l’amour de Dieu et sa miséricorde ; nous ne sommes pour rien dans le salut, et pourtant…
La vie du croyant pour Paul est vie « avec le Christ », dès aujourd’hui, mais aussi dans la résurrection.
Mais le salut exclut toute passivité de notre part : « saisis par le Christ », nous avons à manifester notre « être avec le Christ » dans notre vie quotidienne ; nous devenons participants de cette source intarissable du pardon manifesté par la croix : nos actes nous humanisent et nous divinisent.
Mais nous savons que cela est difficile à vivre, que cela nous coûte et nécessite une vraie conversion intérieure.
Les « yeux fixés sur Jésus-Christ » (He 12,1), laissons sa vie rejaillir en nous en ce temps du carême, en don, en pardon…
On retrouvera Nicodème au pied de la croix où il viendra honorer le corps de Jésus (Jn 19,39) ;
Nicodème apporte cent livres de myrrhe et aloès, quantité extraordinaire comme pour une sépulture royale. Peut-être devant la croix a-t-il fait le saut de la foi ? On ne sait pas ; on peut l’espérer. Méditons sur ces mots de la Ste Mère Teresa dans son testament spirituel : « Tu n’as pas besoin de changer pour croire en mon amour, parce que c’est de croire en mon amour qui va te changer. Tu m’as oublié, et maintenant je te cherche à chaque instant de ta vie, me tenant debout, à la porte de ton cœur et frappant… Regarde vers la Croix ; regarde vers mon Cœur transpercé pour toi. Regarde vers mon Eucharistie. Tu n’as pas compris ma croix ? Alors écoute encore une fois ce que j’ai dit sur la croix : j’ai soif ! Oui, j’ai soif de toi ; j’ai soif de toi ; j’ai cherché quelqu’un pour combler mon amour et je n’ai trouvé personne. Sois celui-ci. J’ai soif de toi – de ton amour. »
- samedi 13 mars :
Chers frères et sœurs,
Il est toujours dangereux d’imaginer que nous sommes des justes… Ce serait vivre dans une illusion parfaite sur ce que nous sommes en vérité !
Jésus adresse cette parabole à ceux qui se croient justes. J’espère que nous nous identifions plutôt au second personnage.
Deux hommes montent au Temple pour prier : entre les deux hommes, un contraste très net : l’un fait partie des pharisiens de stricte observance, vertueux ; l’autre, un homme du fisc, méprisé de tous, parce que collaborateur et « malhonnête », était rangé à l’époque de Jésus dans la catégorie des pécheurs publics.
Le pharisien en fait beaucoup, trop… Il cherche le chemin de la perfection humaine, mais à coup d’orgueil et de volonté; il estime sans doute que les œuvres qu’il accumule, font de Dieu son débiteur. Au lieu de jeûner une fois par an, comme le prescrivait la Loi, il jeûne deux fois par semaine, et, il paye la dîme au-delà de ce qui lui était demandé. La prière du pharisien commençait pourtant bien, comme une action de grâces à Dieu : « je te rends grâces… » ; mais elle dérape vite en un éloge personnel trop appuyé : il étale ses vertus supposées devant Dieu, et veut que Dieu l’admire : Il méprise le publicain qui vient prier et dans son orgueil démesuré, il se sent à part, « pas comme les autres hommes ». L’erreur du pharisien est de croire qu’il peut gagner son salut tout seul, par ses mérites, alors que le salut se reçoit de Dieu.
Le publicain lui prie d’une tout autre manière. Au lieu d’attirer les regards, il se tient loin et en arrière. Il n’ose même pas lever les yeux au ciel, mais il n’a de regard que pour Dieu. Il a le sentiment très vif de sa misère. Il est confus et repentant. Il se frappe la poitrine, et par ce geste il manifeste le fond de son cœur : « Seigneur, aie pitié du pécheur que je suis ! ». Son attitude humble permet à Dieu d’agir en son cœur, contrairement au pharisien qui est trop imbu de lui-même, plein de suffisance. Sa prière d’humilité touche Dieu au cœur : « Le publicain se tenait là, de loin, mais Dieu l’écoutait de près » (St Augustin).
La justice du pharisien est viciée par l’orgueil. C’est le publicain qui est juste, lui qui vit dans la confiance en la miséricorde : il se sait pécheur et s’abandonne totalement entre les mains de la miséricorde de Dieu.
« Quiconque s’élève sera abaissé », cela peut s’appliquer au pharisien qui s’est haussé par son orgueil au-dessus des autres. Et « quiconque s’abaisse sera élevé » : le publicain, humble dans sa prière, lui qui se sait pécheur, est élevé par Dieu au rang de ses amis.
Ne croyons pas trop vite que l’attitude du pharisien ne nous concerne pas…Le jugement, la jalousie, la comparaison orgueilleuse, la vantardise, la recherche d’une vaine perfection, nous font parfois ressembler au pharisien… Il y a une confiance en soi qui peut être illusion, lorsque nous oublions que tout nous vient, non pas de nos propres forces, mais de Dieu : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1 Co 4,7).
Jésus cherche non des parfaits, mais des pécheurs. Le malade peut être guéri, mais pas celui qui croit qu’il n’est pas malade !
- vendredi 12 mars :
Chers frères et sœurs,
On n’arrête pas de se plaindre de la forêt impénétrable et immense des lois et décrets en France…
La Loi dans la Bible comporte 613 commandements (dont 365 interdits) ; de quoi y perdre l’essentiel…De la vient la question sensée de ce scribe plein de bonne volonté qui demande à Jésus où se cache le plus essentiel dans ce maquis de la Loi.
« Aimer son prochain comme soi-même », cela semble relativement naturel. Beaucoup de nos contemporains, même incroyants, sont d’accord avec cela, même si l’individualisme tend à gommer ce souci des autres ; mais de là à relier cet amour de l’autre à l’amour de Dieu, c’est déjà moins évident.
Le monde ultra connecté nous rend sensibles aux aléas du Covid, aux catastrophes, aux guerres, aux misères, aux questions écologiques dans notre monde ; mais parfois cela nous donne de voir trop de choses ; un mystique du Moyen-Age, disait déjà, et il ne connaissait pas internet : « Si ton œil veut tout voir, il est inévitable que ton âme soit dispersée » (Maître Eckhart) ; lorsque notre cœur est trop dispersé, le trop-plein apporte une forme d’indifférence que dénonce souvent notre pape.
Encore faut-il interroger cet accord de principe de tous sur la nécessité d’aimer son prochain… Aimer ce n’est pas seulement éprouver un sentiment que tout être humain éprouve face au malheur de l’autre, à la souffrance des enfants. Aimer, oui, mais jusqu’où va cet amour ? Y-a-t-il des limites à celui qui est mon prochain ? On voit les questions que cela pose dans l’accueil des migrants, dans l’accueil de croyants d’autres religions, dans l’amour des ennemis, de ceux qui nous font du mal… Aimer l’autre, on veut bien, mais de préférence s’il nous ressemble, s’il n’est pas trop casse-pied, bref s’il ne nous dérange pas trop dans notre confort…
C’est dans la ressemblance avec son frère (tu aimeras ton prochain comme toi-même), que l’homme s’accomplit selon sa ressemblance verticale, qui fait de nous des images de Dieu. Les hommes sont frères, parce qu’ils sont fils de Dieu. Personne ne peut vivre à l’image de Dieu et rester seul. C’est seulement à travers les autres, dans l’amour de nos frères que nous pouvons rendre à Dieu son amour. « Je les aimerai d’un amour gratuit », dit Dieu à son peuple (Os 14,5). Nous pouvons alors aimer comme Dieu, d’un amour « délivré de nos mesures à nous » (Madeleine Delbrel).
Aimer Dieu, aimer son prochain, ce n’est pas nouveau : c’est déjà le cœur de la première Alliance, comme le rappelle Jésus au scribe. Où est donc la nouveauté qu’apporte Jésus ?
En fait, et c’est là où cela devient difficile, « aimer son prochain », comme nous le demande Jésus, c’est être capable de l’aimer comme il nous a aimé : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 13,34) … Aimer jusqu’à aimer ceux qui nous ont fait du mal, aimer jusqu’au pardon, comme le Christ. Le « comme je vous ai aimés » de Jésus prend tout son sens dans la passion. Toute la nouveauté vient de là ! On voit bien que cela dépasse la simple générosité humaine : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » ; seule la force de Dieu permet de vivre ce que Jésus a vécu. Ce n’est pas seulement notre amour que nous avons à donner, mais l’amour de Dieu.
Ce que rappellent les deux commandements c’est que cela concerne l’être humain tout entier, et pas seulement « une tranche de vie » : Aimer Dieu de tout son cœur (vie sensible, intellectuelle et morale dans la pensée juive), de toute son âme (c’est le principe de vie), jusqu’à la capacité de donner sa vie par amour, de toute sa force (ce sont les énergies vitales au service de l’amour).
Que l’Esprit-Saint nous donne l’amour sans mesure du Christ pour nos frères.
- jeudi 11 mars :
Chers frères et sœurs,
Jésus chasse un démon qui rend un homme sourd-muet ; et l’homme va renaître à la Parole.
Aussitôt naît une vive contestation. On accuse Jésus de complicité avec Belzéboul, le chef des démons. C’est bien par la puissance de l’Esprit-Saint, « le doigt de Dieu » (Lc 11,20) que Jésus peut guérir cet homme et lui rendre la parole. Seule la force de Dieu peut s’opposer à l’esprit du mal. Avec Jésus la domination du Mal, de Satan, touche à son terme : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair », dit-il aux disciples (Lc 10,18).
Jésus donne ensuite une courte parabole, inspirée de la vie militaire : un homme fort en armes garde son palais ; tout va bien jusqu’à l’arrivée d’un homme plus fort ; l’homme fort désigne Satan ; le plus fort qui arrive ensuite, c’est le Christ, bien évidemment, qui va vaincre l’esprit du Mal sur la croix.
Jésus en ce temps du carême nous met face au temps de la décision : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse » (Lc 11,23) : il s’agit pour nous de revenir au Christ, de passer du côté de Jésus, d’agir avec lui, de désirer « être avec lui ». Jésus nous invite aussi à abandonner et à chasser de nos vies tout ce qui divise, pour rassembler avec lui, pour être ferment d’unité auprès de nos proches, dans l’Eglise et dans le monde.
L’enjeu du carême est de (re)découvrir que nous ne suivons pas toujours le Christ : « Voilà bien la nation qui n’a pas écouté la voix du Seigneur son Dieu », se plaint le prophète Jérémie (Jr 7,28).
Tout n’est pas acquis ; le combat contre le mal doit continuer en nous et autour de nous. Le danger serait de s’endormir sur nos lauriers (nos buis ?) de baptisés. Si le Christ a été tenté, il n’y a pas de raison que nous y échappions ; je ne pense pas que nous nous considérions comme « plus fort » que Jésus (sinon ce serait inquiétant pour notre vie spirituelle) ! C’est bien ce qu’on appelle le péché qui est ce qui nous sépare de Jésus. C’est pour cela qu’il nous est proposé de revenir au Seigneur dans le sacrement du pardon, pour faire le ménage dans notre maison intérieure !
Le carême est ce chemin de conversion pour nous préparer à renouveler les promesses de notre baptême lors de la vigile pascale : la lumière du Ressuscité éclaire nos ténèbres, et nous fait retrouver notre unité intérieure en Christ.
Notre confiance vient de cette magnifique certitude à méditer en ce temps de marche vers Pâques : le Seigneur revient toujours vers nous, « sans se lasser » (Jr 7,26), parce que son amour et sa tendresse sont inlassables et inépuisables.
- mercredi 10 mars :
Chers frères et sœurs,
Les pharisiens accusaient Jésus de tout révolutionner, de ne pas être fidèles aux traditions du peuple de Dieu, voire de trahir la Loi de Dieu.
Jésus leur répond qu’il ne détruit rien ; il prolonge la Loi et lui donne son achèvement, la fait se dépasser. Comme l’âge prolonge ce que nous étions lors de l’enfance, en donnant la sagesse (théoriquement !).
Jésus ne fait que prolonger, « accomplir », ce que le Père a initié en donnant à son peuple les dix paroles (appelées les dix commandements). Avec le Christ vient la plénitude de la Loi, l’amour. C’est ce que rappelle st Paul : « Dieu s’est plu à faire habiter en Jésus-Christ toute la plénitude » (Col 1, 19).
« Je ne suis pas venu détruire, mais remplir ». Jésus est celui qui donne sens à toute l’histoire sainte ; il en est le centre, le cœur ardent, il assure comme la cohésion de ce que toute la Parole de Dieu annonce.
« Le ciel et la terre passent » « la Torah », c’est-à-dire la Loi, ne passera pas. Dans un monde liquide, la Parole du Christ est un roc pour nous. « Mes paroles ne passeront pas » dit Jésus ailleurs (Mt 24,35). Sous les apparences d’un monde qui change, il y a toujours une réalité stable, solide. La Parole de Dieu, son amour donnent tout son sens au temps présent. La Bible parle un langage totalement permanent et toujours actuel.
Moïse donne de la part de Dieu ces conseils à son peuple : « Le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons… garde-toi de jamais oublier ce que tes yeux ont vu ; ne le laisse pas sortir de ton cœur un seul jour » (Dt 4,7.9).
Il nous rappelle l’importance de la mémoire dans la foi : « garde-toi d’oublier » ; il ne faut jamais perdre de vue les moments de grâces où nous avons touché du doigt la présence du Seigneur à nos côtés. Bien au contraire, il faut continuer à en rendre grâces lorsque les temps sont plus difficiles pour notre foi. Le Seigneur est toujours là, à nos côtés, même si nous n’éprouvons pas toujours sa présence.
Jésus rappelle ensuite que faire les petites choses est ce qui nous rend grand. « Celui qui observe et enseigne un seul de ces plus petits commandements, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux. » (Mt 5,19). Pour la foi, il n’y a rien de dérisoire, rien qui ne soit pas essentiel.
Voilà qui rappelle la spiritualité de Thérèse de Lisieux : il s’agit, dit-elle, « non pas faire des choses extraordinaires, mais faire extraordinairement bien les choses ordinaires ». « Jésus ne regarde pas tant à la grandeur des actions, ni même à leurs difficultés qu’à l’amour qui fait faire ces actes ».
C’est dans ces petites choses de tous les jours que nous devenons des chrétiens « accomplis ».
- mardi 9 mars :
Le cantique D’Azarias au milieu de la fournaise mérite d’être approfondi. Comment chanter au cœur de l’épreuve ardente qui vous submerge ?
Daniel est avant tout le héros d’un livre, avec trois autres jeunes déportés, Ananias, Azarias et Misaël ; c’est l’écrit le plus tardif de la Bible ; ils sont le symbole des juifs déportés au temps de l’exil à Babylone. C’est une période rude, éprouvante pour la foi (VI° siècle avant JC); mais aussi, pour comprendre ce livre, il faut se rappeler le contexte de persécution féroce contre le peuple juif, à l’époque où le texte est rédigé, vers 165 avant Jésus-Christ, sous le roi grec Antiochus Epiphane, ce que raconte le 2° livre des Maccabées.
Pendant l’exil à Babylone, quelques juifs vont s’élever à de hautes charges dans l’empire babylonien ; ainsi Daniel, l’homme qui interprète les songes du roi Nabuchodonosor.
Sommés d’adorer une statue d’idole, les compagnons de Daniel, Ananias, Azarias et Misaël, préfèrent obéir à Dieu plutôt qu’au roi. C’est pourquoi ils sont jetés dans la fournaise, ligotés. Mais ils sont miraculeusement protégés de la flamme ardente. Un ange au milieu d’eux, ils chantent la louange de Dieu.
Humbles devant Dieu, et confiants, ils avouent leurs péchés et offrent leur vie en sacrifice.
Cette prière dans la souffrance, nous apprend à louer Dieu, à nous remettre en confiance entre ses mains, avant même d’exposer nos justes motifs de plainte : « Avec nos cœurs brisés, nos esprits humiliés, reçois-nous…Que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi… Délivre-nous en renouvelant tes merveilles » (Dn 3,39.43).
La prière et donc un signe de gratitude, qui désire répondre à la gratuité de l’amour de Dieu.
Il en est de même du pardon dont parle l’Evangile dans cette étrange parabole du débiteur impitoyable. Il est plus facile de comprendre la parabole du fils prodigue que cette parabole !
Pierre pose la question de savoir s’il y a des limites au pardon ? Il se croit généreux quand il propose de pardonner jusqu’à sept fois (chiffre parfait).
70 fois 7 fois c’est la perfection portée à une limite sans cesse repoussée. La parabole nous parle de l’infini de la miséricorde de Dieu à laquelle nous sommes invités à participer. Tel est le Christ qui s’est ému aux entrailles devant les souffrances des hommes. Le pardon met le ciel entre les frères sur la terre.
– Grâce :
Devant Dieu nous serons toujours des débiteurs insolvables : Nous recevons tout de Dieu. Nous sommes invités à entrer dans la générosité d’un Dieu qui pardonne et à entrer dans la « logique de Dieu qui accueille, embrasse, transforme le mal en bien » (pape François, la miséricorde p 89).
– Gratuité :
Jésus nous rappelle la grâce du pardon partagé entre frères. Le débiteur impitoyable en refusant de communiquer le pardon qu’il a lui-même reçu empêche le pardon de prendre corps en lui. On ne peut devenir libre qu’en devenant libérateur ; on ne peut vivre de la grâce de Dieu qu’en la transmettant à nos frères : « Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde » (Mt 5,7). Il y a parfois des pardons à se donner, lorsque nous blessons l’un de nos frères par des paroles ou par des actes déplacés, quand nous blessons la communauté par des divisions liturgiques, des manques de respect d’une autre façon de prier ou de vivre sa foi, des particularismes ou des ignorances mutuelles. Le pardon donné par un seul a un retentissement dans toute la communauté. Il nous fait retrouver la grâce de la communion avec nos frères et avec Dieu.
Nous pouvons devenir de fidèles reflets de la gratuité de l’amour de Dieu.
– Gratitude :
Nous oublions facilement ce que Dieu a fait pour nous, souvent par habitude, ou par usure spirituelle, ou par refus d’accepter la totale gratuité de l’amour de Dieu.
Bien à l’opposé des jugements, des médisances ou des jalousies qui ne devraient pas avoir cours, la gratitude nous fait entrer dans une action de grâces pour ce que Dieu accomplit en l’autre, en nous et en son Eglise.
- lundi 8 mars :
Chers frères et sœurs,
Le récit de la guérison de Naaman le lépreux nous parle de la grâce destinée à tous ; c’est un texte étonnant ; Naaman est chef des armées du royaume de Syrie, ennemi de toujours pour Israël ; ce qui est étrange, c’est qu’il nous est dit que Dieu a accordé la victoire à Naaman au détriment du peuple de Dieu… Les voies de Dieu sont parfois imprévisibles, voire incompréhensibles !
Naaman est atteint de la lèpre, maladie extrêmement invalidante et contagieuse ; il veut être guéri, : sur conseil d’une de ses servantes d’origine juive, il va faire le voyage dans la terre ennemie, pour rencontrer le prophète du roi d’Israël. Il n’est sans doute pas très facile de rencontrer le roi qu’il a vaincu avec ses armées ; ce dernier le prend comme une provocation ; son prophète Elisée va néanmoins rencontrer Naaman.
Il lui propose un acte de foi, simple, trop pour Naaman ; il lui dit de se plonger sept fois dans le Jourdain pour être guéri. Il imaginait quelque chose de plus grandiose, de plus solennel, de plus digne de sa condition, peut-être… Il veut être guéri, mais pas n’importe comment ! Il est sans doute difficile pour un homme habitué à donner des ordres, de se laisser faire.
Ses serviteurs lui font remarquer que si le prophète avait demandé quelque chose de difficile, il l’aurait fait. Alors, pourquoi ne pas se laisser faire dans la simplicité ! Et Naaman entre dans la volonté de Dieu, il va se baigner, et il est guéri. Il dit alors à Elisée sa foi en Dieu.
Pourquoi Jésus évoque-t-il cet épisode de l’histoire sainte ? Pour rappeler combien il est difficile d’accepter d’entrer dans les vues de Dieu. Parfois des étrangers accueillent mieux la nouveauté du Christ que les « habitués » de la foi.
Avez-vous remarqué comme les habitudes peuvent être aussi bonnes que mauvaises… Les bonnes habitudes peuvent devenir mauvaises, mais rarement l’inverse !
Les bonnes habitudes : Les habitudes de notre vie de foi, les rythmes pris pour prier. Les petits gestes d’amitié, les attentions du quotidien pour le bien et l’amour de l’autre dans la vie de couple. Les habitudes de nos agendas, les activités qui reviennent régulièrement rythmer notre journée et notre semaine. Le regard de bienveillance porté sur les autres que nous côtoyons chaque jour ou sur notre monde.
Les mauvaises habitudes : elles naissent souvent des lassitudes accumulées, de difficulté à habiter intérieurement nos gestes ; tout devient corvée, lourdeur. La prière devient routinière et répétitive. Les gestes de tendresse finissent par être vides d’amour. Les activités de nos journées se répètent sans fin, accomplies sans entrain. Le regard sur les autres devient dur : les autres ne changeront jamais, on ne voit plus que les rides de l’âme et les défauts de l’autre.
C’est bien ce qui se passe pour les proches de Jésus qui ont trop l’habitude d’avoir côtoyé Jésus au quotidien : ils passent vite de l’étonnement à l’incrédulité : à force de voir Jésus de trop près ils sont incapables de discerner en lui autre chose que son humanité.
La vérité de l’Evangile est parfois dure à entendre pour nos oreilles, parce qu’elle nous dérange dans nos habitudes, dans les mauvais plis que nous avons pris, dans nos conformismes et nos tiédeurs ; il n’est pas dit que l’annonce de l’Evangile rime avec confort et tranquillité !
C’est sans doute pour cela que nous résistons parfois devant les exigences de l’Evangile qui nous semblent trop fortes et que nous avons du mal à vivre : comment pardonner à un ennemi ? Comment résister à la tentation de juger les autres ? Comment comprendre certaines phrases dures de Jésus (la porte étroite), tendre la joue… et bien d’autres encore) ?
Seigneur renouvelle nous dans nos habitudes, qu’elles nous ouvrent toujours à la nouveauté de ta présence, même dans les tâches qui nous apparaissent les plus ingrates, donne-nous de rester ouverts à un nouveau regard sur nos proches et sur notre monde.
Donne-moi la grâce de l’étonnement, de l’action de grâce pour ta présence toujours nouvelle en tous les instants de ma vie. Apprends-nous comme Naaman à nous laisser faire par ton amour.
- dimanche 7 mars :
Chers frères et sœurs,
Alors comment comprendre ce geste de Jésus qui chasse les marchands du Temple avec un fouet ? Prendrons-nous Jésus en flagrant délit de contradiction ? Non, bien évidemment ! Ce geste n’a rien d’une colère non maîtrisée, c’est un geste réfléchi. Ce geste est un acte prophétique qui a un sens : Jésus veut nous dire quelque chose d’important comme toujours.
Tout d’abord, les marchands présents dans le Temple avaient une utilité « religieuse », puisqu’ils permettaient au peuple qui montait prier Dieu de lui faire des offrandes, conformément aux rites du culte rendu à Dieu. Marie et Joseph eux-mêmes avaient sans doute acheté les deux tourterelles qu’ils ont offertes, lors de la présentation au Temple de Jésus (Lc 2,24). Donc en soi il n’y a rien de scandaleux dans la présence de ces marchands.
Ce qui choque Jésus, et qu’il exprime dans ce geste, c’est la tristesse de son cœur : le risque est de faire du Temple un lieu de trafics, alors qu’il est pour Jésus, dans une expression pleine de tendresse, « la maison de mon Père » : Un lien mystérieux et profond unit Jésus au Temple de Jérusalem. Jésus est scandalisé par le manque de respect pour le Temple, lieu saint où réside du Père ; il révèle là, une fois de plus sa passion brûlante pour le Père : « l’amour de ta maison me dévore » (Jésus cite là le Psaume 68,10).
Le risque des rites et des gestes de notre foi est toujours de croire « acheter » « une bonne conscience », en pensant qu’on achète la faveur de Dieu ; c’est un risque toujours présent dans notre vie spirituelle (je suis un bon chrétien parce que je peux cocher la case messe le dimanche, et la case prière, chaque jour…).
Jésus explique ce geste que personne ne comprend, et qui a dû choquer terriblement parce qu’il semblait remettre en cause le culte de Dieu dans le Temple : « Détruisez ce Temple, en trois jours je le relèverai ».
Vous imaginez quel choc ces paroles ont pu produire ; lorsque le Temple a été détruit par les troupes babyloniennes de Nabuchodonosor en 587 et le peuple envoyé en exil ce fut vécu comme un traumatisme terrible, un tsunami spirituel : Dieu aurait-il déserté son peuple ? Rappelons-nous notre émotion lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris : on nous promet sa restauration en 5 ans, et Jésus la restauration du Temple en trois jours ! Jésus est-il devenu fou, telle devait être les pensées de ceux qui accompagnaient Jésus ce jour-là.
Si Jésus est devenu fou, c’est au sens dont parle Saint Paul dans l’épître que nous méditons :
« Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1,25).
Jésus, nous le savons, parle de sa mort et de sa résurrection. La bousculade du Temple parle de ce bouleversement inouï de la Passion de Jésus toute proche.
L’Evangéliste Jean fait remarquer que c’est lors de la première Pâques de Jésus qu’il pose ce geste. Ce n’est pas par hasard : Jésus anticipe la Pâque du dernier repas (Jn 13).
« En trois jours je le relèverai » : relever est le mot de la résurrection ; il s’agit bien donc de son corps qui sera méprisé, bafoué, exposé, maltraité et conduit à une mort infâmante sur la croix, le gibet des esclaves. C’est le corps de Jésus ressuscité qui est le Temple nouveau, son corps qui rassemble les peuples dans l’amour du Père.
La présence de Dieu dans l’humanité du Christ, parle aussi de sa présence en tout homme qui est « Temple de l’Esprit », sa présence dans la communauté chrétienne. « Si quelqu’un m’aime, nous viendrons en lui, et nous ferons en lui notre Demeure » (Jn 14,23) Quelle grandeur, quelle dignité pour l’homme !
- samedi 6 mars :
Chers frères et sœurs,
Le pardon, encore et toujours plus grand, plus émouvant ! Jésus nous invite à l’émerveillement devant « le Père prodigue d’amour » (Paul Claudel).
C’est un diamant évangélique pur qui brille de mille feux, du feu de l’amour et du pardon infinis de Dieu. Contemplons un instant cette merveille de l’inventivité de l’amour de Dieu.
La parabole opère un passage intérieur chez ce fils dit « prodigue » : un départ et un retour, un chemin qui le fait passer de l’esclavage d’une illusion d’indépendance et de liberté, à la vraie liberté de fils aimé du Père.
– Un départ, une déchéance progressive qui conduit ce fils très bas, un départ pour trouver une liberté rêvée ; en fait ce sera le constat d’une vie de gâchis de l’héritage paternel, une vie gâchée, d’une vie rabaissée à garder les porcs, animaux impurs… Etre gardien des porcs est signe d’une aliénation extrême, le fils qui se croyait libre est devenu esclave. Une errance qui conduit au malheur.
– Un retour sur soi : « Il rentre en lui-même » (Lc 15,17). Une honte assumée : « je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ».
Un retour la tête basse à la maison paternelle : « Il se lève » (un des mots de la résurrection), la vie va reprendre ses droits.
– Une surprise, immense, le Père sur le seuil veille, confiant, il attend son retour, patiemment ; il est « ému aux entrailles », son cœur se retourne de tendresse pour ce fils qui revient la tête basse : il accourt vers lui, le prend dans ses bras, l’embrasse.
Le Père qui le comble au-delà de ses espérances.
Des gestes qui remettent debout le fils perdu, et lui relèvent la tête : il est revêtu du « plus beau vêtement », celui de fils. On lui donne une bague, signe de l’autorité, signe d’une alliance renouée, des sandales, signes d’une vraie liberté retrouvée, on tue et prépare le veau gras des jours de fête. Un repas de fête qui dit une joie commune.
Et surtout une dignité retrouvée ; le fils perdu s’est retrouvé fils aimé du Père, pardonné sans condition. Plus vivant et plus libre qu’il n’a jamais été dans sa fausse liberté !
Une joie partagée avec son Père. « Réjouissez-vous avec moi » (Lc 15,6).
La logique de Dieu n’est pas celle des hommes : elle est gratuité, pardon sans condition, miséricorde, « une mesure pleine, tassée, secouée, débordante ».
- Vendredi 5 mars :
Chers frères et sœurs,
Elle est magnifique l’histoire de Joseph, le fils de Jacob, qui est comme une préfiguration de l’autre Joseph, et comme une annonce du pardon du Christ. Le récit de Joseph dans le livre de la Genèse est très riche de sens en cette année Saint-Joseph : tous les deux sont des hommes aux songes. Ces songes sont un don de Dieu et ils disent la présence de Dieu dans la Bible.
Joseph est l’enfant préféré de Jacob ; celui-ci lui donne une tunique de grand prix , « de toutes les couleurs », vêtement de l’héritier, signe de la protection de Dieu, et symbole de sa mission d’accomplir la volonté de Dieu qui lui est confiée, celle du pardon ; loin d’éveiller l’action de grâce pour les dons dont Dieu colore leur frère, cette faveur excite la jalousie de ses frères ; ils le prennent en grippe et le haïssent ; d’autant plus que celui-ci leur raconte ses songes avec une certaine naïveté ; il leur annonce que son père et ses frères se prosterneront un jour devant lui. Bien mal lui en prit de leur avoir raconté cela ! Ses frères jaloux complotent alors contre lui pour le faire mourir.
Ils le jettent dans un puits pour le tuer, après l’avoir dépouillé de sa tunique (tiens, cela ne nous rappelle-t-il pas la tunique de la Passion ?) ; finalement sur l’intercession du plus âgé des frères, ils le vendent à des caravaniers qui passent pour en tirer un profit financier (comme Jésus sera vendu par un des siens). Pour justifier sa disparition, ils montrent à leur père sa tunique trempée dans le sang d’un bouc, en racontant que Joseph a été dévoré par un fauve.
Joseph en Egypte deviendra ministre de pharaon, après lui avoir expliqué ses rêves. Joseph va alors faire des réserves de grain pour faire face à la disette qu’il a déchiffrée dans les songes de pharaon ; les frères de Joseph qui connaissent aussi la famine, vont en Egypte et se prosternent devant Joseph sans le reconnaître (ainsi s’accomplit le songe de Joseph qui lui a valu tous ses déboires). Ils l’implorent de leur donner de quoi survivre. Joseph donne libre cours à son émotion lorsqu’il retrouve ses frères qui l’ont trahi et vendu (Gn 42,2).
Joseph prend alors un des frères en otage, jusqu’à ce qu’ils lui amènent le plus jeune Benjamin. Après d’autres péripéties, Joseph est pris d’émotion et il éclate en sanglot tellement forts que « les Égyptiens l’entendirent, et même la maison de Pharaon » (Gn 45,2.). Joseph se fait alors reconnaître de ses frères.
Belles larmes qui disent le pardon ; Joseph pleure le mal qu’il a fait à ses frères et pardonne le mal que ses frères lui ont fait. Joseph se livre à une relecture des événements à la lumière de la foi. Joseph n’a pas été livré par ses frères, mais a été envoyé par Dieu : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu » (Gn 45,8).
Ce récit est une tragédie, mais Dieu change celle-ci en bénédiction : du mal, Dieu peut faire sortir un bien plus grand : « Vous aviez voulu me faire du mal, Dieu a voulu le changer en bien », dira Joseph à ses frères (Gn 50,20). Sans Joseph les descendants d’Abraham seraient morts de faim. Mystère du mal humain que Dieu convertit en bien. Joseph est né pour être frère et c’est lui qui a rassemblé sa famille divisée par la haine.
Bien sûr Joseph est préfiguration de Jésus-Christ, le fils bien-aimé du Père venu nous transmettre l’amour et le pardon de son Père. Comme Joseph a reconstruit sa famille dans l’amour retrouvé, Jésus rassemblera « dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (Jn 11,52).
- jeudi 4 mars :
Chers frères et sœurs,
Nous relisons en ce jour la parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare (Lc 16-19-31). N’oublions pas que c’est une parabole ; donc tout n’est pas à prendre au « pied de la lettre » … Celle-ci met en scène un pauvre nommé Lazare, dont le nom signifie : « Dieu aide » (c’est tout un programme), et un homme riche dont on a oublié le nom, comme si sa richesse le caractérisait en entier et absorbait toute son identité. Ce n’est en général pas bon signe, comme le fait remarquer le pape François, lorsqu’on donne un surnom à quelqu’un, au point d’en oublier son nom : le « riche », « le petit », le « traître » …
L’Evangéliste Luc met en valeur le contraste entre les deux personnages de cette parabole : la richesse extravagante de l’un qui lui ouvre tous les possibles = des vêtements de luxe, des fêtes incessantes… « Un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, faisait chaque jour des festins somptueux » (Lc 16,19) ; et la situation pitoyable de l’autre, un pauvre tapi à la porte du riche : celui-ci est non seulement affamé, mais couvert de plaies léchées par les chiens qui sont des animaux impurs. Il est dans une situation désespérée, incapable de se lever, comme échoué définitivement devant la porte du riche qui l’ignore avec mépris.
La parabole laisse aussi supposer que cet homme riche était un homme de foi, qui avait étudié la Torah, puisqu’on le voit dialoguer avec Abraham.
Et voilà bien ce que dénonce la parabole, la foi qui ne s’inscrit pas dans les actes…Le pape François décrit le riche comme un homme enfermé dans « une bulle de vanité », enfermé dans un petit monde d’égoïsme, ne pensant qu’à son petit bonheur de fêtard, incapable de se tourner vers les autres et de voir la misère, la souffrance à sa porte. Oui, sa richesse l’a rendu complètement aveugle et a asséché sa foi qui n’est plus pour lui une source d’eau vive. Sa vie restait comme en superficie, mais aride en vérité, loin de l’amour.
Sa porte et son cœur restaient fermés. Au fond, c’est comme si le fait de s’étourdir dans ses richesses le rendait aveugle, malgré sa foi. Il n’a pas su voir le Seigneur qui frappait à sa porte dans la personne souffrante de Lazare.
Le riche se ferme à la miséricorde envers le pauvre qui gît à sa porte et se condamne lui-même à être exclu de la miséricorde. Un abîme le séparait de son frère pauvre.
Une des leçons de la parabole est de nous rappeler que toute relation est porteuse d’éternité, elle nous met face à notre Seigneur : «J’étais malade, nu, pauvre, et vous êtes venus me visiter » (Mt 25)
Quand l’un et l’autre meurt il se produit comme un renversement des destins : Lazare est à la fête et le riche dans un abîme de souffrances. Le plus malheureux des deux n’était pas celui que l’on pensait ! Refusant la rencontre, le riche était déjà mort spirituellement sans le savoir. Ce riche était pauvre d’oublier qu’il avait un frère à sa porte.
Les pères de l’Eglise ont vu se profiler Jésus derrière le pauvre Lazare : comme Lazare est rejeté à la porte du riche, Jésus meurt rejeté à la porte de Jérusalem.
Le riche est renvoyé à la Parole de Dieu qui ne cesse d’inviter au partage des biens pour en faire une source d’amitié. Jésus appelle les riches que nous sommes à la responsabilité pour nos frères pauvres ; matériellement, mais aussi spirituellement ; nous avons le trésor : la richesse du Christ, de sa Parole ; que faisons-nous de ce trésor ? Le partageons-nous avec nos frères ?
Dans le partage, l’attention aux petits et aux pauvres, c’est la communion des hommes entre eux et avec Dieu qui est en jeu.
Que Lazare nous aide à vivre toute rencontre de l’autre, quel qu’il soit, comme un don.
- mercredi 3 mars :
La demande des Fils de Zébédée nous rapproche du mystère du Jeudi Saint.
Jésus vient d’annoncer pour la troisième fois sa Passion. Ce qui suscite une demande qui nous semble bien déplacée…
Jacques et Jean, les fils de Zébédée, sont surnommés « les fils du tonnerre », en raison sans doute de leur caractère entier et de leur fougue, eux qui ne reculent pas devant la tentation de la violence contre ceux qui refusent de croire en Jésus (Lc 9,54). Curieusement dans l’Evangile de Mathieu, c’est leur mère qui fait la demande pour eux (cela me rappelle immanquablement les mamans qui viennent demander pour leur fils comment se préparer au mariage !). Cela pourrait apparaître comme une ambition naïve, mais pas seulement : Le désir d’être proche du Seigneur dans son Royaume est bon en soi ; il est beau de vouloir être toujours au plus près du Christ ! C’est pour cela qu’ils ont tout quitté pour suivre Jésus ; mais Jésus leur rappelle qu’il y a une condition rude, celle de « boire à sa coupe », c’est-à-dire de le suivre dans sa Passion, de partager sa souffrance ; Jacques et Jean répondent avec une belle spontanéité et une belle générosité : « Nous pouvons boire la même coupe que toi ». Jésus leur répond qu’il faut laisser au Père le soin de préparer ces places dans le secret de sa liberté.
Ensuite s’élève un tollé de la part des dix autres disciples qui s’indignent, sans doute par jalousie ; si Jacques et Jean ont les meilleures places, que leur restera-t-il ? Jésus leur livre alors l’exigence le plus belle et la plus grande du Royaume : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur » (Mt 23,11). A chaque fois que les disciples cherchent à savoir qui parmi eux est le plus grand, Jésus les renvoie à la seule grandeur celle du service humble du Seigneur et du frère : « Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27).
En fait, Jésus leur rappelle par là que la condition première de l’évangélisation est celle-ci : ce que nous proposons aux autres, nous devons être le premier à le pratiquer. Ce que demande Jésus a la force d’une expérience vécue, qu’il veut nous partager, et qu’il nous invite à vivre, Jésus est LE Serviteur, lui qui se met en tenue de service, ce qu’exprimera dans toute sa force le lavement des pieds du jeudi Saint : Jésus est bien « venu pour servir et donner sa vie ».
Donne-nous Seigneur, la grâce de servir comme toi !
- mardi 2 mars :
Chers frères et sœurs,
« Ils disent et ne font pas » (Mt 23,3).
Ce reproche adressé par Jésus aux pharisiens, pourrait souvent nous être adressé. Que celui qui n’a jamais dit qu’il allait faire quelque chose, qui attend toujours sa réalisation, me jette la première pierre (par mail ce sera moins douloureux !). Or la vérité d’un enseignement se mesure à l’authenticité d’une vie, à la façon dont cet enseignement est vécu par celui qui l’enseigne : « les faux prophètes qui viennent déguisés en brebis, alors qu’au-dedans ce sont des loups voraces » (Mt 7,16).
Ce que Jésus leur reproche c’est d’abord et avant tout leur hypocrisie (ils ont un masque – pour d’autres raisons que nous- et jouent un rôle, verset 13), leur vantardise, et leur recherche puérile d’honneurs et de succès. Il y a écart dans leur vie entre dire et faire, entre paraître et être.
Jésus par sa vie bouleverse toutes les hiérarchies sociales, familiales, religieuses. Des « titres » on ne peut plus communs : « Père » ou « Maître » sont à utiliser avec prudence ; Jésus les a en partie vidés de leur sens : Jésus est le seul Rabbi, le seul « Maître », et son Père, le vrai Père. Et par conséquent toute distinction de rang ou de dignité est superflue, elle est un contre-sens par rapport à notre vraie condition de fils de Dieu ; une seule réalité subsiste, la plus belle la plus grande, celle de frères les uns pour les autres : « Vous êtes tous frères » (Mt 23,9).
Et plus encore, Jésus rappelle que tout pouvoir, toute autorité, toute hiérarchie est service. Si Jésus est « Rabbi » et « Maître », c’est parce qu’il s’est fait serviteur. « Je suis parmi vous comme celui qui sert » (Lc 22,26-27 : « Que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert »). Dans le royaume de Dieu, tout est comme inversé : C’est le plus petit qui est le plus grand, c’est le plus pauvre qui est « bienheureux »…
« Jésus a tellement pris la dernière place, que personne n’a pu la lui ravir » (Bx Charles de Foucauld).
Seul vaut le service humble et fraternel.
Seigneur fais nous grandir par notre sens du service de nos frères !
- lundi 1er mars :
Chers frères et sœurs,
Attention, encore des perles évangéliques à contempler inlassablement et sans modération !
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. »
« Donnez, et l’on vous donnera : une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante… »
Quelle incroyable Parole : « Soyez comme votre Père des cieux ». La barre est placée très haute ! Jésus s’efface au point de ne pas se donner lui-même en modèle, cela donne à méditer sur l’humilité du Christ.
Dans l’Evangile de Luc, ce qui est à imiter en Dieu est sa « miséricorde » (chez St Matthieu nous entendions samedi dernier : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », cela nous parle peut-être moins). Dans la Bible Dieu est « touché », « ému aux entrailles » (« pris aux tripes », dirait un certain langage populaire plus imagé encore) devant la souffrance des hommes. Autrement dit, c’est une invitation à se laisser toucher par nos frères qui souffrent ou peinent sur leur chemin.
« La charité est don. Elle donne sens à notre vie. Grâce à elle, nous considérons celui qui est dans le manque comme un membre de notre propre famille, comme un ami, comme un frère. Le peu, quand il est partagé avec amour, ne s’épuise jamais mais devient une réserve de vie et de bonheur » (Pape François, message de carême 2021).
Le don de nous-mêmes nous fait entrer dans la manière d’être de Dieu qui est don ; et nos relations avec notre prochain sont le lieu où grandit notre relation à Dieu.
L’amour de Dieu est « un amour sans mesures, sans nos mesures », comme le dit Madeleine Delbrel.
« Pardonnez… donnez » : c’est ainsi que nous pouvons ouvrir les portes aux merveilles du don gratuit. « Il vous sera donné en plus » (Mc 4,24) : merveille de l’amour de Dieu qui ne compte pas, qui est générosité toujours débordante. C’est à cela que nous sommes invités à ressembler !
« Cherchez le Royaume, et tout cela vous sera donné en plus » (Lc 12,31). L’amour de Dieu sera toujours plus, jamais trop ! La meilleure image que nous en donne Jésus est le Père Prodigue, dans la parabole dite du Fils prodigue (Lc 15).
- dimanche 28 février :
Chers frères et sœurs,
Nous avons en ce deuxième dimanche de carême un curieux télescopage liturgique qui met en parallèle le sacrifice d’Abraham et la gloire de la Transfiguration.
Ce qui unit les deux textes, c’est la foi en l’amour de Dieu.
Devenir Fils est un des enjeux du temps du carême. On ne devient pas fils de Dieu n’importe comment : non pas dans une soumission servile, mais dans une écoute libre et aimante : « Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le ».
– Abraham vit l’épreuve de la foi :
Celui-ci a un fils unique, Isaac, le fils de la promesse ; c’est comme une contradiction ; Dieu semble reprendre sa promesse. Dieu l’appelle à offrir son fils bien-aimé en sacrifice. Et nous pouvons imaginer le déchirement que cela représente pour lui, nous entrevoyons ce qui a pu se passer dans son cœur et dans le cœur de son fils. Abraham a entièrement confiance en Dieu ; « C’est un acte de foi extrêmement radical » (Benoît XVI). Il obéit librement et dans la confiance, comme Marie, même s’il ne comprend pas tout de la volonté de Dieu. Peut-être pressent-il que Dieu ne peut pas contredire sa promesse et reprendre ce qu’il a donné. Abraham a expérimenté la tendresse de Dieu pour lui, et il sait au plus profond de lui que Dieu est fidèle et qu’il ne peut se renier lui-même : Dieu lui a donné Isaac, fils d’un miracle (au-delà de la stérilité), le Fils de la promesse, et il ne peut lui retirer sa promesse d’être à l’origine d’une grande nation. La foi d’Abraham est foi dans la nuit. Parfois la volonté de Dieu nous est obscure ; il faut avancer dans la nuit.
Ce texte paradoxalement peut nous délivrer de l’image d’un Dieu cruel qui n’est pas le Dieu de la Bible.
Isaac le fils-bien-aimé devient comme une étonnante une image du Christ : il a pleine confiance dans son père ; et il gravit la montagne en portant le bois, comme le Christ chargé de sa croix. Jésus est le nouvel Isaac dans l’obéissance d’amour envers son Père.
L’auteur biblique nous montre la communion entre le père et le fils : « ils s’en allèrent tous les deux ensemble », unis dans le désir d’accomplir la volonté de Dieu, unis dans la confiance d’un amour réciproque : dans la foi, ils pressentent que Dieu ne peut que les conduire à la vie. Ils ont fait l’expérience du Dieu Sauveur qui ne veut pas la mort, mais la vie.
« Si Dieu est pour nous qui sera contre nous, lui qui n’a pas épargné son propre fils… comment avec son Fils ne nous donnerait-il pas tout ? « (Rm 8,32).
– L’Evangéliste Marc nous montre le Fils est transfiguré dans la gloire :
La Transfiguration est l’expérience mystique de ce lien de confiance total entre le Christ et son Père. Expérience de lumière et de gloire. L’humanité de Jésus laisse transparaître la gloire de son Père. Lumière fugitive, car Jésus doit passer par la mort. Et donc c’est aussi une expérience de ténèbres (la nuée cache Dieu dans le chemin du désert du peuple de Dieu), qui appelle à la confiance en la Parole de Dieu au-delà de la vision. Ce que les disciples entrevoient permet un regard de foi sur la croix comme mystère de l’amour extraordinaire de Dieu.
Nous pouvons y relire nos expériences de foi : il est des moments de notre vie qui sont comme de petites transfigurations où la présence de Dieu nous est comme évidente ; et ensuite vient la grisaille du quotidien ou parfois même la nuit de la foi : Dieu nous paraît bien absent, la prière bien difficile ; à ce moment il nous faut faire mémoire de ces moments de grâce pour renouveler notre confiance ; comme Abraham l’a fait.
La prière est ce lieu qui nous fait entrer dans ce regard de foi qui illumine et transfigure notre quotidien et nos rencontres, qui nous permet de « voir l’invisible ». Sans la prière il est probable que notre confiance en Dieu s’essouffle. La prière nous fait discerner la lumière et la paix qui traversent nos vies et qui viennent du Christ ressuscité dans l’épaisseur de notre quotidien.
Il est profondément juste le tableau de Raphaël qui place la guérison de l’épileptique par Jésus sous la scène de la Transfiguration (en effet, cet épisode suit le Transfiguration dans l’Evangile de Mathieu en Mt 17) : la lumière de Jésus éclaire les souffrances de l’homme. La Transfiguration de Jésus n’est pas désincarnée. Elle s’inscrit dans le tréfonds de notre vie humaine.
Chers frères et sœurs,
Nous avons en ce deuxième dimanche de carême un curieux télescopage liturgique qui met en parallèle le sacrifice d’Abraham et la gloire de la Transfiguration.
Ce qui unit les deux textes, c’est la foi en l’amour de Dieu.
Devenir Fils est un des enjeux du temps du carême. On ne devient pas fils de Dieu n’importe comment : non pas dans une soumission servile, mais dans une écoute libre et aimante : « Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le ».
– Abraham vit l’épreuve de la foi :
Celui-ci a un fils unique, Isaac, le fils de la promesse ; c’est comme une contradiction ; Dieu semble reprendre sa promesse. Dieu l’appelle à offrir son fils bien-aimé en sacrifice. Et nous pouvons imaginer le déchirement que cela représente pour lui, nous entrevoyons ce qui a pu se passer dans son cœur et dans le cœur de son fils. Abraham a entièrement confiance en Dieu ; « C’est un acte de foi extrêmement radical » (Benoît XVI). Il obéit librement et dans la confiance, comme Marie, même s’il ne comprend pas tout de la volonté de Dieu. Peut-être pressent-il que Dieu ne peut pas contredire sa promesse et reprendre ce qu’il a donné. Abraham a expérimenté la tendresse de Dieu pour lui, et il sait au plus profond de lui que Dieu est fidèle et qu’il ne peut se renier lui-même : Dieu lui a donné Isaac, fils d’un miracle (au-delà de la stérilité), le Fils de la promesse, et il ne peut lui retirer sa promesse d’être à l’origine d’une grande nation. La foi d’Abraham est foi dans la nuit. Parfois la volonté de Dieu nous est obscure ; il faut avancer dans la nuit.
Ce texte paradoxalement peut nous délivrer de l’image d’un Dieu cruel qui n’est pas le Dieu de la Bible.
Isaac le fils-bien-aimé devient comme une étonnante une image du Christ : il a pleine confiance dans son père ; et il gravit la montagne en portant le bois, comme le Christ chargé de sa croix. Jésus est le nouvel Isaac dans l’obéissance d’amour envers son Père.
L’auteur biblique nous montre la communion entre le père et le fils : « ils s’en allèrent tous les deux ensemble », unis dans le désir d’accomplir la volonté de Dieu, unis dans la confiance d’un amour réciproque : dans la foi, ils pressentent que Dieu ne peut que les conduire à la vie. Ils ont fait l’expérience du Dieu Sauveur qui ne veut pas la mort, mais la vie.
« Si Dieu est pour nous qui sera contre nous, lui qui n’a pas épargné son propre fils… comment avec son Fils ne nous donnerait-il pas tout ? « (Rm 8,32).
– L’Evangéliste Marc nous montre le Fils est transfiguré dans la gloire :
La Transfiguration est l’expérience mystique de ce lien de confiance total entre le Christ et son Père. Expérience de lumière et de gloire. L’humanité de Jésus laisse transparaître la gloire de son Père. Lumière fugitive, car Jésus doit passer par la mort. Et donc c’est aussi une expérience de ténèbres (la nuée cache Dieu dans le chemin du désert du peuple de Dieu), qui appelle à la confiance en la Parole de Dieu au-delà de la vision. Ce que les disciples entrevoient permet un regard de foi sur la croix comme mystère de l’amour extraordinaire de Dieu.
Nous pouvons y relire nos expériences de foi : il est des moments de notre vie qui sont comme de petites transfigurations où la présence de Dieu nous est comme évidente ; et ensuite vient la grisaille du quotidien ou parfois même la nuit de la foi : Dieu nous paraît bien absent, la prière bien difficile ; à ce moment il nous faut faire mémoire de ces moments de grâce pour renouveler notre confiance ; comme Abraham l’a fait.
La prière est ce lieu qui nous fait entrer dans ce regard de foi qui illumine et transfigure notre quotidien et nos rencontres, qui nous permet de « voir l’invisible ». Sans la prière il est probable que notre confiance en Dieu s’essouffle. La prière nous fait discerner la lumière et la paix qui traversent nos vies et qui viennent du Christ ressuscité dans l’épaisseur de notre quotidien.
Il est profondément juste le tableau de Raphaël qui place la guérison de l’épileptique par Jésus sous la scène de la Transfiguration (en effet, cet épisode suit le Transfiguration dans l’Evangile de Mathieu en Mt 17) : la lumière de Jésus éclaire les souffrances de l’homme. La Transfiguration de Jésus n’est pas désincarnée. Elle s’inscrit dans le tréfonds de notre vie humaine.
Que ce temps du carême renouvelle notre prière, lieu de confiance et de transfiguration de notre quotidien. Avec le Christ en ce carême demandons la grâce de devenir davantage fils.
- samedi 27 février :
Chers frères et sœurs,
J’ai toujours pensé que nous avons dans cet Evangile le plus essentiel du message du Christ : l’amour des ennemis. Au fond, c’est ce que nous célébrons le vendredi saint.
Aimer seulement ses semblables est un amour trop court. L’amour ne fait pas de tri… L’amour ne se mesure pas en quantité, mais en qualité.
L’amour selon le Christ déborde nos catégories « sociales », de voisinage, de « cercles » plus ou moins « fermés » … Il fait éclater toutes les barrières et les restrictions que la notion de prochain suggère parfois, pas seulement dans l’esprit de certains penseurs, mais aussi dans nos relations habituelles.
L’amour de Dieu se manifeste de façon « privilégiée » à ceux qui en semblent les moins dignes, aux pécheurs, à ses ennemis… Bref l’amour de Dieu n’est pas « raisonnable » à nos yeux.
Jésus fait surabonder les commandements : l’amour du prochain doit aller jusqu’à l’amour des ennemis ; Jésus cite le grand commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur » (Lv 19,18) ; même si nulle part on ne trouve : « tu haïras ton ennemi » de façon précise, il faut avouer que la réalité de la haine des ennemis n’est pas absente de la Parole de Dieu, notamment dans les psaumes dit de « malédiction », passages qui sont pudiquement oubliés de la liturgie des heures. En voici un exemple, il y en aurait beaucoup d’autres du même tonneau assez imbuvable : « Comment ne pas haïr tes ennemis, Seigneur, ne pas avoir en dégoût tes assaillants ? Je les hais d’une haine parfaite, je les tiens pour mes propres ennemis » (Ps 138,21-22). C’est la violence des hommes qui ressort au cœur de la prière, humaine, très humaine.
L’amour universel trouve sa source en Dieu le Père qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt5,45).
Aimer ses ennemis n’a rien de simple, sinon sur le papier… Comment manifester de la sympathie pour celui qui me déteste (ce que je lui rends bien, souvent !) ? Comment aimer celui qui a trahi mon amitié ou mon amour ? Comment prier pour celui cherche à me nuire, qui me manipule ? Tout cela est très concret ; seule la force du Christ qui pardonne peut m’aider à avancer pas à pas vers cet impossible.
L’amour des ennemis ne fait pas appel aux seuls sentiments qui ne suffisent pas. Face à son ennemi, le disciple doit passer à l’action avec pour seules armes, des armes bien désarmées (sans jeu de mot phonétique) : Jésus dans le texte parallèle de l’Evangile de Luc invite à leur faire du bien, à prier pour eux, à donner à ceux qui nous ont pris (Lc 6,27-30), et ultimement à pardonner jusqu’à « soixante-dix fois sept fois » (Mt 18,35) : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). L’enjeu pour nous est de devenir des fils à l’image du Christ.
Il faut faire face à la montée de la violence, et de la haine, avec un amour toujours plus grand ; à la spirale de la violence répond la spirale de la douceur et de la bonté (« À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique » Lc 6,29). C’est un chemin escarpé ; la croix nous le montre !
Cc que Saint Paul résume en une phrase limpide et lapidaire : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12,21).
- vendredi 26 février :
Chers frères et sœurs,
« Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 5,20).
« Avoir foi en la perfection de l’homme, c’est très bien chez un homme d’Église, pas chez un premier ministre. » disait Winston Churchill, célèbre pour son humour. Jésus ajoute avec une autre profondeur que la recherche de perfection ne suffit pas toujours… La preuve : les pharisiens ; c’est bien la perfection qu’ils poursuivent, mais en vain. Cela ne suffit pas à donner le salut.
Les pharisiens ne manquent pas de sincérité, ils encouragent une observance rigoureuse, tatillonne de la loi. Jésus dénonce ce fardeau insupportable qu’ils imposeraient volontiers aux autres : « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt » (Mt 23,4). Et de plus, ils se permettent de juger les comportements et de les critiquer ouvertement et sans ménagement (« pourquoi tes disciples ne se lavent-ils pas les mains ? », Mt 15,2).
Appliquer la loi de Dieu et avoir un comportement « moral », ne suffisent pas à guérir les cœurs. Jésus ne cesse pas de rappeler que c’est le cœur de l’homme qui est malade (Mt 15,18). Notre façade peut être belle et l’intérieur en plein désordre… A quoi bon « purifier l’extérieur de la coupe et de l’assiette », si « l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance !… A l’extérieur, pour les gens, vous avez l’apparence d’hommes justes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et de mal » (Mt 23,25-28). Etre en règle avec la loi ne suffit pas. « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi » (Mt 15,8).
Le plus important est donc pour Jésus la guérison du cœur. Et pour cela, une condition unique et nécessaire, se reconnaître humblement pécheur. Le temps du carême peut nous aider à regarder ce qui nous empêche d’aimer, ce qui nous fait rester dans des « pratiques extérieures » ou comptables de la foi, ce qui empêche notre amour de « surabonder ».
Jésus dans l’Evangile de ce jour nous donne un critère sûr et infaillible : nos relations fraternelles. Il ne s’agit pas seulement d’éviter de tuer, ni même seulement de ne pas se mettre en colère, ni même de réparer une faute que nous aurions commise contre quelqu’un… On peut encore aller plus loin dans l’amour fraternel : être capable de repérer si un frère a quelque chose à nous reprocher, pour aller vers lui et nous réconcilier avec lui : « lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Mt 5,23-24).
C’est ainsi que notre amour pourra surabonder, déborder, c’est-à-dire commencer à ressembler à l’amour de Dieu qui est toujours « combien plus » (cf la méditation d’hier).
Que notre générosité déborde en ce temps du carême. Car, là où il n’y a pas trop, il n’y a pas assez !
- jeudi 25 février :
Chers frères et sœurs,
Le récit du livre d’Esther est à la fois suffisamment sérieux et « rocambolesque », improbable et pourtant devenu réalité glaçante avec la shoah ; cette épopée étrange a inspiré, et l’on comprend pourquoi, peintres, musiciens (Charpentier, Haendel…) et écrivains (Esther, une tragédie de Racine).
Esther est une jeune femme juive à la beauté légendaire ; cette beauté la fait remarquer, alors qu’elle est captive avec le reste de son peuple à Babylone après la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Elle entre dans le harem royal et trouvera grâce aux yeux du roi Assuérus. Séduit par sa beauté, le roi en fera sa nouvelle épouse et la reine de Perse… Mais une tragédie se prépare contre le peuple juif. Aman, descendant d’Amalec, l’ennemi héréditaire des Juifs, est officier en chef du roi et cherche à faire périr Mardochée, l’oncle d’Esther qui avait déjoué un complot contre le roi ; avec Mardochée c’est tout le peuple juif qui est menacé de mort. Il les accuse de ne pas respecter les lois et coutumes religieuses. Assuérus lui donne pouvoir d’exterminer tout le peuple juif avec Mardochée, et sans le savoir sa propre épouse…Aman prépare l’extermination de tous les Juifs, femmes et enfants y compris. C’est à ce moment absolument tragique qu’Esther se tourne vers le Dieu de son peuple pour l’implorer : « La Reine Esther, dans l’angoisse mortelle qui l’étreignait, cherchait refuge auprès du Seigneur. Elle enleva ses vêtements d’apparat et prit des vêtements de deuil et d’affliction. Au lieu de parfums précieux, elle se couvrit la tête de cendre et de poussière » (verset 17k, voilà qui nous rappelle la célébration des cendres !).
« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, tu es béni. Viens à mon secours car je suis seule, et je n’ai pas d’autre défenseur que toi, Seigneur ». Esther dans sa prière fait un bel acte d’abandon entre les mains du Seigneur. Le dernier mot de sa prière, que nous ne méditons pas dans la lecture de ce jour, est de demander au Seigneur : « Libère moi de la peur » (verset 17z). Voilà qui peut être une demande nécessaire à faire à notre Père des cieux, alors que le virus alimente des peurs dans les cœurs…
La prière d’Esther sera exaucée et Aman sera pendu à la potence qu’il avait fait dresser pour Mardochée. De cette épopée, naîtra la fête de Pourim (fête des sorts : le sort de l’oppresseur et des opprimés a été changé), équivalent d’un carnaval où l’on se déguise pour fêter la libération du peuple d’Esther.
Jésus nous parle de la prière de demande, insistant sur son importance : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira » (Mt 7,7). Pourquoi demander si nous avons la certitude que Dieu nous entend et nous exauce ? Jésus donne l’image de la paternité humaine qui est comme une lointaine esquisse de la paternité de Dieu : si un Père « normal » sait donner ce qui est bon pour son fils, « combien plus » (verset 11) notre Père des cieux nous donnera-t-il de bonnes choses ! La surabondance de l’amour de notre Père des cieux tient dans cet infiniment beau « combien plus » !
Si nous demandons à Dieu c’est pour entrer dans une relation filiale, à l’exemple de Jésus : si nous nous ouvrons à sa bonté infinie, nous avons déjà commencé à recevoir sa grâce.
Demandons la grâce de la confiance d’Esther et de Jésus en l’amour du Père !
- mercredi 24 février :
Chers frères et sœurs,
L’être humain est et sera toujours à la recherche de signes de la présence de Dieu. Combien de fois avons-nous entendu des gens dire qu’ils ne pouvaient pas avoir la foi, parce que Dieu ne leur avait pas donné de signes, malgré leurs demandes insistantes.
Pourtant Dieu ne cesse pas de faire signe. Mais il faut la foi pour les voir. Il faut voir au-delà du visible. Ce qui n’est pas si simple !
Plusieurs fois dans les Evangiles on demande à Jésus de donner des signes pour prouver qu’il est bien le Messie. Dans l’Evangile de Matthieu et celui de Marc, la demande de signe vient après que Jésus a multiplié les pains ; cela ne suffit pas aux pharisiens pour croire ; En Saint Luc, cette demande fait suite à l’expulsion d’un démon.
Dans l’Evangile de Jean, les signes que Jésus accomplit ne suffisent pas toujours pour faire entrer dans la foi : après la multiplication des pains, Jean nous dit : « À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde » » (Jn 6,14) ; mais Jésus n’est pas dupe : quelques versets plus loin, après le récit de la tempête apaisée, Jésus dit aux disciples qui le cherchent : « Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés » (Jn 6,26). Demander des signes à Jésus alors qu’il vient d’en donner n’est pas le signe d’une foi très vaillante !
C’est l’amour du Christ sur la croix qui deviendra le signe par excellence.
C’est bien ce que Jésus veut dire en donnant Jonas comme signe de la venue du Royaume. L’Evangéliste Mathieu explicite le signe de Jonas, en le reliant au mystère de la mort et de la résurrection de Jésus : « En effet, comme Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, le Fils de l’homme restera de même au cœur de la terre trois jours et trois nuits » (Mt, 12,40). Luc met davantage en avant la proclamation de Jonas qui suffit comme signe appelant à la conversion les gens de Ninive (Jon 3,8-10), mais il donne un autre signe, celui de la sagesse de Salomon qui a suffi à subjuguer la reine de Saba. C’est comme si Jésus disait que sa Parole avait moins d’effet dans le cœur de ses contemporains que Jonas ou Salomon.
Revenons un instant au conte délicieux et plein d’humour de Jonas et sa baleine. Je vous invite à le (re)lire, c’est le texte le plus court de la Bible (58 petits versets) !
Jonas reçoit la mission d’appeler la ville de Ninive à se convertir. Ninive est la pire ennemie d’Israël, Ninive la païenne, l’envahisseuse, Ninive qui a contraint le peuple hébreu à la déportation… Jonas qui connaît bien Dieu résiste à Dieu ; parce qu’il sait trop bien que Dieu pardonnera : comment Dieu peut-il pardonner à nos ennemis ? Jonas ne veut même pas imaginer que le pardon de Dieu pour les ennemis soit possible : « Seigneur, ne compte pas sur moi pour cela ; c’est au-dessus de ma force ».
Jonas fuit la demande de Dieu prend un bateau pour le sud de l’Espagne, aux antipodes de Ninive. Dieu déchaîne une tempête. Ayant avoué en être la cause, Jonas est lancé à la mer par les marins et est avalé par un gros poisson. Celui-ci sauve ainsi Jonas. Dieu insiste ; Jonas est vaincu et appelle Ninive à la conversion ; sa parole est efficace : Dieu pardonne. Jonas se met en colère.
Jonas, c’est chacun de nous lorsque nous résistons à Dieu, lorsque nous refusons que Dieu fasse grâce à ceux que nous n’aimons pas : dans notre vie, il n’est pas toujours évident que nous acceptions que Dieu pardonne à ceux qui nous font du mal. Dieu malgré nos refus, conduit toute chose vers son dessein de vie, de bienveillance et de pardon.
Jonas est témoin de la Parole qui sauve, qui donne le pardon, qui donne la vie. Jonas passe trois jours dans la nuit de la baleine avant d’être témoin de la lumière de ce Dieu qui n’est que pardon et miséricorde.
Jonas est le spectateur dépassé de l’amour de Dieu ; puissions-nous l »être aussi !
- mardi 23 février :
Chers frères et sœurs,
Jésus nous apprend à prier ; c’est à la demande d’un de ses disciples parce qu’il voit Jésus prier : « Seigneur, apprends-nous à prier ! » (Lc 11, 1), Il leur donne alors cette prière ; C’est « LA prière », par excellence, le « Notre Père » qui parle de son intimité avec le Père.
« Quand vous priez …, dites : ‘Notre Père …’ », leur répond Jésus (Mt 6, 7.8).
Il est difficile d’effleurer en quelques lignes une telle prière qui a valu des volumes entiers de commentaires parfois brillants !
« Le Notre Père : prière même de Jésus, prière du Fils unique de Dieu devenue prière commune de tous les fils de Dieu, frères et sœurs de Jésus » (Mgr Lustiger, la Messe p.170).
« Mon Père est votre Père » (Jn 20,17) ; ces mots de Jésus expriment le sens de son existence donnée à son Père et à ses frères. Elle est prière fraternelle et filiale. Cette prière nous ouvre àl’amour fraternel, la simplicité et la joie.
Il est magnifique de méditer sur les deux premiers mots : « Notre Père » ; je me souviens, lorsque j’étais enfant, en colonie de vacances, un prêtre nous racontait l’histoire (peut-être inventée, peu importe), d’une bergère qui n’allait pas plus loin dans sa prière. Elle s’arrêtait à ces deux mots, infinis, dont nous ne prendrons jamais toute la mesure. Elle avait tout compris dans sa simplicité.
Le mot Père est chargé d’affection et de tendresse et nous parle du visage du Dieu vers lequel nous nous tournons avec confiance. Abba, le mot araméen que Jésus emploie, est très affectueux : « papa, père bien-aimé ».
Dieu n’est pas un Dieu lointain, même si la suite de la prière nous rappelle qu’il est aux « cieux », Dieu est tout proche, comme un Père qui aime ses enfants et veille sur eux !
« En appelant Dieu Père, nous affirmons que l’origine de notre existence est en lui, que nous avons été voulus, pensés, aimés et appelés à la vie par ce « Père qui est aux cieux ». Cette certitude donne son sens à notre vie » (Enzo Bianchi).
Ce qui est extraordinaire, c’est de comprendre que ce « Notre Père » est d’abord « la prière du Seigneur ». C’est la prière que Jésus a dite à son Père, celle qu’il nous partage au nom de son Père : « Je leur ai donné les paroles que tu m’avais données » (Jn 17, 8). C’est la prière du Fils de Dieu fait homme.
C’est une prière divine et en même temps très humaine, puisque Jésus partage nos besoins (la volonté de Dieu, le pain, le pardon…). En priant cette prière de Jésus, nos désirs deviennent plus grands, plus beaux : la prière nous tourne vers le plus grand amour.
Nous prions « Notre Père » ; nous ne disons pas seulement « Mon Père », chacun de notre côté. Parce que la prière de Jésus nous rappelle que nous ne pouvons pas nous passer des autres, que nous ne nous sauvons pas seuls (Cf Pape François, Tous frères § 137 : « Ou bien nous nous sauvons tous, ou bien personne ne se sauve »). C’est bien moi qui prie le Père, mais ma prière est toujours la prière de tous. C’est toute l’humanité qui est présente dans cette prière de fraternité dans le Christ. Nous demandons pour tous d’être fils d’un même Père et frères dans le Christ.
A chaque Eucharistie, le « Notre Père » prend tout son sens. La présence du Christ dans le pain de l’eucharistie nous fait demander en vérité : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ».
Remettons-nous en toute simplicité, comme le Christ Jésus, entre les mains de son Père, qui est « Notre Père ».
- lundi 22 février :
Chers frères et sœurs,
Nous fêtons aujourd’hui la « chaire de St Pierre » (mot qui vient du latin cathedra, le siège de l’évêque, d’où celui-ci prêchait). La chaire de saint Pierre est un siège en bois conservé à Saint-Pierre de Rome qui rappelle la mission de Pierre, et donc l’autorité du pape. Dès le IVe siècle on a commencé à fêter la chaire de saint Pierre. L’Eglise primitive a très tôt reconnu ses racines dans la profession de foi de Pierre à Césarée.
Jésus s’est laissé accompagner par ses disciples, qui l’ont suivi, l’ont entendu, l’ont vu agir, guérir et pardonner. Ainsi ils ont pu découvrir au-delà de la réalité physique de Jésus, fils de Marie, la vérité existentielle de celui-ci ; aussi Jésus peut commencer à les interroger sur ce qui est dit de lui : « Le Fils de l’homme, qui est-il d’après ce que disent les hommes ? ». C’est la question décisive que les Evangélistes mettent tous en valeur.
Toutes les réponses appartiennent au passé prophétique, de Jean-Baptiste à Elie, en passant par Jérémie. Personne ne voit en Jésus celui qui accomplit la promesse…Il n’est pas si facile de voir au-delà du visible et de pénétrer le mystère d’une personne, encore plus pour Jésus !
C’est Pierre qui prend ensuite la parole au nom des douze, lorsque Jésus passe de la 3° personne (« que disent les hommes ? ») à la 2° personne : « Vous, que dites-vous ? ».
Dans la mentalité biblique, la Parole s’accomplit lorsqu’elle est prononcée ; dire, c’est faire ; Pierre lorsqu’il proclame sa foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », accepte que Jésus soit le Sauveur dans sa vie. Jésus est reconnu par Pierre dans sa divinité, même s’il n’en comprend pas encore toute la portée ; il lui faudra la croix pour accepter la croix !
Jésus connaît le cœur des hommes et proclame une béatitude : ce que Pierre a compris lui vient non pas de « la chair et du sang », c’est-à- dire de ses seules capacités humaines, mais de l’accueil dans la foi de la volonté du Père.
Jésus donne alors un nouveau nom à celui qui porte le nom de Simon depuis sa naissance ; tout nom en langue sémitique a une signification existentielle, exprimant la réalité la plus profonde de son identité : Simon qui veut dire « celui qui écoute » (Simon a été à l’écoute de la volonté de Dieu qui lui a permis de dire sa foi) ; Simon est fils de Jonas : « la colombe », c’est le signe de Jonas, dont va parler Jésus, qui nous dit la mort et résurrection, les trois jours dans le ventre de la baleine ; Simon passera par la mort pour être sauvé par le Christ ; quand Jésus donne à Simon le nouveau nom de Pierre, il exprime ce que vit Pierre, qui est constitué par Jésus comme le « rocher » de son Eglise : sa maison est bâtie sur le roc (Mt 7,24). Rappelons ici que Dieu est le roc pour son peuple, signe de sa fidélité : il rassasie et nourrit son peuple au désert : dans l’aridité du désert alors que le peuple murmure contre lui, Moïse frappe le rocher d’où jaillit l’eau (Ex 17,1-7) : Dieu seul peut désaltérer nos soifs les plus profondes, Dieu seul peut nous donner une paix du cœur qui dure.
Pierre est désormais constitué comme le rocher de l’Eglise, le peuple de Dieu, en raison de sa foi et de la grâce du Christ : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16,18) ; cela lui sera confirmé après la résurrection : « Sois le pasteur de mes brebis. » (Jn, 21-15-17).
C’est ainsi que Pierre invitera les « pasteurs de l’Eglise » à devenir comme lui « les modèles du troupeau » (1 Pi 5,3).
Prions pour les successeurs de Pierre ne ce jour, en particulier pour notre pape François, dont le nom qu’il a reçu du Seigneur (François d’Assise) évoque la simplicité et la joie de l’Evangile.
- dimanche 21 février :
Chers frères et sœurs,
Deux tout petits versets pour parler des Tentations de Jésus au désert…. L’Evangéliste Marc serait-il en mal d’inspiration ? « Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ».
Vous allez me dire que l’Evangéliste ne parle ni du jeûne, ni de la faim de Jésus ! Le récit des Tentations de Marc est le plus court, mais il n’est pas le moins pertinent. Je le trouve intéressant pour ces deux versets : « Il était avec les bêtes sauvages » « Les anges le servaient ».
Il ne s’agit pas de vivre hors de notre condition humaine, en lévitation, comme Tintin au Tibet, ni dans l’angélisme. A chacun de nous d’occuper notre vraie place de bipède intelligent, « d’animal raisonnable », les pieds sur terre mais le regard levé vers le ciel. Le prologue de l’Evangile en Marc est à lire à la lumière de la Passion et de la résurrection.
Jésus, dans la condition humaine qu’il assume avec nous, revit toutes les épreuves de l’humanité. La confrontation au Mal ne lui est pas épargnée. Et cela même s’il n’y a en lui aucune connivence avec le Mal ni avec le péché ou l’orgueil. Jésus est confronté aux tentations humaines : Ce sont les tentations de la force au désert ; la tentation de la faiblesse et de la peur à Gethsémani.
C’est l’Esprit présent au baptême qui le conduit au désert, il le « jette dehors » dit Marc (verset 12 ; c’est un mot très fort ; utilisé pour les marchands du Temple : il les « chasse » en Mc 11,5, ou pour l’expulsion des démons en Mc 1,34). Face à l’homme et à la femme chassés de l’Eden, entrant dans un monde hostile, Jésus est le Nouvel Adam affrontant le Mal ; il amorce ainsi le retour à Dieu de l’humanité.
Jésus va affronter Satan, l’Ennemi qui s’oppose au Règne de Dieu ; Satan n’a pas pouvoir sur Jésus parce celui-ci refuse tout ce qui est contraire à la volonté de Dieu. Cette épreuve révèle ce qu’il y a dans le cœur du Christ. Nouveau Moïse, il revit les tentations de son peuple au désert du Sinaï : « Souviens-toi des marches dans le désert afin de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur » ( Dt 8,1-6 ): Jésus triomphe dans la fidélité à la volonté du Père, là où le peuple a été infidèle à Dieu.
– « Il était avec les bêtes sauvages » :
Jésus a affronté les « bêtes sauvages » du désert et en a été vainqueur. Cette bête qui va amener Caïn à tuer son frère par jalousie est celle qui rode à sa porte : « Le péché n’est-il pas à ta porte comme une bête tapie qui te convoite et que tu dois dominer ». (Gn 4,7).
Tout cela rappelle l’ambiguïté du monde animal capable du meilleur comme du pire. Souvent dans les récits bibliques des animaux aident l’homme : l’ânesse de Balaam qui parle et est plus clairvoyante que lui ; elle voit l’ange que Balaam ne voit pas et le sauve (Nb 22,21-35), les corbeaux ravitaillent Elie, le poisson sauve Jonas.
La violence dans le règne animal est liée au désordre que le péché a introduit dans le monde, elle représente la révolte de la nature contre l’homme ; la création est fragile, notre temps nous le rappelle en permanence : « La création toute entière gémit dans l’attente du Salut » (Rm 8,22). C’est aussi ce que rappelle le récit de l’Alliance avec Noé, dans la première lecture de ce jour. L’arc ne ciel réunit le ciel et la terre dans une harmonie rétablie par Dieu.
Parfois les animaux retrouvent par grâce cette paix des origines : ainsi les lions doux comme des agneaux face à Daniel ; en attendant la fin des temps où les animaux sauvages redeviendront pacifiques : le Messie vient réaliser la réconciliation de l’homme et du cosmos : « Le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le chevreau ; Le veau, le lionceau et la bête grasse se nourriront ensemble, conduits par un petit garçon… Le nourrisson s’amuse sur le trou du cobra » (Is 11,6). Ce qu’il y a d’animal en l’homme sera entièrement transformé.
Jésus vainqueur du péché était avec les bêtes sauvages ; c’est le retour à l’harmonie première voulue par le Père lors de la création. La vraie paix est paix intérieure qui aide à être maître en soi des bêtes sauvages et à vivre dans la confiance en Dieu sans craindre le Mal : Jésus est victorieux des forces du mal à l’œuvre dans les Tentations.
Jésus nous apprend à vivre avec nos bêtes sauvages, notre voracité (loi du plus fort, hyperconsommation, l’homme loup pour l’homme…), sans se laisser dévorer par elles.
Etre humain c’est apprivoiser en nous le loup et entrer en conversation avec les anges, ces envoyés de Dieu.
– « Les anges le servaient » :
St François d’Assise vivait cette humble fraternisation avec les réalités de la nature, lui qui a rendu docile le loup de Gubbio : Il assume les forces obscures de son humanité e,t réconcilié avec ses forces vives, il les transfigure (il loue même « notre sœur la mort »), il a vécu une humble et fervente communion à toutes les créatures : « Loué sois-tu mon Seigneur avec toutes tes créatures ».
Que le Seigneur nous donne d’entrer dans le combat contre nos bêtes sauvages pour être servis par les anges !
- samedi 20 février :
Chers frères et sœurs,
Jésus appelle un collecteur d’impôt, un publicain, à le suivre, Lévi qui n’est autre que Mathieu ; les publicains sont profondément méprisés parce qu’ils collaborent au service de l’occupant romain et qu’ils imposent souvent des impôts excessifs. Ils apparaissent alors comme des fraudeurs qui s’enrichissent aux dépens de tous, et sont donc souvent assimilés aux pécheurs publics.
En réponse à l’appel de Jésus, Mathieu se lève (c’est un des mots de la résurrection), suit Jésus et dans sa joie l’invite à manger dans sa maison ; suivre Jésus c’est l’accueillir chez soi et être en communion avec lui. Cette invitation en est le signe. Rappelons que Mathieu ne fait pas partie des douze associés à la mission de Jésus.
Ce qui fait scandale c’est que Jésus accepte l’invitation d’un pécheur à manger chez lui. Cette communion de table avec un homme « impur » scandalise. Luc rappelle que les publicains étaient nombreux à suivre Jésus. L’attitude de Jésus est iconoclaste. Car la fréquentation des pécheurs entraîne le risque de contagion de l’impureté. Ainsi, des Pharisiens et des scribes critiquent Jésus qui fréquente les infréquentables publicains : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs ? » (Mt 9,11). La nouveauté qu’apporte Jésus est là : il se fait solidaire des pécheurs que les pharisiens excommuniaient.
Mais Jésus, lui, se soucie des pécheurs qui ont besoin de son amour et de son pardon, comme les malades ont besoin d’un médecin. Habituellement ce sont les malades qui appellent leur médecin ; Jésus pratique l’inverse : il appelle les malades que sont les pécheurs, et il vient à eux avec tendresse. C’est la sainteté qui est contagieuse et non le péché. Lorsqu’il affirme qu’il est venu non pas pour les justes mais pour les pécheurs, il fait preuve d’une forme d’ironie vis-à-vis de ceux qui se considèrent comme des justes, les pharisiens qui n’ont donc pas besoin de Jésus ! Façon humoristique de nous rappeler l’illusion de se croire « juste » ou « parfait » …
Jésus vient à nous en ce temps du carême, il nous appelle comme Mathieu, avec ce que nous sommes, nos faiblesses, mais aussi nos qualités ; il le fait parce qu’il désire manger sa Pâques avec nous ; la seule condition est de nous reconnaître « pécheurs ».
Relisons les belles paroles du prophète Isaïe : « Si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » … En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur…. Tu trouveras tes délices dans le Seigneur ». Vivre avec le Christ renouvelle notre existence, comme ce fut le cas pour Mathieu le publicain.
Que le Seigneur nous comble en ces quarante jours du désert où Jésus nous appelle pour manger sa Pâques avec nous !
- vendredi 19 février :
Chers frères et sœurs,
Les textes de ce jour nous invitent à méditer sur le sens chrétien du jeûne.
Jeûner nous fait entrer dans un chemin de liberté intérieure et de disponibilité pour écouter Dieu.
Il y aurait un risque spirituel à transformer le jeûne en performance (ce n’est pas un exploit ascétique), ou en nécessité écologique, ou en bien-être (jeûner pour maigrir) …
Le jeûne n’est pas un mépris de la nourriture : celle-ci doit être reçue comme un don de Dieu dans l’action de grâce ; c’est ce que nous rappelle le bénédicité avant le repas. « Tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n’est à proscrire, si on le prend avec action de grâces » (1 Tim 4,4). Le jeûne peut-être rupture du « toujours consommer davantage » de notre monde. Le jeûne peut nous libérer de ce pouvoir de l’avidité, de ces désirs qui encombrent parfois notre vie ou nous rendent esclaves ; on peut donc jeûner d’autres choses que de nourriture, de tout ce qui encombre notre vie (portable, internet, colère, bruit…).« Jeûner consiste à libérer notre existence de tout ce qui l’encombre, même de ce trop-plein d’informations, vraies ou fausses, et de produits de consommation pour ouvrir la porte de notre cœur à celui qui vient jusqu’à nous, pauvre de tout mais « plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14) : le Fils du Dieu Sauveur ». (Pape François, message de carême 2021).
Le jeûne n’est pas punition du corps, il est libération de notre esprit de tout ce qui entrave notre liberté et notre joie. Jeûner c’est être libre pour avoir des désirs plus profonds, pour avoir faim de la Parole, faim de ce qui donne la vie.
L’eucharistie que nous recevons nous rappelle qu’en nous nourrissant du corps et du sang du Seigneur, nous entrons dans la logique du don (et donc aux antipodes de la voracité). Le jeûne comme l’eucharistie nous apprennent à sortir de la logique de la consommation pour passer à celle de la communion.
Le jeûne dans la Bible n’est pas lié à la recherche d’un exploit, il nous tourne vers le Seigneur dans une attitude de dépendance, de remise entre les mains du Seigneur. Il est toujours accompagné de prières suppliantes. Il est signe d’humilité devant Dieu. On se tourne vers le Seigneur dans une attitude d’abandon total : le roi David jeûne pour obtenir la guérison de son jeune fils Salomon (2 Sam 12,16) ; le roi Achab jeûne pour invoquer le pardon pour une faute (1 R 21-27) ; le jeûne prépare à la rencontre avec Dieu (Ex 34,28), ou permet d’attendre la grâce nécessaire à une mission (Ac 13,2).
Les prophètes ne cessent de dénoncer les risques de formalisme du jeûne. Pour plaire à Dieu le vrai jeûne doit être lié à l’amour du prochain et à la pratique de la justice (Is 58, 2-11 : « Le jeûne qui me plaît : briser tous les jougs, partager ton pain avec l’affamé… ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair » (Is 58,8)
Bien plus dans leur sagesse les Pères du désert disent ceci : « le jeûne sans la charité est vain. Il vaut mieux manger de la viande et boire du vin, plutôt que de dévorer par des médisances la chair de ses frères »
Le jeûne ouvre le cœur au frère, il a un lien avec la charité et l’aumône : le bénéfice de notre jeûne peut ouvrir à un don financier ; il ouvre notre cœur à Dieu.
Jésus lui-même prend quarante jours de jeûne pour inaugurer sa mission et vivre l’abandon et la remise totale entre les mains du Père. La première tentation de Jésus est de transformer par magie des pierres en pain pour satisfaire le besoin physiologique de s’alimenter.
Jésus dénonce les perversions inhérentes à notre vie spirituelle : jeûner, prier, ou faire l’aumône dans le but secret de se faire remarquer. Tentation de l’orgueil qui se niche jusque dans la vie spirituelle la plus authentique, laquelle peut devenir la quête narcissique du regard d’autrui : « Voyez comme il est bien » … Le jeûne humble et discret ouvre le cœur à l’amour, car Dieu voit et agit dans le secret.
Jeûner, c’est ouvrir notre cœur pour avoir faim de la Parole ; ce temps du carême peut nous aider à écouter la Parole de Dieu, pour en avoir enfin faim : « Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4).
« Le jeûne, vécu comme expérience du manque, conduit ceux et celles qui le vivent dans la simplicité du cœur à redécouvrir le don de Dieu et à comprendre notre réalité de créatures à son image et ressemblance qui trouvent en lui leur accomplissement. En faisant l’expérience d’une pauvreté consentie, ceux qui jeûnent deviennent pauvres avec les pauvres et ils « amassent » la richesse de l’amour reçu et partagé. Compris et vécu de cette façon, le jeûne nous aide à aimer Dieu et notre prochain » (Pape François, message de carême 2021).
Rappel concret : L’abstinence de viande ou d’une autre nourriture est recommandée le vendredi ; l’abstinence et le jeûne seront proposés le Mercredi des Cendres et le Vendredi de la Passion. Les jeunes de moins de quatorze ans révolus et les personnes de plus de soixante ans en sont dispensés.
- jeudi 18 février :
Chers frères et sœurs,
En ce début de carême, ayant été touché par vos nombreuses remontées positives, qui disent que ces modestes méditations peuvent aider à cheminer, je les reprends donc
L’entrée en carême ne nous berce pas d’illusion…Dès le deuxième jour nous sommes placés devant la croix. Impossible de l’éviter ou de se voiler les yeux !
Jésus vient de multiplier les pains, et Pierre vient de confesser que Jésus est le Messie ; mais Jésus lève les ambiguïtés qui peuvent naître de sa mission messianique ; les miracles que Jésus accomplit ne doivent pas cacher le sens de sa vie donnée : on ne comprend pas Jésus dans ses titres (Fils de l’homme, le Messie…), mais dans le chemin ardu qu’il emprunte, la montée à Jérusalem avec en ligne de mire le don total. Le rejet et les souffrances sont au cœur de sa mission qui est le don de sa vie par amour de l’humanité. Les annonces de la Passion sont des tournants dans la vie du Christ ; il est Seigneur sur la croix.
Il est difficile pour les vues humaines d’accepter cela. C’est le scandale et la folie de la croix, laquelle est plantée au seuil de notre carême. « Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1,23-25).
Pire encore, si la souffrance n’épargnera pas Jésus, il en est de même pour ceux qui veulent le suivre ! Qui a envie spontanément de « se renier » et de « prendre sa croix » ? Cela semble tellement contraires à nos désirs vitaux d’épanouissement et de bien-être.
C’est tellement peu naturel qu’après la deuxième annonce de la passion, les disciples, comme si de rien n’était, comme s’ils voulaient changer de sujet, se comparent comme des enfants gâtés : « qui est le plus grand parmi nous ?». Et justement Jésus les renvoie à l’exemple des enfants : « le plus petit parmi vous est le plus grand » (Lc 9,46-48) … Décidément les pensées humaines ne sont pas celles de Dieu.
Jésus rappelle que la foi crée avec lui une communauté de destin. Ainsi, Paul dira :« Avec le Christ, je suis crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,19-20).
Le début du carême nous propose de prendre le chemin de Jésus. Nous ne pouvons le faire que parce que nous savons que c’est un chemin de vie. C’est ce que Moïse dit à son peuple de la part de Dieu : « Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui » (Dt 30,19).
Seigneur, donne-moi de prendre avec toi mes croix humaines ; tu viens les porter avec moi pour me conduire à accueillir la plénitude de ta vie à Pâques.
« Vivre un Carême d’espérance, c’est percevoir que nous sommes, en Jésus-Christ, les témoins d’un temps nouveau, dans lequel Dieu veut « faire toutes choses nouvelles » (cf. Ap 21, 1-6). Il s’agit de recevoir et d’offrir l’espérance du Christ qui donne sa vie sur la croix et que Dieu ressuscite le troisième jour : « Soyez prêts à répondre à qui vous demande à rendre raison de l’espérance qui est en vous » (1P 3, 15) » (Pape François, Message carême 2021).
Bon carême !
- mercredi 17 février
DES CENDRES AU FEU DE PÂQUES
Sous les cendres, dont nous sommes marqués en ce début des quarante jours, couve le feu de Pâques, le feu de l’amour donné, le feu du Christ ressuscité.
Mais notre cœur n’est pourtant pas forcément à la fête…
Peut-être pensons-nous secrètement au seuil des quarante jours du carême que nous vivons déjà comme un long carême depuis un an, à cause du virus qui nous prive de bien des relations humaines et affectives, et qui nous ne nous a pas permis de vivre la Semaine Sainte et de fêter Pâques l’an passé…
Pour autant, il ne faudrait pas nous priver de la richesse spirituelle de ce temps de pèlerinage intérieur et de renouvellement dans l’amour du Christ, que représentent pour nous les quarante jours du carême.
La pandémie nous rappelle notre fragilité, alors que peut-être l’humanité vivait dans la torpeur d’une illusion de toute-puissance.
« Tu es poussière et tu retourneras en poussière », entendons-nous en ce jour des cendres. Ceci n’est pas une invitation au découragement, bien au contraire.
La Parole de Dieu ne cesse pas de nous rappeler la fragilité de notre vie : « Dieu sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière » (Ps 102,14) ; Abraham, lorsqu’il cherche à apaiser le Seigneur en colère contre l’infidélité des habitants de Sodome, dira : « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre » (Gn 18,27), et il va demander la miséricorde de Dieu pour son peuple.
La poussière évoque ce qui est infime, léger, se dispersant au moindre petit vent. D’autres images bibliques évoquent la faiblesse native de l’humanité : l’herbe et les fleurs si éphémères : « L’homme, ses jours sont comme l’herbe, comme la fleur des champs il fleurit » (Ps 102,15) ; la buée de Qohèlet : « Vanité des vanités ; tout est vanité » (Qo 1,2) ; le mot hébreu veut dire littéralement : buée, vapeur ; la cendre qui évoque la conversion : ainsi Job qui finit par faire confiance en Dieu, même s’il ne peut pas tout comprendre de son malheur : « C’est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t’ont vu. C’est pourquoi je me rétracte et me repens sur la poussière et sur la cendre. » (Job 42,6). C’est une façon pour l’homme d’exprimer son cri vers Dieu et sa plainte : « Ils se mettront de la poussière sur la tête, se rouleront dans la cendre » (Ez 27,30).
Dans la mentalité de la Bible, poussière et chair évoquent une même réalité, celle de la finitude de l’homme, fragile créature : « Toute chair est comme l’herbe, toute sa grâce, comme la fleur des champs… mais la Parole de Dieu demeure pour toujours » (Is 40,6-8). L’homme a toujours les mains vides face à Dieu. Mais écouter sa Parole nous permet d’accueillir la vie nouvelle !
Et cela relie les fêtes de Noël et de Pâques : à Noël Jésus a assumé cette faiblesse humaine en se faisant petit enfant , « Le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14). Dieu descend et marche dans la poussière des chemins de l’humanité, pour nous faire monter vers la joie se son amour, la joie de Pâques !
Et cela change le sens de ces évocations bibliques de l’homme en passage sur la terre. La chair devient en Jésus-Christ la « charnière du Salut » (Tertullien). Celui qui croit et qui aime sait que la résurrection change le sens de notre pèlerinage sur la terre.
Souvenons-nous de cette grâce que nous donne le Christ en prenant notre fragilité, lorsque nous serons marqués de la croix avec les cendres ; celles-ci cachent en elles le feu et la joie de Pâques !